20 avril 2024
Paris - France
AFRIQUE INTERNATIONAL

Sur le Nil, le barrage de la Renaissance attise la guerre de l’eau

REPORTAGELa construction par l’Ethiopie d’un gigantesque ouvrage inquiète, en aval, le Soudan et l’Egypte, dépendants du fleuve africain et inquiets des futurs choix d’Addis-Abeba. Le Conseil de sécurité de l’ONU doit débattre, jeudi, d’une dispute qui menace de déstabiliser la Corne de l’Afrique.

L’ingénieur Izaat Saddiq se penche par-dessus la balustrade qui longe le pont supérieur du barrage de Roseires. En contrebas, à 78 mètres à pic, des dizaines de millions de mètres cubes d’eau sont recrachés dans un fracas assourdissant. Une grande usine de production hydroélectrique, dotée de sept turbines, est adossée à cet immense arc de béton construit dans les années 1960 en travers du Nil Bleu, dans le sud-est du Soudan.

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« Le barrage de Roseires est l’un des piliers de notre économie. Plus de 20 millions de Soudanais dépendent de l’électricité qui est produite ici et de l’eau que nous y stockons pour les projets agricoles ou les stations de pompage d’eau potable jusqu’à Khartoum », explique, non sans fierté, le responsable de ce réservoir protégé par des batteries de défense antiaérienne.

Un homme se tient sur des rochers près du barrage de Roseires, au Soudan, le 21 juin 2021. Les barrages qui produisent de l'électricité ne couvrent que 40 % des besoins du Soudan.

En aval, le Nil Bleu poursuit sa course vers le nord. Sur les rives, des pirogues échouées, des baobabs esseulés au milieu des rochers et quelques pêcheurs qui lancent leur filet dans les rapides. En amont s’étend un immense lac d’une capacité de 7 milliards de mètres cubes. Mais surtout, à seulement 120 kilomètres de là, un autre géant hydroélectrique est en cours de construction, le grand barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD), avec des proportions sans commune mesure : deux fois plus haut que Roseires, pour une capacité de stockage d’eau dix fois supérieure.

« On est dans l’inconnu »

Situé à 15 kilomètres de la frontière soudanaise, le réservoir du GERD sera deux fois plus grand que la métropole du Grand Paris, couvrant une surface de 1 874 kilomètres carrés. « Il y aura 74 milliards de mètres cubes d’eau stockés à une centaine de kilomètres d’ici, et on ne sait pas quelle quantité va nous arriver, ni à quel moment », s’alarme Abdallah Abdelrahman, le directeur du barrage de Roseires. « On ne sait pas combien d’électricité les Ethiopiens veulent produire. Nous n’avons aucune information, hormis ce que nous lisons dans les journauxOn est dans l’inconnu », soupire-t-il.

Depuis 2011, la construction de ce qui deviendra bientôt le plus puissant barrage hydroélectrique du continent est au cœur d’une dispute tripartite qui menace de déstabiliser la Corne de l’Afrique. En investissant plus de 4,6 milliards de dollars (près de 4 milliards d’euros) dans ce projet, l’Ethiopie en a fait la pierre angulaire de son développement, qui permettra de fournir de l’électricité aux deux tiers de ses 115 millions d’habitants. L’Egypte craint pour sa survie à long terme, alors que le pays dépend à 90 % des ressources en eau du Nil. Pris en étau entre ces deux puissances régionales, le Soudan s’inquiète désormais pour la sécurité de ses installations, alors qu’aucun accord n’a été trouvé entre les trois pays.

Le Monde Afrique

 

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