Sedia Sanogo a commencé la boxe à 13 ans au boxing club de Garges-lès-Gonesse (95). Quand son coach part vivre en Angleterre, elle raccroche les gants, pendant dix ans. Le 11 février, elle perd la finale du championnat de France amateur de boxe, pleine de regrets. Aujourd’hui, la voilà coach mais n’a pas dit au revoir au ring. Portrait.
[LES BÂTISSEURS] Sedia Sanogo a commencé la boxe à 13 ans au boxing club de Garges-lès-Gonesse (95). Quand son coach part vivre en Angleterre, elle raccroche les gants, pendant dix ans. Le 11 février, elle perd la finale du championnat de France amateur de boxe, pleine de regrets. Aujourd’hui, la voilà coach mais n’a pas dit au revoir au ring. Portrait.
Dans la famille Sanogo, le sport de combat est une tradition, voire un sacerdoce : au père, le karaté et le taekwondo, aux deux grands frères et à la grande sœur, la boxe. Elle, a enfilé les gants un peu tard. C’est dans le 20ème arrondissement de Paris que Sedia et sa famille passent une grande partie de leur vie. Un jour de 2005, à Garges-lès-Gonesse où ils se sont installés, Sedia Sanogo accompagne sa grande sœur à l’entraînement. Sa mère a beau répéter que la boxe n’est pas un sport pour les filles, Sedia prend goût et persévère. Jamais rentrée avec un coquard ou un nez fracassé, voilà la maman rassurée qui aujourd’hui, assiste aux combat de sa progéniture.
La boxe, Sedia n’en vit pas. « Quand on pratique en amateur, on rentre à la maison avec une ceinture, pas avec un chèque », glisse-t-elle. La journée, elle est assistante de direction, en pantalon simili-cuir, bottines noires, lèvres rouges. Le soir, le rouge est la couleur de ses gants. Cheveux noués, elle devient tour à tour boxeuse et coach. En 2005, elle remportait la finale du championnat de France amateur chez les cadettes. Un avenir prometteur dans la boxe, grâce à son coach Emmanuel Dos Santos, alias Manu, devenu « son meilleur ami, son frère, son père, son idole« . Avec lui, elle fait le tour de France et part aussi à l’étranger, et participe à tous les combats amateurs possibles. Lorsque Manu part poursuivre ses études à Londres, Sedia raccroche les gants. Elle a essayé de revenir après son départ mais est repartie du boxing club en larmes. Impossible de continuer sans son coach. La voilà qui se met à la danse et continue le rugby. En 2013, Manu revient, et Sedia retrouve le chemin du club. « Sedia c’était ma première boxeuse, raconte-t-il l’air nostalgique. C’est avec elle que j’ai appris le travail de coach. Quand j’ai repris le club, j’ai transposé à grande échelle ce que j’avais mis en place pour elle.«
Sedia réapprivoise le ring. Elle retrouve ses techniques de déstabilisation, l’air nonchalant, souriant ou montant à peine sa garde pour agacer ses adversaires. Trois ans après la reprise, la jeune femme est plus assidue aux entraînements des petites, qu’aux siens. Elle se trouve un peu trop fainéante pour se maintenir dans la cour des grands et à 26 ans, trop vieille, et trop occupée, songeant à son travail et à sa vie sentimentale.
Elle préfère poursuivre en tant que coach, en duo avec Manu, pour donner les directives, corriger les erreurs et prendre part au rôle éducatif du boxing club, qui prive les petites de championnat quand elles ont des mauvaises notes.
« J’étais stressée comme si c’était mon premier combat. Je n’ai pas été assez agressive »
Ces derniers mois, Sedia a remis le paquet sur ses entraînements et fait davantage attention à son alimentation, troquant ses plats préférés contre salade sans sauce, verre d’eau et pomme. La raison ? Sa qualification pour la finale du championnat de France amateur des moins de 60 kg. Au Havre, le 11 février, face à Amina Zidani, du Boxing Club « Don’t Panik Team », fondé par le rappeur Médine, elle perd 3-0, soit de trois coups considérés comme nets, puissants et précis, au cours de 4 rounds de 2 minutes. La Havraise joue à domicile, ses supporters sont plus nombreux mais ceux de Sedia ne restent pas sans voix. C’est comme si le nom du boxing club de son adversaire lui avait porté la poisse. Don’t Stress Team aurait été plus proche de la réalité.
Sedia regrette de ne pas avoir su gérer ses émotions. Trop d’enjeux, trop de personnes venues la voir, trop de messages de soutien, pour son premier combat retransmis sur une grande chaîne. « J’étais stressée comme si c’était mon premier combat. Je n’ai pas été assez agressive. Cette année, je me suis trop laissée aller« , explique-t-elle. « Ça se voyait qu’elle était mal à l’aise sur le ring« , confirme Ben, 22 ans, son alter-ego au boxing club.
Aux côtés de Bengoro Bamba, son poulain
Ben, Bengoro Bamba, c’est la graine de champion de Sedia la coach, son poulain. A chacun de ses combats, Sedia est dans son « coin », aux côtés de Manu. Sedia mise beaucoup sur celui qui est déjà pensionnaire de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep).
Son petit protégé d’1m90 s’avère être un cousin éloigné. En plus des gènes familiales, ils partagent un même style de boxe, plus dans la technique et dans la beauté des gestes. Ben taquine souvent Sedia, pas toujours hyper sérieuse à l’entraînement, tout en avouant que son soutien lui est devenu indispensable. Elle, est tout émue quand elle parle de lui, cachant ses yeux humides sous sa frange lorsqu’elle reçoit le tee-shirt qu’elle portera lors de la finale de Ben. Ensemble, ils sont arrivés jusqu’en finale dans leurs catégories respectives. Lui a gagné, le 19 février, à 22 ans, son premier titre de champion de France amateur chez les moins de 75 kg et amène ainsi au club son premier titre senior.
« Sedia est toujours là pour nous aider et nous encourager dans notre travail »
Aux yeux de Ben, Sedia est une très bonne pédagogue qui devrait poursuivre cette carrière de coach. La boxe prend un air de sport collectif dans ce club de 300 adhérents dont la moitié sont des filles, ces petites qui admirent Sedia. « Elle est gentille, elle nous donne beaucoup de conseils pour les compétitions, elle nous encourage dans notre travail« , raconte Allyah, 12 ans. Hind, sa soeur cadette est ravie d’avoir quelqu’un comme elle « toujours là pour aider« . Fatma, 14 ans, sait aujourd’hui qu’elle y arrive mieux quand elle écoute les conseils de Sedia.
Tout comme Sedia à leur âge, les petites ne s’imaginent pas avec d’autres coachs. Ni-même entre d’autres murs que ceux verts-fluos du boxing club, bâti il y a près de 20 ans au pied des châteaux d’eau du quartier Dame Blanche Nord.
Sedia, « un élément moteur pour les jeunes filles«
Elle est même une figure de tout le quartier, d’après Khalid Zaouche, directeur du club depuis 17 ans : « La finale ce n’est qu’une anecdote dans un parcours de vie. Sedia est une référence pour les petites. C’est un élément moteur. C’est elle qui donne le la, aux petites de l’équipe de France. C’est leur tutrice dans la boxe et dans la vie. On suscite chez les jeunes un code d’honneur, une éthique. Ce n’est pas rien dans un quartier dit ‘prioritaire de la politique de la ville’. »
Aujourd’hui, cinq jeunes licenciées du club sont en équipe de France. Khalid Zaouche espère envoyer au moins deux des protégées de Sedia aux Jeux Olympiques de 2020, leur souhaitant le destin d’Estelle Mossely, première française championne olympique de boxe aux JO 2016. Sedia, elle, sait pertinemment qu’elle n’aura jamais ce titre. « Le problème, c’est qu’elle a fait une longue pause, explique Manu. Elle ne s’entraîne qu’une à deux fois par semaine. Elle est douée mais elle n’a pas la motivation des petites ou de Ben. Elle aurait pu gagner sa finale, mais son adversaire c’est une fille qui s’entraîne deux fois par jour« . Il est en revanche satisfait de l’avoir à ses côtés : « Elle est naturellement coach. Elle est très charismatique. Quand on est partis au Pakistan pour « Girl Power in Karachi », notre projet de développement de la boxe féminine sur place, les Pakistanaises n’avaient que son nom à la bouche. Sedia arrive toujours à prendre du recul avec les petites. C’est une valeur sûre et on partage la même vision de la boxe« , poursuit le coach et éducateur spécialisé.
Sedia avait prévu de quitter le ring, une fois la ceinture de championne de France ramenée à sa deuxième maison, le club. Elle voulait raccrocher ses gants mais l’échec en a décidé autrement : « Ma défaite me trotte dans la tête. Pendant quatre jours, j’ai éteint mon téléphone, je n’allais plus sur les réseaux sociaux. Je suis restée enfermée chez moi. Si je perds parce que la fille est vraiment plus forte que moi, j’accepte. Là, j’ai perdu parce que je n’ai pas su faire ce que je savais faire, j’avais les capacités pour la battre, c’est frustrant. On me reverra peut-être sur le ring pour ma revanche« . Rendez-vous est déjà pris.
Rouguyata SALL
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