Désormais membres du cercle des producteurs d’hydrocarbures, les deux pays ouest–africains aspirent à redynamiser leur économie et à éviter la malédiction de l’or noir.
Pétrole : l’Afrique sans transition
La COP28 de Dubaï a marqué le début de la fin pour l’exploitation pétrolière en décidant une << transition hors des énergies fossiles ». Pour autant, les contours et les implications de cette décision qualifiée d‘<< historique >> restent à préciser. Comment l’Afrique doit–elle se préparer à cette révolution? Les nouveaux producteurs doivent–ils renoncer à cette manne? Le pétrole permet–il d’accéder au développement?
PÉTROLE : L’AFRIQUE SANS TRANSITION (3/4) – À Dakar comme à Abidjan, de grandes attentes entourent la production du pétrole et du gaz. Alors que le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, engagé dans un processus d’audit et de révision des contrats pétroliers et
gaziers, promet une gestion optimale et transparente pour préserver les intérêts intergénérationnels, son homologue ivoirien, Alassane Ouattara, veut faire des ressources extractives le deuxième pilier de l’économie nationale derrière l’agriculture.
En effet, les deux pays ont une ambition commune : devenir des producteurs régionaux majeurs d’hydrocarbures pour se muer en nouveaux hubs énergétiques et transformer leurs économies. Jusque–là modeste productrice, la Côte d’Ivoire prévoit de tripler sa production pour atteindre 200 000 barils de pétrole par jour (bpj) à l’horizon 2027. Le Sénégal vise, quant à lui, 100 000 bpj extraits de Sangomar, et six millions de tonnes de gaz naturel liquéfié issus de GTA.
Retombées économiques
Les retombées économiques de l’exploitation des ressources pétrolières et gazières constitueraient des revenus non négligeables pour les caisses des deux pays ouest–africains. << Les deux États misent sur la rente pétrolière pour enregistrer une croissance de 7% voire plus. Si l’exploitation et la gestion de ces ressources ne sont pas optimisées, le niveau de croissance risque de tomber à 2 % »>, craint Aly Sy, consultant dans les dossiers pétroliers et gaziers en Afrique de l’Ouest, selon lequel ce scénario catastrophe pousserait le Sénégal et la Côte d’Ivoire à continuer d’emprunter sur le marché ou auprès d’autres pays à des taux très élevés.
Entré en production il y a un an, le gisement offshore Baleine devrait progressivement réduire la dépendance de Yamoussoukro vis–à–vis de l’extérieur en ce qui concerne son approvisionnement en pétrole et en gaz, notamment pour la production d’électricité. Et ce, au
moment où le taux actuel de couverture du territoire avoisine les 80%. Boosté par la découverte de Calao, qui recèlerait entre 1 et 1,5 milliard de barils de pétrole, l’État espère attirer de nouveaux investisseurs pour doper ses
revenus. Outre les 10 milliards annoncés par l’italien ENI, le président Ouattara s’attend à des investissements de 5 milliards supplémentaires dans le secteur.
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Selon les prévisions de Dakar, les revenus combinés des gisements pétrolier (Sangomar) et gazier (GTA) atteindront une moyenne de 700 milliards de francs CFA par an, soit plus d’un milliard d’euros, sur une période de trente ans. Pour éviter les lendemains qui déchantent, le pays veut atteindre l’autonomie énergétique, réduire le coût de la production d’électricité d’environ 40% et limiter l’impact environnemental avec l’exploitation du gaz produit localement. Le pays espère acter un effet d’entraînement pour le reste de l’économie avec la création de chaînes de valeur par les industriels.
Création de fonds souverains
Ces projets et ces opportunités sont–ils à même d’éviter aux deux pays la malédiction de l’or noir ?<< Le Sénégal et la Côte d’Ivoire ont l’opportunité d’apprendre des expériences d’autres pays producteurs de pétrole et d’éviter la malédiction des ressources naturelles et les
erreurs du passé », estime Papa Daouda Diène, économiste senior au sein du Natural Resource
Governance Institute (NRGI). Une opportunité que les néo–pétroliers doivent saisir, car bien qu’ils possèdent d’importantes ressources identifiées, ils restent loin des niveaux du << Big Four >> africain : la Libye, le Nigeria, l’Angola et l’Algérie, dont la production se situe entre 1,24 million bpj et 907 000 bpj.
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Pour parer à cette malédiction des ressources naturelles,
Dakar et Abidjan disposent de plusieurs options, toutes indispensables, à l’image de la diversification de l’économie et de la gestion efficace et prudente des finances publiques. « Les deux pays doivent créer un fonds souverain, gérer les revenus pétroliers en toute transparence et investir dans les secteurs prioritaires, notamment la santé, l’éducation et les infrastructures »>,
énumère le consultant spécialiste des dossiers énergétiques sur le continent, Jean–Pierre Favennec.
À l’initiative du Fonds d’investissement souverain pour les générations futures, l’ancien président sénégalais Macky Sall assurait que ce dispositif << répondr[ait] aux normes de transparence, d’exigence et d’indépendance ». Une promesse reprise par son successeur Bassirou Diomaye Faye, selon lequel << le Fonds intergénérationnel sera bien géré et réservera des parts des revenus du pétrole et du gaz pour les générations futures ».
À l’heure où Dakar poursuit l’audit des contrats pétroliers signés sous Macky Sall, l’ancien chef d’État avait aussi initié l’interdiction de toute cession anticipée du pétrole et du gaz sénégalais en parallèle à la création du Fonds intergénérationnel (10 % des recettes), et d’un Fond de stabilisation pour absorber un éventuel surplus aux recettes de références. La grande partie des recettes (90 %) sera allouée aux dépenses d’investissements prioritaires, aux dépenses courantes et au service de la dette.
Gage de bonne foi, le Sénégal fait acte de candidature au sein de l’ONG Initiative pour la transparence dans les industries extractives. Cette dernière s’est félicité de << progrès très satisfaisants » dans la mise en œuvre de ce programme qui promeut une gestion transparente des ressources naturelles. «C’est très encourageant. Mais il faut veiller à ce que cela ne serve pas seulement à cocher de bonnes cases et avoir une politique de communication efficace », prévient Marc–Antoine Eyl–Mazzega, chercheur à l’Institut français des relations internationales.
Transformer l’économie
Le Sénégal s’inspire du fonds souverain norvégien.
Alimenté par les revenus pétrogaziers, le fonds souverain de la Norvège a enregistré un rendement record en 2023,
pour atteindre une valorisation supérieure à 1,395 milliard d’euros. Mais au–delà de ce dispositif, qui semble à ce jour difficile à transposer sur le continent, la Côte d’Ivoire mise sur la valorisation des compétences et des sociétés ivoiriennes dans l’industrie pétrolière et gazière. Avec la loi sur le contenu local, le pays souhaite faire des ressources extractives un nouveau levier de croissance permettant l’émergence de champions nationaux.
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<< Aux pouvoirs publics maintenant de se diversifier car l’argent du pétrole est tarissable et finira à un moment ou un autre par ne plus couler à flots », insiste Aly Sy. Le consultant dans les dossiers pétroliers et gaziers en Afrique de l’Ouest souhaite voir les pays africains suivre les traces des géants du golfe, «< les numéros un aujourd’hui »>, en investissant dans le tourisme, l’agriculture et surtout l’industrie, << le plus gros problème du continent ». La gestion de ces ressources devrait également << aborder activement la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans la production dans un souci de transition énergétique », conclut Papa Daouda Diène.
Jean Moliere Source:JA
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