14 juillet 2025
Paris - France
SOCIETE

Médias : les chaînes privées ivoiriennes forcées de repenser leur modèle économique 

Après sept ans de libéralisation de l’audiovisuel en Côte d’Ivoire, les chaînes privées comme Life TV ou 7info peinent à trouver un modèle économique viable. Une situation catastrophique qui remet le partage de la redevance au cœur des échanges entre les différents acteurs

Après 7 ans passés sur les plateaux de Canal+ Sport, le journaliste  présentateur Malick Traoré a rejoint la chaîne NCI en 2023

Elles ont redessiné le paysage médiatique ivoirien. Depuis la libéralisation de la télévision en septembre 2019, les chaînes privées font preuve d’une grande créativité. Elles s’efforcent d’attirer un public de plus en plus exigeant. À Abidjan, la rentrée médiatique n’est plus aussi fade qu’il y a six ans. Elle est attendue par les téléspectateurs pour la programmation et son mercato riche en arrivée de chroniqueurs célèbres

Et pourtant, depuis l’ouverture de l’audiovisuel, les chaînes n’y arrivent pas. Plusieurs promoteurs, contactés par Jeune Afrique, confient regretter leurs 

investissements dans le secteur. Ils estiment avoir «<jeté leur argent par la fenêtre >>. << Si je pouvais retourner en arrière, j’irais investir mon argent ailleurs. Cette histoire m’a asséché », confie l’un d’entre eux

Selon leur ligne éditoriale, elles mettent à l’affiche journalistes internationaux et célébrités des réseaux sociaux. Pour renforcer son offre sportive en marge de la 

CAN 2023, NCI a par exemple débauché Malick Traoré, en août 2023. Après sept années passées sur les plateaux de Canal+ Sport, le journaliste présentateur a rejoint une équipe qui compte des ténors de la présentation comme l’ancienne chanteuse Teeyah qui officiait sur la 3, la chaîne sportive et culturelle du groupe RTI

NCI, l’exception ivoirienne 

Des chroniqueurs, dont certains grands noms de la  sélection nationale comme Bakary Koné et Didier Drogba pendant la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) , incitent les téléspectateurs à suivre les rencontres proposées. Pour renforcer son assise, NCI a acquis en septembre dernier les droits de diffusions de la Ligue des champions européenne auprès de New World TV

Depuis cinq ans, la chaîne a étoffé son offre sportive, elle 

possède notamment les droits pour la retransmission de la Première ligue anglaise, de la saison 3 de la Basketball Africa League (BAL), des Championnats du monde d’athlétisme et des éliminatoires zone Afrique de la Coupe du monde FIFA 2026 pour tous les matchs de la Côte d’Ivoire

TNT Côte d’Ivoire : la TNT, c’est leur affaire 

Pour un observateur du paysage audiovisuel ivoirien, qui a requis l’anonymat, la NCI peut se permettre un tel mercato professionnel. << Elle en a les moyens quand on sait qui en est le promoteur. L’argent n’est pas un problème pour cette chaîne qui appartient à Loic Folloroux [le fils de la première dame ivoirienne]», arguetil

Chez les concurrents comme Life TV de Fabrice Sawegnon, on capitalise sur les réseaux sociaux pour cibler le jeune public. La «< télé sans filtre » parie sur le divertissement pour captiver son public. La diffusion des émissions attire ainsi des milliers de téléspectateurs sur Facebook

[NCI] a les moyens quand on sait qui en est le promoteur. L’argent n’est pas un problème pour cette chaîne qui appartient à Loic Folloroux [le fils de la première dame ivoirienne]

Un observateur du paysage audiovisuel ivoirien 

La chaîne s’impose également dans la création de miniséries qui séduisent une forte audience et lui permet de rivaliser avec A+ Ivoire (du groupe Canal+)

Si la chaîne fait bonne figure en public, la situation économique serait catastrophique en coulisses. «On a un succès d’audience, la chaîne est très appréciée, pour autant on a besoin d’aide parce qu’on est tous les jours 

sur la corde raide», confiait Fabrice Sawegnon à Jeune Afrique en février 2024

Exception parmi des télévisions généralistes, 7info, la chaîne d’information en continu, se trouve pour sa part dans une situation financière catastrophique. Jean- Philippe Kaboré, le propriétaire de la chaîne, avoue avoir repenser son modèle économique. << L’écosystème a évolué. Il y a cinq ans, la publicité représentait 85% de nos revenus. Elle ne représente actuellement que 10% de nos profits. On tire le diable par la queue », avouetil. Le groupe s’est résolu à vendre des spots publicitaires, des publireportages et à mettre en place des émissions sponsorisées

  Fabrice Sawegnon (Voodoo): << En Côte d’Ivoire, c’est toute l’économie qui a gagné la CAN » 

<<< Je vois les médias aller droit dans le mur » 

Ce point de vue est partagé par bon nombre de ses collègues qui ne se montrent pas défaitistes pour autant

Invité sur le plateau du 19 h 45 de NCI, Cheick Yvanne, présentateur et directeur des programmes de ladite chaîne, a analysé la situation de l’audiovisuel dans son 

pays. Pour lui, les médias se livrent à une concurrence féroce pour des statistiques (nombre de personnes connectées sur un direct) émanant des réseaux sociaux

<< Je vois les médias aller droit dans le mur, se casser la figure si rien n’est fait »>, poursuitilCheick Yvanne estime que les audiences sur les réseaux 

sociaux ne sont pas fiables. Alors que certains de ses concurrents se fient à ce public virtuel pour séduire des annonceurs. << Les réseaux sociaux ne sont pas l’audience de la télé. C’est une audience complémentaire, il faut que l’on recentre les choses », expliquetil

Côte d’Ivoire : la Nouvelle chaîne ivoirienne (NCI) sera lancée le 12 décembre 

Craignant des investissements massifs dans le divertissement pour contenter le public en ligne, il énonce la possibilité pour les annonceurs de ne pas 

suivre cette tendance. Pour pouvoir vendre des spots publicitaires, il réclame des mesures d’audiences <«< consensuelles ». Une requête formulée par l’ensemble 

de la profession

Interpellée par le manque de mesure d’audience publique, la Haute autorité de la communication et de l’audiovisuel (Haca) a décidé de prendre le problème à braslecorps. Depuis plusieurs mois, son président, René Bourgoin, élabore avec son équipe une mesure d’audience publique qui rassemble tous les acteurs et qui soit fiable

Le couac avec Canal

Dans le pays, les mesures d’audiences existent depuis toujours. Exploitées par des sociétés comme Médiamétrie et ChoiceMy, elles offrent une analyse 

complète des habitudes télévisées des Ivoiriens. Ces dernières semaines ont cependant donné lieu à un rappel à l’ordre de Médiamétrie et Canal+ par la Haca

Les réseaux sociaux ne sont pas l’audience de la télé. C’est une audience complémentaire, il faut que l’on recentre les choses

Cheick Yvanne 

Présentateur et directeur des programmes de NCI  Canal+, à travers sa filiale Canal+ Adversiting, s’est associée à Médiamétrie pour lancer Africamat. Cet outil répond aux besoins des annonceurs de disposer d’un moyen numérique de déterminer les audiences des différentes chaînes africaines pour affiner leurs stratégies publicitaires. Des spécialistes du domaine estiment le marché publicitaire audiovisuel à près de 10 milliards de francs CFA

Alors que cette stratégie est destinée à un usage interne, les deux entreprises ont effectué un lancement en grande pompe devant la presse. Il n’en fallait pas plus pour déclencher l’ire du régulateur ivoirien. Pour René Bourgoin, Canal+, qui possède la chaîne A+ Ivoire, ne peut pas être juge et partie. Cette sortie intervient au moment où le régulateur finalise les termes du lancement de son propre outil. La mesure d’audience de la Haca devait être opérationnelle en janvier 2025, selon son président. Le 21 janvier, l’autorité a annoncé le choix 

de la société britannique Kantar comme opérateur  technique

Pour encadrer ce service, les députés ivoiriens ont voté une loi qui donne les pleins pouvoirs au régulateur

<< Toute mesure réalisée en dehors de la Haca et de sa  certification est une mesure illégale. Elle se fait en violation de la loi ivoirienne», tance le président de la 

Haca

 Ce que le rachat de MultiChoice par Canalva changer pour l’audiovisuel africain 

Audelà de la question des mesures d’audiences, les chaînes de télévision privées lorgnent toutes sur le pactole de leur concurrent, la RTI. Le groupe public bénéficie, depuis sa création en 1962, d’une assistance particulière de l’État. Il perçoit, pour son fonctionnement, des subventions publiques une redevance prélevée sur les factures d’électricité , et des gains provenant de la publicité. Aujourd’hui, cette redevance cristallise les tensions entre l’audiovisuel public et le privé

Toute mesure réalisée en dehors de la Haca et de sa certification est une mesure illégale. Elle se fait en violation de la loi ivoirienne

René Bourgoin Président de la Haca 

Les sommes versées à la RTI ne sont pas publiquesmême la Haca n’est pas en capacité d’avancer un montant. Plusieurs promoteurs de télévisions estiment 

ce montant à 12 milliards de F CFA environ 18,3 millions d’euros

Selon une source au fait de la question, la totalité des 12 milliards n’est pas reversée dans les comptes de la RTI. Au contraire, l’État y prélève une quotepart destinée à la Société ivoirienne de télédiffusion (IDT)qui assure la diffusion de la TNT. Le groupe n’a pas souhaité répondre aux sollicitations de Jeune Afrique sur la question de la redevance

Les chaînes privées réclament des mesures pour freiner la domination de la RTI. Elles ont ainsi demandé à la Haca que la redevance soit partagée entre toutes les chaînes et que la télévision publique ait interdiction de diffuser de la publicité en prime time. Si tel était le cas, la RTI, déjà privée d’une partie de la taxe télévisuelle, pourrait avoir à faire face à de lourdes conséquences financières

Côte d’Ivoire : les coulisses du bras de fer entre les chaînes privées de la TNT et la RTI 

Du côté de la Haca, il est hors de question de prendre position. << Si l’on empêche la RTI de diffuser des pubs pendant les heures de fortes audiences et qu’on lui supprime la redevance, il faudrait augmenter les subventions publiques. Ces différentes options ne sont pas envisageables », assure René Bourgoin, qui confie 

que les négociations se poursuivent avec les chaînes privées

<<< Il faut autre chose que la redevance »>, estime Jean- Philippe Kaboré. « Personne ne souhaite que la RTI perde sa redevance, l’idée n’est pas qu’elle touche moins d’argent. Moi, je veux toucher plus d’argent. Donc, s’il y a une redevance, qu’elle soit partagée à tous », poursuit celui dont le média se trouve dans une situation 

financière particulièrement difficile

Jean  MOLIERE/ source JA

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