HISTOIRE. Dans la foulée de la remise du rapport, plusieurs personnalités politiques françaises ont réagi.
Le rôle de la France au Rwanda reste un sujet explosif depuis plus de 25 ans. Il est aussi l’objet d’un débat violent et passionné entre chercheurs, universitaires et politiques. Pour la première fois, une commission d’experts s’est plongée dans 8 000 documents officiels, dont certains classés secret-défense et qui n’avaient jamais été consultés. Le rapport Duclert, du nom de l’historien Vincent Duclert, spécialiste de l’affaire Dreyfus, remis au président Emmanuel Macron, affirme que la France « est demeurée aveugle face à la préparation » du génocide et porte des « responsabilités lourdes et accablantes », soulignant cependant que « rien ne vient démontrer » qu’elle s’est rendue « complice » du génocide qui a fait au moins 800 000 morts, essentiellement tutsis.
La France a des « responsabilités lourdes » dans le génocide au Rwanda
« Une avancée considérable » pour Paris
« Nous espérons que ce rapport pourra mener à d’autres développements dans notre relation avec le Rwanda » et que, « cette fois, la démarche de rapprochement pourra être engagée de manière irréversible », a réagi la présidence française. Dans ce cadre, le retour d’un ambassadeur de France à Kigali « dans les prochains mois » serait « un pas supplémentaire » vers une normalisation, a-t-elle précisé.
Très troublées après le génocide de 1994, les relations bilatérales se sont réchauffées ces dernières années, Emmanuel Macron s’entretenant régulièrement avec son homologue Paul Kagame. Même si la France a rouvert une ambassade à Kigali, qui « fonctionne bien » selon l’Élysée, le poste d’ambassadeur est vacant depuis 2015. Emmanuel Macron s’exprimera « le moment venu » sur les enseignements qu’il tire du rapport, a indiqué la présidence.
Génocide au Rwanda : ce qu’il faut retenir du rapport Duclert
Glucksmann dénonce le « pire scandale de la Ve République »
Plusieurs personnalités politiques françaises ont réagi depuis vendredi. Le député européen Raphaël Glucksmann a estimé que la responsabilité de l’État français et de François Mitterrand dans le génocide commis au Rwanda en 1994, telle qu’établie par le rapport remis à Emmanuel Macron, constituait le « pire scandale de la Ve République ». Raphaël Glucksmann avait été pris dans une controverse avec d’anciens ministres socialistes lors des élections européennes de 2019, pour des propos sur l’attitude de François Mitterrand avant et après le génocide. « Petit à petit, la vérité va s’imposer et c’est un moment important pour la France : une nation se grandit à éclairer les zones les plus sombres de son histoire », a-t-il réagi auprès de l’AFP. « On a tellement lié notre destin à ce régime rwandais que tous les signaux, y compris des renseignements extérieurs, ont été ignorés, et l’existence une fois établie du génocide n’a pas été une priorité pour la France », a-t-il ajouté.
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Bernard Kouchner : « Les gens de l’Élysée n’ont rien voulu voir »
Ce rapport « apporte un peu de vérité sur une immense faute politique » française pendant le génocide des Tutsis, a déclaré Bernard Kouchner. « Mais c’est tellement tardif, plus de 26 ans après », regrette l’ancien ministre de la Santé et de l’Action humanitaire sous la présidence de François Mitterrand (1992-1993). Comme il l’avait déjà déclaré à la presse, Bernard Kouchner, qui s’est rendu au Rwanda pendant le génocide, assure avoir « appelé deux fois le président François Mitterrand pour le prévenir » : « Il m’a écouté et m’a dit : vous exagérez. » Plus tard, lors d’un échange avec le président Mitterrand, « je lui ai demandé : pourquoi avez-vous protégé le président Juvénal Habyarimana ? Il m’a répondu : pourquoi voulez-vous que je le protège, qu’il ne l’avait rencontré que deux fois, qu’il ne le connaissait pas ». Le rapport souligne pourtant leur « proximité ». « Les gens de l’Élysée », « le général Quesnot » (chef d’état-major particulier), le « général Huchon » (alors colonel et adjoint du général Quesnot) ou « Hubert Védrine », alors secrétaire général de l’Élysée, ont fait preuve d’une « cécité absolue », considère Bernard Kouchner. « La vérité n’était pas recherchée une seconde », les décideurs français, prisonniers d’une lutte « d’influence » avec leurs concurrents occidentaux, prenaient Paul Kagame pour « un valet des Américains », décrit encore l’ancien humanitaire, à propos du président rwandais et ancien chef de l’ex-rébellion tutsie du FPR. « Savoir ce qu’il se passait, c’était facile. » « L’aveuglement » décrit dans le rapport est « un bon mot. Ils [le pouvoir français, NDLR] avaient tous les moyens de se renseigner sur ce qu’il se passait. Ils ne l’ont pas fait », accuse-t-il.
Génocide au Rwanda : « On ne peut se satisfaire des seules accusations contre la France »
De son côté, l’ancien ministre socialiste Hubert Védrine, secrétaire général de l’Élysée au moment du génocide rwandais de 1994, a salué auprès de l’AFP « l’honnêteté » du rapport, remis à Emmanuel Macron, qui a « écarté toute complicité de la France ». Il a déploré toutefois « les critiques très nombreuses et sévères » du rapport, visant notamment l’ancien président socialiste François Mitterrand, qui « ne tiennent aucun compte du fait que la France n’a fait que réagir à partir de 1990 à l’attaque du FPR » tutsi. Hubert Védrine reconnaît toutefois « des erreurs » de la France. Par exemple, « quand on se retire du Rwanda après les accords d’Arusha [en août 1993, NDLR], ça ne me choque pas que certains disent qu’on aurait dû rester, en tout cas une présence internationale ». « Mais le plus important, c’est que le rapport écarte toute complicité de la France », a estimé Hubert Védrine, « compte tenu des accusations qui circulent depuis une quinzaine d’années », dont il a lui-même fréquemment fait l’objet.
Interrogé sur la responsabilité de François Mitterrand et de ses bonnes relations avec le président rwandais de l’époque Juvénal Habyarimana, soulignée par le rapport, Hubert Védrine a affirmé que « c’est une mauvaise explication », une « extrapolation » : « Il connaissait bien les dirigeants africains, pas lui plus qu’un autre », et « beaucoup de pays avaient des relations normales » avec le régime hutu. L’ancien ministre des Affaires étrangères a également repoussé l’explication du rapport selon laquelle les informations régulières provenant de militaires et diplomates sur place, faisant état d’un risque de génocide, avaient été ignorées à Paris. « Il n’y avait pas besoin d’avertissements pour savoir qu’il y avait un risque géant. C’était évident dès le début qu’il [allait] y avoir un durcissement atroce. » L’attitude des dirigeants français, qui continuent à livrer des armes au régime jugé « raciste » par le rapport, s’explique selon lui par leur volonté de répondre « aux attaques du FPR, qui massacre beaucoup de cadres hutus ». « Il y a une course de vitesse, et la réponse de la France, c’est de faire pression pour arriver à un compromis », qui débouche sur les accords d’Arusha, a-t-il plaidé. « Il y est notamment question de bâtir la nouvelle armée rwandaise, avec 40 % de Tutsis alors qu’ils représentaient 12 à 13 % de la population rwandaise », a souligné Hubert Védrine, pour qui « ce n’est pas un comportement d’ami aveugle ». Le rapport peut-il amener un apaisement ? « On verra bien, souhaitons-le », a-t-il glissé.
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Hervé Berville pointe « la cécité d’une partie des élites françaises »
Pour le député LREM Hervé Berville, qui a rencontré les historiens auteurs du rapport, ce document « montre bien la cécité et les biais intellectuels et politiques d’une partie des élites françaises de l’époque, qui n’ont pas vu venir ce génocide », mais il n’y a pas, selon lui, de « complicité » de la France. » Lui-même orphelin tutsi, il a été le « représentant personnel » d’Emmanuel Macron en 2019 à la 25e commémoration du génocide rwandais à Kigali et espère retourner fin avril-début mai au Rwanda avec Emmanuel Macron. « À aucun moment les politiques français n’ont eu l’intention de participer au génocide ou le stimuler », défend le député. « Les premiers responsables du génocide, ce sont ceux qui ont pris les machettes et sont allés tuer notamment la moitié de ma famille », déclare M. Berville, qui a été adopté par une famille bretonne en 1994. « Emmanuel Macron a voulu éclairer cette période » et les quatorze historiens emmenés par Vincent Duclert « ont travaillé en toute indépendance », a salué le parlementaire, qui souligne que presque toutes les archives ont pu être exploitées. Celles « moins importantes » de l’Assemblée nationale n’ont pas été accessibles, d’après lui. Ce rapport est « un aboutissement et va aussi permettre d’écrire une nouvelle page avec le Rwanda et l’Afrique », d’après cet élu des Côtes-d’Armor.
En effet, au-delà, Paris espère que « ce rapport aura aussi un impact sur l’ensemble de notre relation avec l’Afrique » et qu’il « soit un sujet emblématique du renouveau amorcé » avec le continent, après les décisions « très symboliques que sont la remise du patrimoine d’art africain ou la réforme du franc CFA », avance la présidence française.
Un point de vue que ne partage pas l’association Survie, qui dénonce depuis 1994 le soutien de la France aux génocidaires rwandais. « Nous avons lu le rapport de la commission Duclert sur le #Rwanda : la déception est à la hauteur de l’instrumentalisation politique à laquelle se livre son président. Lacunes énormes, biais, occultation… et définition erronée de la complicité pour dédouaner l’État français », écrit Survie. Selon Patrice Garesio, co-président de Survie : « Si l’Élysée matraque de tels éléments avant même que chercheurs et associations aient pu lire le rapport, c’est mauvais signe : c’est une tentative de saborder tout débat. Parler de faillite de l’analyse et d’aveuglement est un recul, car on savait avant même la création de la commission que des analyses très lucides et pertinentes ont été transmises jusqu’à la tête de l’État et qu’elles ont été sciemment écartées par les décideurs de l’époque. La complicité est documentée, l’enjeu serait plutôt de compléter le tableau, hélas, très cohérent sur la base de ce qui est déjà public. »
Kigali salue « un pas important »
De son côté, « le gouvernement rwandais s’est félicité du rapport de la commission Duclert, qui représente un pas important vers une compréhension commune du rôle de la France dans le génocide contre les Tutsis », a déclaré le ministère rwandais des Affaires étrangères dans un communiqué. « Un rapport d’enquête commandé par le gouvernement rwandais en 2017 sera publié dans les semaines à venir, dont les conclusions compléteront et enrichiront celles de la commission Duclert », ajoute le ministère dans ce court texte. Source : Le point
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Source: Le Point