10 décembre 2024
Paris - France
POLITIQUE

La Fesci dissoute, retour sur la puissante et violente fédération estudiantine ivoirienne

Le Conseil national de sécurité ivoirien a annoncé la dissolution de toutes les associations estudiantines le 17 octobre. Dans le viseur des autorités : la plus puissante et la plus violente d’entre elles, la Fesci, dans la tourmente après que deux meurtres lui ont été imputés.

e 30 septembre, le corps de l’étudiant Agui Mars Aubin Deagoué, surnommé « Général Sorcier » et décrit comme le “principal rival” du secrétaire général de la Fesci (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire), est retrouvé sans vie au CHU de Cocody à Abidjan.

Le lendemain, alors que la Fédération est visée par le procureur de la République, les autorités suspendent de manière conservatoire toutes ses activités, et dénoncent “un acte de barbarie d’un autre âge”. Quelques jours plus tard, un second meurtre d’étudiant intervenu au mois d’août est révélé par le parquet, également imputé à la Fesci.

En tout, 17 “Fescistes” sont arrêtés dans le cadre des enquêtes sur ces meurtres, dont le secrétaire général, Kambou Sié.

Armes blanches, tunnel de torture et maison close

Depuis ces évènements, les autorités étaient poussées de toutes parts à agir contre la fédération estudiantine. Le 5 octobre dernier, elles lui portent un premier coup, en expulsant plus de 5 000 personnes, étudiants ou non, logés par la Fesci dans les cités universitaires d’Abidjan, de Bouaké et de Daloa. Depuis de nombreuses années, la Fédération s’était arrogée l’attribution et la gestion des chambres universitaires.

Les forces de l’ordre qui prennent d’assaut le campus à cette occasion y découvrent “un lot important d’armes blanches dont 107 machettes, de grenades et plusieurs autres matériels, notamment des treillis des Forces de défense et de sécurité” comme le rapporte le Conseil national de sécurité dans son communiqué du 17 octobre. Un tunnel de torture, une maison close, et quatre fumoirs sont aussi détruits à cette occasion. L’intervention se solde par 28 arrestations.

Logements dans la cité universitaire du campus de l’Université Félix Houphouët-Boigny à Abidjan, octobre 2024.
Logements dans la cité universitaire du campus de l’Université Félix Houphouët-Boigny à Abidjan, octobre 2024. © Julia Guggenheim

Une histoire violente liée à la vie politique ivoirienne

Les ivoiriens n’ont pourtant pas attendu cette date pour découvrir la violence de la Fesci, intrinsèquement liée à l’histoire de la Fédération, qui est elle-même totalement imbriquée à la vie politique du pays. À sa naissance dans les années 90, la Fesci bat le pavé pour demander plus de démocratie et de multipartisme, au côté des partis d’opposition, dont le FPI de Laurent Gbagbo.

Alors qu’elle entre en clandestinité en 1991 après une première dissolution, ses membres s’entraînent et s’organisent de manière quasi-militaire. Avec le meurtre en 1991 de l’étudiant transfuge Thierry Zébié, passé du côté du pouvoir, pour la première fois, la Fesci a du sang sur les mains. Pour Martial Ahipeaud – premier secrétaire général de la Fesci entre 1990 et 1993 – interrogé par téléphone, c’est le pouvoir qui a fait entrer la violence sur le campus, notamment en y armant leurs opposants.

En 2001, alors que la Côte d’Ivoire s’apprête à s’enfoncer dans une crise politico-militaire, “la guerre des machettes”, qui oppose une branche pro-Ouattara à une branche pro-Gbagbo au sein de la Fédération, fait de nombreuses victimes. Un conflit interne qui sera remporté par le camp pro-Gbagbo, alors président de la Côte d’Ivoire. Les années qui suivront seront, d’après un rapport d’Human Right Watch datant de 2008, l’occasion d’un déferlement de violences tant “politiques que criminelles”, dirigé principalement contre d’autres étudiants perçus comme des opposants au pouvoir en place.

“La plupart des exactions les plus graves ont été subies par des membres d’un groupement estudiantin rival, l’Association générale des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (AGEECI), que la Fesci a accusée d’appuyer les rebelles des Forces nouvelles” explique le rapport. Des violences que condamne Martial Ahipeaud. Selon lui, “de 2000 à 2011, le FPI et le RDR [présidé par Ouattara, NDLR] se sont violemment battus au travers de leurs soutiens dans la Fesci, empêchant ainsi les puristes du mouvement de s’exprimer. La source de la violence systémique au sein de la Fesci est donc la volonté de contrôle des deux partis de cette organisation.”

Si les partis ont voulu profiter de la force de frappe de la Fesci, les Fescistes ont eux aussi, depuis les années 90, tiré avantage des partis politiques. Plusieurs de ces anciens secrétaires généraux ont eu des destins politiques nationaux, à commencer par Guillaume Soro – ancien Premier ministre et président de l’Assemblée nationale – et Charles Blé Goudé – ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo.

De nombreux autres, plus récemment, ont occupé des postes importants dans l’administration, ou ont brigué des mandats de maires ou de députés sur tout l’échiquier politique. Pour le politologue Geoffroy-Julien Kouao, jusqu’ici “être secrétaire général de la Fesci, c’est s’assurer une carrière politique.

Un interlocuteur incontournable pour les autorités

Depuis 2011 et l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara, et alors que le pays a retrouvé le chemin de la stabilité politique, les conflits qui traversent la Fesci sont naturellement moins liés à la vie politique ivoirienne. Néanmoins, son poids – alors que le pays compte 8 millions d’élèves et d’étudiants dont la majorité sont fidèles à la Fédération – continue d’en faire un interlocuteur incontournable pour les autorités, affirme Geoffroy-Julien Kouao. “Les différentes administrations ont toujours voulu collaborer avec elle pour avoir la quiétude sur les campus universitaires.” La preuve : le siège social de la Fesci en construction à l’Université Houphouët-Boigny, avant d’être détruit le 5 octobre dernier, avait été en partie financé par le gouvernement. Son chantier avait même reçu la visite du ministre de l’Enseignement supérieur, Adama Diawara, le 27 juillet dernier.

Le site du siège social de la Fesci au campus de l’Université Houphouet-Boigny après sa destruction, le 5 octobre 2024.
Le site du siège social de la Fesci au campus de l’Université Houphouet-Boigny après sa destruction, le 5 octobre 2024. © Julia Guggenheim
Querelles internes

Les deux meurtres récents sont pourtant uniquement le fruit de querelles internes. Le secrétaire général, Kambou Sié, n’était pas connu pour être proche du pouvoir ou de l’opposition, mais son élection était contestée au sein de la Fesci. D’après un membre de la Fédération contacté par téléphone, et qui a souhaité rester anonyme, “Général Sorcier” n’aurait pas supporté de ne pas avoir été reconduit à son poste de secrétaire de section suite à l’arrivée de Kambou Sié à la tête de la Fesci huit mois plus tôt, et aurait mené plusieurs raids contre les cadres de la Fédération. Il clame par ailleurs l’innocence de son patron, le secrétaire général.

Pratiques mafieuses

Mais si les luttes internes à la Fesci continuent de se solder par des violences aussi importantes, c’est parce que la Fédération n’a rien perdu de ses “pratiques mafieuses”, dénoncées depuis 2008 dans le rapport de Human Right Watch. L’ONG expliquait à l’époque que “la Fesci prend à tous les étudiants boursiers une partie de l’argent qui leur est octroyé, au vu et au su des responsables de l’université”.

Un racket qui ne touche pas seulement les boursiers. Joel*, propriétaire d’une boutique face à l’université Houphouët-Boigny, a vu son commerce saccagé et fermé par deux fois parce qu’il ne s’était pas plié aux règles imposées par la Fédération. “Après plusieurs négociations, ils ont ramené mes affaires, mais j’ai dû payer 100 000 francs” (150 euros), nous explique t-il. “C’est comme ça ici, même l’emplacement, ce sont eux qui nous le donnent. Si tu ne passes pas par eux, tu n’auras rien. Il faut payer une somme mensuelle à la brigade, pour qu’ils te protègent.”

S’il se dit rassuré de la prise en charge par les autorités du sujet Fesci. Il s’inquiète de la baisse de son chiffre d’affaires depuis que les résidents de la cité universitaire ont été expulsés.

La cité universitaire du campus de l’université Houphouët-Boigny à Abidjan, le 4 octobre 2024.
La cité universitaire du campus de l’université Houphouët-Boigny à Abidjan, le 4 octobre 2024. © Damien Koffi pour France 24

La gestion des chambres de cités universitaires était d’ailleurs une autre source majeure de revenus pour la Fesci. D’après les autorités, qui ont promis une campagne de réattribution, “35 % des chambres universitaires étaient occupées illégalement” quand elles sont intervenues le 5 octobre dernier. Les loyers, au lieu d’être versés au Crou – organisme censé gérer l’administration des chambres – étaient encaissés par la Fesci.

Pour Koffi*, étudiant en science économique et sociale, c’était un moindre mal. “C’était extrêmement difficile d’avoir une chambre par le Crou, il n’y avait plus eu d’admission depuis quatre ans sur le campus d’Abidjan. La Fesci nous arrangeait en nous trouvant une chambre, quitte à ce qu’on la partage avec plusieurs autres camarades.” Depuis son expulsion, le jeune homme de 21 ans est retourné vivre dans son village, faute de logement pour poursuivre ses études à Abidjan.

Violences sexuelles, harcèlement, menace de mort

Les “pratiques mafieuses” de la Fesci, Sylvia Appata, militante féministe les connaît bien. Pour avoir coordonné une enquête en 2023 sur les violences sexuelles à l’université, qui révélait que 40 % d’entre elles étaient commises par des membres de la Fesci, elle a été harcelée, menacée de mort, et a fait l’objet d’une tentative de lynchage.

“Je ne suis plus retournée sur le campus, et nous avons dû déménager les locaux de notre association suite à cet épisode. Ma vie n’est plus jamais redevenue la même car je ne peux plus aller et venir sans regarder derrière moi. Ça m’a traumatisée.”

Sylvia Appata à l’entrée de ses nouveaux bureaux, dont la localisation est tenue secrète, en octobre 2024.
Sylvia Appata à l’entrée de ses nouveaux bureaux, dont la localisation est tenue secrète, en octobre 2024. © Julia Guggenheim

Pour la juriste spécialiste des droits des femmes, la réaction des autorités est tardive mais opportune. “On ne peut pas réformer une organisation criminelle, qui est aux antipodes de la démocratie.”

La Fesci avait déjà été dissoute deux fois dans les années 90, avant de renaître de ses cendres. Reste à savoir si cet épisode sonnera définitivement le glas de cette puissante Fédération.

 

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