Défendre les droits de l’homme au Pakistan, c’est encore risquer sa vie. Même quand on n’habite plus dans le pays, et qu’on a demandé l’asile politique. C’est la seconde fois cette année qu’un activiste œuvrant en faveur d’un Baloutchistan indépendant est retrouvé mort dans son pays d’accueil.

Karima Mehrab Baloch, 37 ans, réfugiée au Canada depuis 2015, est sortie se balader dans les rues de Toronto, dimanche après-midi. «De bonne humeur», a déclaré son mari, Hammal Haider, au Guardian, balayant les allégations de suicide. Une promenade dont elle avait l’habitude, de surcroît. Cette fois-ci, elle n’est jamais revenue. Son corps a été retrouvé le lendemain, après un appel lancé par la police sur Twitter. Sa mort intervient quelques mois après celle de Sajid Hussain, journaliste qui alertait à propos des violations des droits de l’homme au Baloutchistan, la province pakistanaise la plus pauvre et la plus rurale, en proie à des conflits armés. Il vivait en Suède.

Parmi les 100 femmes les plus influentes au monde

Activiste depuis une quinzaine d’années, Karima Baloch a dirigé l’association estudiantine Baloch Student Organization (BSO), prenant la succession de Zahid Baloch, son oncle, lui aussi enlevé et assassiné en 2014. L’organisation avait officiellement été interdite un an plus tôt. A l’âge de 29 ans, étudiante en psychologie, elle est la première femme à accéder à une telle position. Son mouvement apparaît par ailleurs comme l’un des seuls à avoir réussi à attirer et mobiliser une population féminine. A sa tête, elle privilégie surtout des moyens pacifiques, comme des manifestations ou des marches, mais déclare également que toute lutte contre l’injustice, même armée, est légitime.

En 2016, elle fait partie du classement de la BBC réunissant les 100 femmes les plus influentes et les plus inspirantes au monde. «La mort de la militante Karima Baloch à Toronto est extrêmement choquante et doit faire l’objet d’une enquête immédiate et efficace. Les auteurs doivent être traduits en justice, sans recours à la peine de mort», a tweeté l’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International.

«Menaces»

Malgré son départ du Pakistan, Karima Baloch n’avait cessé de se battre contre les violations des droits de l’homme dans son pays. Elle participait à des conférences, n’hésitait pas à écrire des tribunes ou à manifester. Elle dénonçait le phénomène des disparitions forcées, des accusations réfutées par les autorités pakistanaises.

Son ami de longue date Lateef Johar, coordinateur du Conseil pour les droits de l’homme du Baloutchistan, a confié à la BBC qu’elle «avait reçu des menaces de la part de numéros inconnus pakistanais sur WhatsApp, après l’enlèvement d’adolescents au Baloutchistan en 2017». Selon lui, les auteurs de ces messages lui demandaient de revenir au Pakistan afin que les charges qui pesaient contre elle soient abandonnées. Il a également fait part de menaces plus récentes, lui promettant «un cadeau de Noël», une «bonne leçon». La police de Toronto a déclaré dans un communiqué ne pas mener l’enquête comme «une affaire criminelle», invoquant l’absence de «circonstances suspectes».

Le BSO lui a rendu hommage et a lancé une campagne de soutien en ligne sur Twitter. Le mouvement national du Baloutchistan a annoncé un deuil de quarante jours.

Margot Davier   Libération