Le Point vous propose une enquête exceptionnelle : les secrets des nouveaux mafieux. Parmi eux, les « cults » au Nigeria. « Les mafias nigérianes sont très puissantes, protéiformes et insaisissables. Elles savent imposer l’omerta, peut-être mieux que les mafias italiennes, parce qu’elles tirent leur source d’une longue histoire liée aux sociétés secrètes. » Avant de se transformer en organisations criminelles, les « cults » étaient des confraternités étudiantes non violentes. Tout commence au début des années 1950, alors que les pays africains revendiquent leur indépendance. Wole Soyinka, Prix Nobel de littérature, est à l’origine de l’une d’elles, les Pyrates ou Confrérie des pirates, fondée à l’université d’Ibadan.
Nés dans les universités à la fin des années 1970, plusieurs réseaux mafieux nigérians étaient à l’origine de simples confraternités.
« Les mafias nigérianes sont très puissantes, protéiformes et insaisissables, pointe d’emblée Emmanuel Ingah, spécialiste de géopolitique nigérian. Elles savent imposer l’omerta, peut-être mieux que les mafias italiennes, parce qu’elles tirent leur source d’une longue histoire liée aux sociétés secrètes. » Avant de se transformer en organisations criminelles, les « cults » étaient des confraternités étudiantes non violentes.
Ses membres ont professionnalisé les Yahoo Boys, ces jeunes hommes qui détournent des sommes énormes grâce à des arnaques en ligne appelées “escroquerie 419” [en référence au numéro d’une loi du Code pénal qui punit ce crime, NDLR] vers d’autres secteurs de la criminalité, comme le trafic de drogue et d’êtres humains »
Comme si elle anticipait les recompositions annoncées du système universitaire nigérian, l’université d’Ibadan semble refuser l’entrée dans le troisième millénaire. Son calendrier s’est arrêté en 1998, quelques semaines après les célébrations (en novembre) marquant son cinquantième anniversaire. Depuis lors, les grèves des enseignants, puis des étudiants, et une longue fermeture administrative, consécutive à l’assassinat du responsable de la sécurité du campus, ont maintenu clos les amphithéâtres et les laboratoires.
Pourtant, en ce mois de novembre, quelques jours durant, l’atmosphère festive et la mobilisation de tous autour du slogan « 50 years of excellence: the first and the best » ont pu faire illusion avec des conférences et séminaires quotidiens, des publications commémoratives, une visite du chef de l’État, des concerts, la réfection du portail d’entrée du campus, la peinture des façades de halls de résidence et des facultés, une alimentation continue en électricité… Autant de symboles d’une « excellence » si peu familière aux étudiants et aux enseignants des années 90 A. Uganwa, « Nigeria’s premier university is 50 and is…. Difficile en effet d’oublier, pour un étudiant (même paré de sa toge et prêt à recevoir son diplôme devant le chef de l’État), les six années passées sur le campus pour obtenir une licence en raison des grandes grèves des années 1995 et 1996, le partage à dix ou douze de chambres conçues pour quatre, les heures passées agrippé aux rebords de fenêtres d’amphithéâtres bondés, ou encore les violents règlements de comptes du mois d’août 1998 entre sociétés secrètes étudiantes et leurs quatre morts, dont un laissé en « exposition » vingt-quatre heures durant devant la cafétéria centrale du campus.
Le 17 novembre, « foundation day », la fête tourne court : excédés par la présence à la table d’honneur d’un notable politique d’Ibadan connu pour ses affinités avec le régime du général Abacha, et responsable de la répression des manifestations du 1er mai 1998 qui aurait fait quatre morts parmi les leurs, les étudiants se lancent dans une chasse à l’homme. Le fuyard en sort indemne, mais l’incendie de son cortège de six voitures, dont une limousine blindée, clôt la cérémonie en un feu d’artifice d’apothéose.
Les universités nigérianes n’ont, en Afrique, ni le monopole de la déliquescence ni celui de la délinquance. Elles symbolisent cependant la déréliction la plus achevée de tout l’ensemble du système public d’enseignement supérieur, et la transformation consécutive des institutions en espaces de non-droit. L’une des illustrations les plus dramatiques et les plus représentatives de ce processus nous est offerte par la prolifération, depuis une quinzaine d’années, de véritables gangs maffieux, principalement étudiants, sur les campus universitaires, connus sous le nom d’emprunt de sociétés secrètes (« secret cults »). Leur contexte de naissance, ou de renaissance, leurs relations avec les syndicats étudiants, les réactions de la communauté universitaire, de l’administration et de l’État à leurs actions terroristes sont aujourd’hui l’objet d’études dont il convient de rendre compte à la lumière des événements les plus récents.
Des faits et de leurs interprétations
Le 10 juillet 1999, l’université d’Ife (Obafemi Awolowo University), à peine remise de longues semaines de fermeture, se trouve à nouveau plongée dans la terreur : environ 250 membres d’une société, habillés de noir, masqués et en possession d’armes à feu et de machettes, pénètrent dans la cité universitaire Obafemi Awolowo. S’ensuivent des scènes rapportées comme une « véritable boucherie » où six résidents, dont le secrétaire général du syndicat local des étudiants, sont assassinés
Cet événement a suscité une réaction inédite et spectaculaire de la part des étudiants, relayés par leur syndicat national: dans les deux jours suivant l’attaque, ils capturent des dizaines de « cultists » présumés, organisent des manifestations en ville et sur le campus. Cette mobilisation, soutenue par le gouvernement, les autorités traditionnelles et religieuses, les syndicats enseignants, impose une intervention rapide des forces de police. Les étudiants ne s’en satisfont pas et maintiennent la pression jusqu’à ce que le gouvernement prenne la décision, sans précédent dans ce type d’affaire, de suspendre le vice-chancelier de ses fonctions .The Comet, 16 juil. 1999..
En septembre 1999, plusieurs campus du sud du pays sont investis par l’organisation Global Peace Movement, qui, soutenue par le gouvernement et la police, entreprend une vaste opération baptisée « Secret Cult Renounciation Rally’99 ». Des véhicules équipés de haut-parleurs sillonnent les campus jusque dans les quartiers résidentiels des enseignants, diffusent en pidgin (anglais créolisé) des appels à l’arrêt des violences, et annoncent des manifestations de renonciation et d’amnistie publique des cultists repentis. Le traumatisme d’Ife et la prompte réaction du nouveau gouvernement élu auraient-ils levé une sorte de tabou, celui de la responsabilité de la communauté universitaire, et de l’administration en particulier, dans la prolifération de groupes dont les actions auraient entraîné la mort de près d’une centaine de personnes (étudiants pour la plupart) depuis le début des années 90) ?
Variations ambiguës sur l’origine et la filiation
Si les sociétés secrètes ne font les manchettes de la presse nationale que depuis un peu plus de dix ans . O. A. Adelola, « Campus cults and the mass media », in O. A.…, leur existence sur les campus est généralement présentée comme partie intégrante de la culture universitaire nigériane. C’est là toute l’ambiguïté d’un phénomène social et politique (des groupes de pression maffieux qui tirent partie de la dés-institutionnalisation de la cohésion sociale des campus et de l’affaiblissement du syndicalisme étudiant dans les années 80) auréolé à la fois d’une légitimité culturelle et d’une filiation historique prestigieuse .
La plupart des travaux universitaires établissent un lien entre….
Dans un premier temps, journalistes et universitaires ont en effet présenté le phénomène comme une dégénérescence des organisations des années 50. Les sociétés d’alors (les « confraternités », comme il en existe sur les campus américains ou anglais), vouées à une résistance « intellectuelle » à l’esprit colonial de l’université d’Ibadan, auraient, selon ces interprétations, disparu dans les années 60 et 70, pour réapparaître lors de la décennie suivante à la faveur du malaise des universités. Sous couvert d’anonymat, les cultists ont été invités à expliquer les fondements de leur action. Ils ont profité de cet accès privilégié à la presse pour faire valoir la lignée prestigieuse dont ils seraient issus, entretenant une confusion, y compris parmi les étudiants, entre une réalité inquiétante (les règlements de comptes meurtriers, les initiations sordides) et une légitimité ancienne: leurs noms, leurs rituels, leurs codes linguistiques, leur tenue vestimentaire ne sont-ils pas, après tout, les mêmes que ceux de leurs illustres prédécesseurs, devenus professeurs, ministres, gradés de l’armée et même prix Nobel ?
Interpellés sur le sujet, les fondateurs de la « Pyrate confraternity » ont dû à plusieurs reprises afficher leurs distances vis-à vis-de cette « résurgence
La Pyrate confraternity ferme toutes ses branches en 1984 en… » de leur organisation, en insistant sur le caractère « bon enfant » de leur projet d’alors: « …We believed that a university education should be fun without the viciousness which was prevalent on campus. We also thought students should map out a character of their own rather than follow sheepishly the norms and traits of our largely European staff. One day, seven of us got together in somebody’s room and said “let’s start something”… Wole Soyinka, cité dans I. O. A. Adeola, art. cit., p. 53. » Le contexte colonial et nigérian mis à part, ces évocations rappellent effectivement plus le Cercle des poètes disparus conquis par les idées de H. D. Thoreau, que la barbarie des crimes commis en juillet dernier à Ife.
Du « folklore dégénéré » au « problème social »
Tant que les cults s’en tiennent à des activités souterraines et à des opérations de règlements de comptes, aussi violentes soient-elles, leur appartenance à la culture universitaire leur confère une certaine impunité. Le phénomène ne devient un « problème » social et politique qu’à partir des années 1994-1995, lorsque affluent les témoignages de menaces sur le corps enseignant, sur l’administration et sur les autres étudiants. La presse se lance alors dans des investigations plus sérieuses où l’on apprend que les cults recrutent entre autres parmi les enfants de la classe dirigeante, qu’ils ont des ramifications hors campus et parmi le corps enseignant, qu’ils influencent les politiques d’admission et d’attribution des chambres universitaires, qu’ils opèrent comme de véritables groupes de pression à l’intérieur des syndicats locaux étudiants. Pour la première fois, des étudiants sont arrêtés et remis à la justice. Les événements impliquant les secret cults sont trop nombreux en 1994 pour y voir une simple coïncidence. Il convient ici de rappeler que la situation politique du pays, marquée par l’annulation, en 1993, du processus de transition démocratique et la reprise en main du pouvoir par le général Abacha, a généré une crise aux multiples facettes. En particulier, syndicats enseignants et étudiants se sont lancés dans une série de grèves qui ont entraîné de longues fermetures d’établissements Y. Lebeau, « L’interminable transition démocratique au….
C’est également à partir de cette époque que les travaux universitaires nigérians émergent. Les facteurs du développement de ce phénomène sont largement étudiés selon deux types principaux de perspectives. Une première approche, que l’on pourrait qualifier de morale et légale, est illustrée notamment par les recherches de l’historien T. N. Tamuno et du juriste J. D. Ojo. Les travaux de ces deux auteurs sur le monde universitaire nigérian sont connus de longue date, en particulier ceux de Tamuno, à qui l’on doit les rares ouvrages disponibles d’histoire sociale de l’université. notamment Ibadan Voices, University of Ibadan La question de la violence sur les campus, ainsi que celle des sociétés secrètes étudiantes, n’occupe en revanche une place centrale dans leurs travaux qu’à partir des années 90 .Voir T. N. Tamuno, Peace and Violence in Nigeria, The Panel on…. Les auteurs associent résolument le développement des sociétés secrètes à une détérioration des termes de l’expression collective étudiante et à une carence de l’encadrement de la vie étudiante sur le campus. Les cults deviennent sous cet angle l’une des traductions de la décadence universitaire, à l’image du syndicalisme (de plus en plus violent) ou de la multiplication des sectes religieuses qui tendent à outrepasser le cadre légal des activités étudiantes.
Ce point de vue est également défendu par W. Soyinka dans l’une de ses dernières allocutions publiques à l’université d’Ife, pointant délibérément la collusion existante entre diverses instances de l’expression étudiante (syndicats, groupes religieux, secret cults) et les enjeux de pouvoirs qui les lient ou les opposent. Les cults ne seraient, selon Soyinka, que l’une des facettes de la lutte actuelle de groupuscules influents pour le contrôle du vacuum offert par la dérive de l’institution universitaire : « Does a grouping have to be a cult to be vicious ? The answer of course is “no”. Does it have to be secret to be degenerate ? Again this answer is “no”. I propose that the most degenerate cults or quasi-cults are the religion inspired ones, gangs that roam the campus in open daylight and assault women either for their dressing or for daring to hold hands with boy friend, citing as authority the dictates of their religions W. Soyinka, « Democracy and the university idea: the student…. »
J. D. Ojo s’est intéressé en particulier aux incidences légales de la montée de la violence étudiante dans les années 80. L’auteur associe l’existence d’une culture étudiante violente sur les campus au fait que les générations actuelles sont nées sur les cendres de la guerre civile (la guerre du Biafra) et d’une banalisation de la violence politique [12]J. D. Ojo, Students’Unrest in Nigerian University…, op. cit.. Ojo rejoint également Tamuno sur le constat d’une tolérance de la société, sinon d’une bienveillance, à l’égard d’un activisme étudiant, pourtant souvent minoritaire et violent, en vertu d’une certaine « exubérance de la jeunesse » normale et passagère [13][13]T. N. Tamuno, Peace and Violence in Nigeria, op. cit.. Enfin, Ojo estime que le concept d’autonomie de l’Université, toujours effectif sur le plan légal, porte également une responsabilité, en transformant les campus en espaces de permissivité: « University autonomy and academic freedom have been stretched to give some protection to students when exercising their rights as students in a universty environment. Coupled with this is the concept of private property which is strictly adhered to even by the police, namely that university campuses are private property and that the police cannot intrude into activites on campus unless they are invited [14][14]J. D. Ojo, Students’Unrest in Nigerian University…, op. cit.,…. »
15Seul le vice-chancelier dispose du droit d’« inviter » les forces de l’ordre à intervenir sur un campus. Si les exemples abondent dans les cas de manifestations et de grèves, ils sont en revanche rares dans les cas de délinquance, au nom de stratégies d’« apaisement » qui dissimulent en fait souvent une volonté des vice-chanceliers d’étouffer les événements de nature à ternir l’image de leur établissement. À cet égard, J. D. Ojo souligne ce faisant que les autorités universitaires prennent des mesures souvent précipitées et contraires au droit (expulsions), qui, lorsqu’elles sont contestées devant la Haute Cour de justice, sont généralement invalidées.
C’est donc à l’abri d’une certaine loi du silence qu’auraient, selon cette interprétation, proliféré les secret cults, au point de contraindre l’État à intervenir directement en 1989 au moyen d’un décret très contesté, destiné à « freiner les excès du syndicalisme étudiant 15]Ibid., p. 27. Il s’agit du « Students Union Activities Control… ». Selon T. N. Tamuno et J. D. Ojo, ce décret aurait surtout souffert d’une mauvaise application et de certains abus, notamment de la part de chefs d’établissement dont les pouvoirs se trouvent encore renforcés.
Du problème social à la criminalisation politique
La seconde approche du phénomène des cults, celle des sociologues, s’écarte résolument de celle évoquée ci-dessus sur l’interprétation de ce décret. Sans remettre en cause le problème juridique évoqué par J. D. Ojo, ni l’existence d’une culture « violente » au sein de la population étudiante, elle situe résolument le phénomène dans le contexte politique et économique des années 80, marquées par l’introduction du Programme d’ajustement structurel (PAS) et le démantèlement de la protection sociale des étudiants: « The secret cults have capitalised on this crisis to proliferate. Some of the cults have grouped together in order to achieve economic strengh to face the harsh economic environment. It has been reported that by the use of threats and intimidation, cult members extort money from other students as protection money. They also guarantee the provision of those infrastructures, which are inadequate in the universities, such as accomodation, for their members ][16]T. O. Ifaturoti, « Delinquent subculture and violence in…. »
La perspective de T. O. Ifaturoti introduit pour la première fois la notion de « gangs » dans l’approche des cults étudiants, et notamment dans l’analyse de leur structuration interne et de leur rapport à la loi. Cette interprétation sociologique est utilement complétée par celle de I. P. Onyeonoru, qui étend au climat politique des « années Babangida » (1985-1993) les facteurs de dérive criminelle des cults : « The influence of the wider authoritarian state and military control strategies are also evident in the relationships between campus administrators and the cults in certain cases. While the (military) governments at various levels often sponsor spinter groups against the students’ unions, campus administrators sometimes use the cult members as “watchdogs” in intra-campus conflicts . P. Onyeonoru, « Nature and management of students’…. » Cette responsabilité politique apparaît au grand jour selon les deux auteurs avec le décret 47 de 1989, adopté au lendemain des révoltes étudiantes consécutives à la mise en place du PAS. Celui-ci procède clairement, selon eux, d’une volonté de déstructuration du syndicalisme, comme si les pouvoirs militaires n’avaient eu, pour seule ressource contre les Unions étudiantes, qu’une entreprise de disqualification par infiltration.
Cette position peut paraître extrémiste et finalement assez classique. Onyeonoru rappelle cependant que l’application du décret marque un regain plutôt qu’une disparition des activités des cults. Elle émane par ailleurs d’une génération d’universitaires qui, n’ayant pas connu le passé radieux auquel se réfèrent à l’envi leurs aînés (dont Tamuno et Ojo font partie), n’hésitent pas à associer la prolifération des cults à une dépréciation générale du rôle de l’Université, et donc de celui des enseignants.
La violence, l’informel et l’horizon de l’université publique
Le fonctionnement des cults est désormais relativement bien connu grâce au travail d’investigation de la presse nigériane. Comme nous venons de le voir, les chercheurs se sont quant à eux plutôt concentrés sur l’explication du phénomène, délaissant une investigation ethnographique qui reste à faire. Plusieurs facteurs permettent de comprendre cette réalité: d’une part, les secret cults sont des groupes réputés dangereux et par définition fermés au monde extérieur; d’autre part, les sciences sociales nigérianes sont peu familières des méthodes d’enquête qualitative; enfin, en tant qu’acteurs du monde universitaire, les chercheurs nigérians sont placés dans une situation d’interaction avec les cultists (leurs étudiants) qui rend complexes les objectifs préalables de distanciation nécessaires à une telle investigation.
On peut cependant noter deux études récentes, initiées en 1998 par l’Institut français de recherche en Afrique (IFRA-Ibadan), centrées chacune sur l’approche d’un campus particulier M. Ogunsanya, « The impact of campus secret cult…. Les deux auteurs ont essayé, chacun à leur manière, de cerner les modes de recrutement des cults, ainsi que les motivations des étudiants qui rejoignent ces organisations. Conduites sur un mode informel, les interviews de cultists réalisées par M. Ogunsanya sont riches d’enseignement, même si la méthode employée soulève de nombreuses interrogations. On y apprend par exemple que, parmi les dix principales motivations avancées, figurent en bonne place la « protection personnelle » et la « réussite aux examens », et que l’un des principaux critères de recrutement des groupes est l’offre gratuite d’hébergement et l’assistance dans les démarches d’admission.
Si ces deux études nous informent encore peu sur l’identité sociale des cultists et sur la structuration nationale des organisations, il apparaît clairement, au vu des informations fournies, que la prolifération des cults (une dizaine d’organisations recensées sur le seul campus d’Ibadan) traduit certainement plus une dérégulation de la gestion des campus qu’une hypothétique criminalisation des rapports sociaux dans le Nigeria contemporain. En ce sens, les cults remplissent une fonction de contrôle social .
Les associations étudiantes en charge de la gestion des halls…, abandonnée par l’administration, et, surtout, ils offrent une illustration extrême de ce nouvel espace social que Boubacar Niane qualifie, dans le cas du Sénégal, d’« informel »: « Dans ce nouvel espace, les agents développent des stratégies fondées sur l’occupation d’un secteur non investi par l’État et/ou ses démembrements. Les “frustrés” (déclassés de l’institution scolaire et universitaire) s’engouffrent dans ces espaces où l’État a fait faillite…B. Niane, « Permissivité d’un espace de formation : le cas de… »
La prolifération des institutions d’enseignement supérieur dans le sud dense et très urbanisé du Nigeria a conduit à une explosion de la demande sociale et à une institutionnalisation du diplôme qui exercent aujourd’hui une forte pression sur les universités publiques, encore seules détentrices, localement, d’un pouvoir dispensateur de l’« excellence » conférée au titre scolaire. Leur déclassement progressif au profit des institutions privées ou internationales se manifeste aujourd’hui par un basculement dans l’informel (et dans la violence pour le cas qui nous occupe ici), favorisé par le statut juridique des universités et l’organisation sociale propre aux campus résidentiels nigérians.
Face à des enseignants rendus corruptibles par les conditions de services auxquelles ils sont soumis, à une administration trop chichement équipée pour maintenir un système fiable d’admission et de contrôle des procédures d’allocation de chambres, une brèche s’est ouverte pour les pratiques illicites, elles-mêmes enjeux de pouvoir. La communauté universitaire dans son ensemble se trouve prise au piège de l’informel, qui sonne le glas de sa position dominatrice dans le champ de plus en plus ouvert de l’enseignement supérieur. On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, qu’il ait fallu attendre les dérives sanglantes des années 90 pour que les universitaires emboîtent le pas des journalistes vers une analyse des secret cults dépassant l’interprétation moraliste de la dégénérescence du folklore universitaire.
Les cults continuent, en novembre 1999 et en dépit du sursaut consécutif au traumatisme d’Ife, d’influer sur la régulation de la vie universitaire. Leur démantèlement semble lié au futur statut des universités publiques du pays. L’attitude de l’administration Obasanjo dans le règlement du conflit salarial qui l’oppose aux universitaires (en grève depuis plus d’un mois) sera le premier indicateur sérieux des recompositions qui s’annoncent. Dont l’issue, à n’en point douter, dévoilera les intentions du régime civil quant à l’avenir des institutions publiques d’enseignement.
Jean Moliere Soiurce Point Afrique
Leave feedback about this