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Pourquoi le Tchad met fin à l’anachronisme de la présence des soldats français dans les anciennes colonies 

N’Djamena rompt son accord de défense avec la France. Une annonce survenue jeudi soir, juste après une visite du chef de la diplomatie française, JeanNoël Barrot 

Pascal Airault 

Les faits << Après 66 ans de la proclamation de la république, il est temps pour le Tchad d’affirmer sa souveraineté pleine et entière, et de redéfinir ses 

partenariats stratégiques selon les priorités nationales », déclaré jeudi soir le ministre des Affaires étrangères 

tchadien Abderaman Koulamallah, mettant fin aux accords de coopération de sécurité et de défense avec la France

<< La décision, prise après une analyse approfondiemarque un tournant historique », précise le ministre qui 

souhaite un départ en bon ordre et la poursuite de la relation dans d’autres domaines

Le rapport Bockel sur la réarticulation du dispositif militaire français en Afrique tout juste remis lundi à Emmanuel Macron, il est déjà caduc. Le Tchad vient de 

rompre unilatéralement l’accord de défense qui le lie France, quelques heures après le départ du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, JeanNoël Barrot, en 

visite dans le pays

Dans un entretien au Monde publié dans la nuit de jeudi à vendredi, le président souverainiste sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, a également confié vouloir mettre un terme à la présence de soldats français au Sénégal. Ousmane Sonko, le Premier ministre du pays, appelle depuis longtemps à redéfinir la doctrine stratégique du pays et ses partenariats

 Faute d’être partie à temps d’Afrique, la France est mise dehors 

Pour les militaires français de la «< coloniale », c’est la fin d’une époque. << Je suis meurtrie que cela se passe de cette manière », regrette l’un d’eux. « Dans le rapport 

Bockel, la France s’accroche désespérément aux lambeaux de l’empire en proposant la mise en œuvre d’un partenariat de défense renouvelé sans voir la réelle 

dynamique en Afrique, exprime un autre officier. Nous avons fini par nous faire mettre dehors >>

La rupture est particulièrement douloureuse car elle nous prend de court. La France est aujourd’hui contrainte de quitter son théâtre d’intervention favori, faute d’être partie à temps et d’avoir su briser définitivement le lien militaire qui remontait aux colonies contrairement aux Anglais

Cela vaut à Paris d’être accusé d’ingérence, de néo- paternalisme. Certains dirigeants jouant à fond la rente mémorielle à des fins de politiques intérieures

Selon nos informations, les autorités tchadiennes n’ont pas prévenu la France de la soudaineté de leur décision

Depuis sa visite au Tchad, JeanMarie Bockel, l’envoyé spécial du président français, affirmait que l’esprit n’était pas à la fin de la coopération militaire. De quoi tomber de haut

<< La visite de JeanNoël Barrot s’était bien passée, assure un diplomate français. Le ministre a été très bien reçu par son homologue et le chef de l’Etat tchadien. Nous avons parlé de la question des réfugiés soudanais et évoqué de nombreux projets en matière de coopération civile. Malgré son annonce, le Tchad veut continuer à travailler avec nous ». Pourquoi alors cette soudaineté

Chasse aux électeurs. L’annonce intervient au lendemain de la journée de proclamation de 66e république et avant 

les législatives du 29 décembre alors que la chasse aux électeurs bat son plein. Selon un diplomate français, les Tchadiens ne font qu’acter les recommandations du 

rapport Bockel, une occasion de réaffirmer leur souveraineté. Il n’y aurait rien d’alarmant en fait. Cette annonce pouvant constituer la base pour reconstruire un partenariat

 Le Ghana, un partenaire idéal pour la France d’Emmanuel Macron << La France est un partenaire essentiel mais elle doit aussi 

considérer désormais que le Tchad a grandi, a mûri et que le Tchad est un État souverain et très jaloux de sa souveraineté », a déclaré jeudi le ministre des Affaires 

étrangères, tchadien Abderaman Koulamallah. Paris s’interroge pour savoir si d’autres partenaires, américainrusse, chinois, turc, vont prendre la place devenant vacante<< N’Djamena veut aujourd’hui reprendre la main sur sa souveraineté militaire et a besoin de couper les liens avec les pratiques du passé, confie un très proche du pouvoir

Notre armée s’est dotée de nouveaux équipements et multiplié les partenariats. Elle peut se débrouiller seule. La logique actuelle est la diversification de la coopération 

avec la Hongrie, la Turquie, la Chine, la Russie sans rompre avec les Français et les Américains >>

Emmanuel Macron et Mahamat Idriss Deby aux funérailles de l’ancien président tchadien Idriss Deby à N’Djamena, au Tchad, le 23 avril 2021 Christophe Petit Tesson/AP/SIPA 

Selon ce proche, le président Mahamat Deby est soumis à différents courants autour de lui, certains militaires et diplomates prônaient la rupture du lien militaire avec la 

France. Il a pris sa décision aussi en tenant compte de l’évolution des dans les capitales sahéliennes. Nombre de leaders d’opinions, intellectuels et représentants de la 

société civile appellent au départ des soldats français<< L’origine de la présence et de la coopération militaires en Afrique remonte au pacte tacite de la décolonisation de l’Afrique francophone, explique le chercheur Thierry Vircoulon, dans une note récente de l’Ifri. Cette coopération a permis la création des armées africaines 

des anciennes colonies et s’inscrivait dans le projet visant à éviter l’expansion du communisme et à maintenir l’influence de la France dans les pays nouvellement 

indépendantsEn 2024, les raisons qui présidaient à la coopération militaire française en Afrique ont presque toutes disparu. Cette coopération ne se justifie plus que 

pour aider les gouvernements d’Afrique de l’Ouest à lutter contre l’expansion de la menace djihadiste >>

Francophonie: le grand show d’Emmanuel Macron 

Depuis 1960, l’armée française est intervenue à 90 reprises sur le sol africain (*). Plus de 250 000 militaires 

ont participé à une opération extérieure (Opex). Leur vie exposé seize fois en Centrafrique et douze fois au Tchad

les théâtres privilégiés

<< Nous vivons la fin d’un anachronisme historique, confie Antoine Glaser, l’ancien rédacteur en chef de La Lettre du continent. Le dernier drapeau tricolore vient de tomber au Tchadpremier pays de la percée coloniale en 1900 »

Historiquement, le Tchad a occupé une position stratégique prépondérante pour la France. En 1898, l’ex- ministère des Colonies a élaboré un plan << Tchad >> visant 

à faire de ce territoire la charnière entre les possessions d’Afrique de l’ouest et équatoriale. Deux ans plus tard, la 

France y fondera FortLamy, le futur N’Djamena, à l’issue d’une bataille victorieuse. En 1940, le colonel Marchandcommandant militaire du territoire, et le gouverneur Félix Eboué annonceront leur ralliement au général de Gaulle

Les tirailleurs du Tchad participeront aux combats contre les Allemands et les Italiens en Libye

A l’indépendance, le président François Tombalbaye prend le pouvoir mais le Tchad reste un maillon essentiel pour une France qui va devenir le gendarme de l’Afrique 

dans ses excolonies. L’armée française sauvera la mise à maintes reprises des régimes successifs d’Hissène Habré 

(avant d’accompagner sa chute) puis d’Idriss Deby en 2008 et en 2019, les militaires français emportant le bras 

de fer contre les diplomates qui plaidaient pour ne pas intervenir

A lire aussi: Armée française en Afrique: Macron propose une coopération <<à la carte>> 

Au début de 1990, le ministre de la Défense Pierre Joxedécide de créer la Direction du renseignement militaire (DRM), notamment en raison des lacunes techniques 

observées au Tchad en matière d’images satellitaires. Le Tchad s’est ensuite avéré être le véritable laboratoire du renseignement français dans la région. Il a servi de base arrière pour les opérations de lutte contre le terrorisme au Sahel, particulièrement au Mali en 2013, et dans la réduction de la menace représentée par Boko Haram dans la région du Lac Tchad

L’importance de cette coopération a poussé Emmanuel Macron à se rendre aux obsèques du maréchal Deby en avril 2021, s’affichant au côté de son fils Mahamat Deby choisi par les officiers tchadiens pour lui succéder en dépit des dispositions constitutionnelles. On reprocha alors au président français d’entériner une << succession dynastique » contraire à ses objectifs affichés de promotion de la démocratie

Quid de la Côte d’Ivoire et du Gabon? La double annonce tchadienne et sénégalaise amène à se demander ce que feront la Côte d’Ivoire et le Gabon il reste aussi des bases militaires françaises permanentes? Les dirigeants de ces deux pays ont une élection présidentielle à organiser en 2025. Il ne fait guère de doute que le 

généralprésident Oligui (Gabon) sera candidat, Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) entretenant le suspense. La rupture du lien militaire est une opportunité pour gagner 

en popularité

A l’Elysée, on ne sait plus trop communiquer sur le sujet de la relation militaire ni affirmer les priorités stratégiques en Afrique. C’est du moins << service minimum » afin de ne pas prêter le flanc aux critiques des opinions africaines et des compétiteurs, particulièrement la Russie, alors que l’étatmajor des armées est astreint à la plus grande retenueIn fine, les dirigeants tchadien et sénégalais devraient rendre service au président Macron qui tente d’imposer

depuis le discours de Ouagadougou en 2017, une nouvelle approche de la relation avec l’Afrique. Or la militarisation de la relation éclipse les avancées en matière de 

coopération mémorielle, économique, culturellediplomatique, sportive, linguistiquePourtant, dès sa première campagne présidentielle, Emmanuel Macron 

envisageait de réduire les opérations extérieures mais il n’a jamais réussi à imposer totalement ses vues aux institutions militaires françaises pour mener une rupture majeure. Ses partenaires africains sont en train de le faire pour lui

(*) Requiem pour « la Coloniale » Afrique : conquête et retraite de l’armée française, Stephen Smith et Jean de La Guérivière, Grasset, 2024

Jean Moliere. / L’Opinion

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