Lors de la réception à l’Elysée du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, Emmanuel Macron s’est montré prisonnier de ses contradictions, entre la défense de droits dits universels et la pratique de relations bilatérales conçues à l’aune d’intérêts militaires, économiques, migratoires ou antiterroristes.
Ces dernières semaines, Emmanuel Macron s’est lancé dans une vaste campagne de communication à l’intention des pays à majorité musulmane, en Asie et au Moyen-Orient, pour faire la pédagogie de la laïcité à la française, après l’assassinat de Samuel Paty. Au gré de plusieurs entretiens, le président a défendu avec conviction la liberté d’expression et les droits de l’homme. Lundi 7 décembre, aux côtés du président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, à l’Elysée, M. Macron s’est engagé une nouvelle fois dans une dissertation orale sur la supériorité des valeurs humaines sur les valeurs religieuses, invoquant la philosophie des Lumières.
Ces références éminemment louables auraient plus de force si le chef de l’Etat ne renonçait, en même temps, à leur portée universelle, dès lors qu’il s’agit de la dignité humaine dans un autre pays, en l’occurrence l’Egypte. M. Macron s’est dit « l’avocat constant d’une ouverture démocratique, sociale et de la reconnaissance d’une société civile dynamique et active ». La réalité est pourtant tout autre.
Depuis l’arrivée au pouvoir du maréchal Sissi, en 2013, le pays a basculé dans une répression totale, contre les militants prodémocratie, les journalistes indépendants, les organisations documentant les abus des forces de sécurité, les représentants des minorités comme les LGBT. Disparitions, tortures, détentions arbitraires : tout cela est établi, prouvé, mais continue, hélas, d’autant que la présidence Trump a offert au régime égyptien une latitude totale.
Les impératifs de la realpolitik
Une nouvelle fois, lundi, Emmanuel Macron a choisi d’évoquer des cas individuels de prisonniers d’opinion – les ONG estiment leur nombre à 60 000 en Egypte –, soumis au bon vouloir du Caire, comme il l’a fait avec la Chine. Ce qu’une main broie, l’autre peut ensuite le relâcher. Dans ces pays, faute d’Etat de droit, l’Etat a tous les droits.
Le président français a dit qu’il croyait en « la souveraineté des peuples », pour justifier tout refus d’ingérence. Mais de quelle souveraineté s’agit-il en Egypte, sans élections libres ? Opposé à la « diplomatie de l’Hygiaphone et de la provocation », comme il l’a décrite lors de son voyage en Chine en 2018, M. Macron ne s’en retrouve pas moins prisonnier de ses propres contradictions, entre la défense de droits dits universels et la pratique de relations bilatérales conçues à l’aune d’intérêts militaires, économiques, migratoires ou antiterroristes.
Ces intérêts sont réels. Il existe une convergence de vues importante entre la France et l’Egypte sur la Turquie et ses coups de force en Méditerranée orientale, son utilisation de mercenaires syriens, son rôle en Libye aux côtés du gouvernement de Tripoli. En plus des Emirats arabes unis, l’Egypte est un allié précieux pour la France dans la région, et un client essentiel pour son industrie militaire.
Mais, quels que soient les impératifs de la realpolitik, le spectacle de la mutation de la question pratique, incarnée, existentielle, des droits de l’homme dans la diplomatie française en discours abstrait sur les valeurs, chacun, au fond, pouvant les interpréter à sa guise, est toujours douloureux. Emmanuel Macron défend l’histoire et l’identité françaises, mais a beaucoup de mal à faire valoir, dans ce monde éclaté où la civilisation européenne est si contestée, l’éclairage des Lumières hors de nos frontières. Les tourments intérieurs de l’Union européenne – avec la dérive liberticide des droites hongroise et polonaise – ne donnent guère de puissance, il est vrai, à nos paroles de principe.
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