L’ancien président, qui aura 80 ans cette année, s’est engagé dans un nouveau combat, celui de sa réinscription sur les listes électorales ivoiriennes en vue d’être candidat à l’élection présidentielle d’octobre. Il vient d’entamer une tournée de mobilisation.
C’EST LAURENT GRAGBO
Laurent Gbagbo n’aime rien tant que l’histoire, qu’il convoque dans chacun de ses discours, comme ce fut le cas début février devant ses partisans réunis à Marcory, une commune d’Abidjan. L’ancien président, assis face à eux, évoque lors de ce meeting, qui marque le début d’une grande tournée de mobilisation à travers le pays, «<le concept de démocratie dans la Grèce antique »>, lui l’historien de formation, directeur de l’Institut d’histoire d’art et d’archéologie de l’université d’Abidjan dans les
années 1970.
Puis viennent les souvenirs d’une histoire bien plus récente, celle dont il a été longtemps l’un des protagonistes. << C’est nous, [Laurent] Gbagbo et ses amis, qui avons réclamé depuis 1990 la création d’une commission électorale indépendante », rappelle–t–il. C’est contre cette commission, qu’il juge acquise au pouvoir, qu’il livre aujourd’hui bataille, exigeant sa dissolution et fustigeant son refus de procéder à une nouvelle révision de la liste électorale cette année – la dernière s’est tenue fin 2024. En l’état, l’élection présidentielle du 25 octobre prochain serait jouée d’avance et les dés, pipés.
<< La première des luttes >>>
<«<L’opposition craint une stratégie plus large du pouvoir incluant l’élimination d’adversaires politiques, la sélection des électeurs, la corruption électorale et le contrôle des institutions », avance même dans un communiqué le Parti des peuples africains–Côte d’Ivoire (PPA–CI), la formation politique qu’il a fondée à son retour en Côte d’Ivoire, en 2021. Cette année–là, à Abidjan, le «Woody de Mama »> (<«<le garçon de Mama »>, son village natal dans l’ouest ivoirien) sera accueilli comme un héros par ses milliers de sympathisants après son acquittement définitif par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité commis après la présidentielle
de 2010.
Moins de quatre ans après avoir regagné son pays,
l’ancien président s’est ainsi engagé dans un nouveau combat. Pour ses partisans, mais aussi pour lui, il est candidat déclaré à la présidentielle, mais radié des listes électorales en raison d’une condamnation par contumace en 2018 par la justice ivoirienne, il est en réalité privé d’élection. Début janvier, l’ex–chef de l’État affirmait face aux cadres de son parti que sa propre réinscription sur les listes devait désormais constituer << la première des luttes >>.
En Côte d’Ivoire, le vieux démon de l’ivoirité ressurgit à l’approche de la présidentielle
<< Alassane [Ouattara] lui–même, le président de la République, il a connu ça en 1995. Et pour l’aider, je n’ai pas déposé de candidature bien que tout mon dossier fût prêt. À l’époque, on a fait beaucoup de sacrifices pour lui »>, lance–t–il à son public réuni à Marcory. En 1995, deux ans après la mort de Félix Houphouët–Boigny, Henri Konan Bédié (décédé en août 2023) remportera l’élection après avoir brandi le concept xénophobe d‘<< ivoirité >> pour écarter Alassane Ouattara de la course.
<<<Nous avons tous les arguments juridiques en notre faveur »>, assure Justin Koné Katinan, le président du Conseil stratégique et politique du PPA–CI. Il cite notamment la décision prononcée en 2020 par la Cour africaine des droits humains et des peuples qui ordonnait la réintégration par la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo sur les listes électorales: << Contrairement à ce qui est dit, nous ne demandons pas d’amnistie à Alassane Ouattara, nous lui demandons simplement d’appliquer la loi. Le président ivoirien refuse d’appliquer cette décision de la Cour africaine. C’est scandaleux. » Dans ce contexte, une seule option est à envisager selon Justin Koné Katinan, celle du << rapport de force» avec les autorités.
Mobilisation de la rue
<< Laurent Gbagbo a toujours eu un goût d’inachevé en matière d’engagement et d’expérience politiques. Les années sont passées, mais, après son passage en prison, il est revenu comme si tout cela n’avait été qu’une parenthèse dans sa propre histoire. Il n’a pas pris en compte le changement du paysage politique ivoirien et la
fragmentation de son propre camp», explique le sociologue Francis Akindès.
En 2000, au terme d’un long combat politique, Gbagbo, opposant portant la promesse d’une alternance dans les
années 1990, avait fini par prendre le pouvoir par les urnes dans des conditions qu’il qualifiera lui–même de <<< calamiteuses >>, après avoir mobilisé la rue, fort de sa
grande popularité. Deux ans plus tard, la rébellion armée lancée depuis le Burkina Faso voisin tentera de le renverser, avant de s’emparer du nord du pays. La Côte
d’Ivoire sera alors coupée en deux, entre un Nord rebelle et un Sud loyaliste, le début d’une longue crise politico- militaire.
Henri Konan Bédié, une vie sous les ors de la République
Malgré la fin de son mandat en 2005, Gbagbo restera au pouvoir et parviendra à faire reporter six fois l’élection présidentielle, jusqu’en 2010. « Qu’est–ce qui a amené les problèmes en 2010 ? En 2010 […] les gens ne voulaient pas respecter la loi. En 2010, le Conseil constitutionnel a proclamé Laurent Gbagbo élu. Mais non, ça ne convenait pas à certains ici et à certains dehors », affirme aujourd’hui l’ancien président. Cette victoire était la sienne, rumine–t–il, le pouvoir lui a échappé au profit
d’Alassane Ouattara et, à bientôt 80 ans, il entend bien le reprendre.
Face à ses rêves
<<< Il faut comprendre l’origine du combat de Laurent
Gbagbo et sa vision politique. Il s’est engagé contre le parti unique car il le trouvait injuste et estimait que ce système confisquait les libertés, une valeur à laquelle il est très attaché. Tant qu’il estimera que les libertés sont confisquées et que les droits des citoyens ne sont pas respectés, il se battra jusqu’à son dernier souffle »>, garantit Justin Koné Katinan. Mais au–delà de sa réinscription sur les listes, Laurent Gbagbo a–t–il aujourd’hui les moyens de ses ambitions?
Les élections locales de septembre 2023, largement remportées par le camp présidentiel, ont constitué une grosse déconvenue pour son parti. Seulement deux communes remportées et aucune région malgré des accords passés ici et là avec le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Henri Konan Bédié, alors patron du parti. Mais pas question d’y voir une débâcle électorale: le PPA–CI a toujours dénoncé une élection truquée et des résultats qui ne reflétaient pas son réel niveau
d’implantation.
<< Laurent Gbagbo est dans un face–à–face avec lui–même, face à ses propres rêves politiques. Il les construit avec un électorat qu’il ne maîtrise plus complètement, qui s’est rétréci, avance Francis Akindès. Les jeunes s’en rendent compte et commencent à se dire que la Côte d’Ivoire peut vivre sans lui. S’ils lui reconnaissent ce passé d’homme de luttes, ils s’interrogent sur la pertinence de ses ambitions politiques actuelles alors qu’il est physiquement
diminué. >>
Présidentielle en Côte d’Ivoire : Alassane Ouattara, la grande hésitation
En juillet dernier, l’ancien président, qui fêtera cette année ses 80 ans, a lancé un appel pour une union de l’opposition afin de battre le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) d’Alassane Ouattara – le président ivoirien n’a pas encore dit s’il entendait se représenter à un quatrième mandat. Un appel auquel Pascal Affi N’Guessan, candidat lui aussi à l’élection pour le compte du Front populaire ivoirien (FPI), le parti fondé dans la clandestinité par Gbagbo dans les années 80, a répondu favorablement.
Divorce
Laurent Gbagbo « se bat pour son honneur, pour sa dignité. Quand votre dignité est en jeu, vous vous battez même si vous n’en avez pas envie. C’est le combat de 2010 qui se poursuit sur le plan judiciaire », est convaincu Affi N’Guessan, qui n’a pas revu l’ancien président depuis plusieurs années et qui plaide aujourd’hui pour «< une candidature unique de toute la gauche ». Reste qu’à huit mois de l’élection présidentielle, cette opposition peine à véritablement se structurer malgré des prises de contact et de discrètes négociations.
Et si Laurent Gbagbo a conservé autour de lui un noyau dur de fidèles d’une loyauté absolue, comme Assoa Adou, Sébastien Dano Djédjé, Georges Armand Ouégnin, Koné Katinan ou encore Damana Pickass (condamné Justin Koua) le 12 février pour atteinte à la sûreté de l’État dans l’affaire de l’attaque du deuxième bataillon projetable d’Abobo), reste qu’un certain nombre de ses soutiens de toujours se sont détournés de lui. Une partie d’entre eux n’a pas compris le positionnement politique de son nouveau parti – Laurent Gbagbo promet une normalisation des relations avec ses voisins putschistes s’il revient au pouvoir en 2025 –, tandis que d’autres ont été décontenancés par son retour à Abidjan au bras de sa compagne depuis de nombreuses années, Hadia Nadiany Bamba, dite << Nady», ancienne journaliste, musulmane originaire du nord du pays.
Côte d’Ivoire : l’opposition dénonce des procès politiques avant la présidentielle
Car aux yeux des militants et des partisans de Laurent Gbagbo, une seule femme existait jusque–là: la très populaire et très politique Simone Ehivet Gbagbo qui a depuis lancé son propre parti et s’est déclarée candidate à la présidentielle. Le couple a officiellement divorcé en 2023. Une séparation très médiatique. En août dernier, c’est d’une manière beaucoup plus confidentielle que Laurent Gbagbo a épousé «< Nady», entouré d’une quarantaine de proches.
Depuis, cette dernière, jusque–là très discrète, a été propulsée sur le devant de la scène politique, multipliant les sorties publiques et les appels à la réintégration de son époux sur les listes électorales. Elle devrait sans aucun doute être présente à Dabou à ses côtés début avril lors de <<< la fête de la renaissance» organisée par le parti afin de commémorer «<le retour à la vie de Laurent Gbagbo, symbole du renouveau de la lutte pour les libertés et de la démocratie >>.
JM source JA
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