9 décembre 2024
Paris - France
POLITIQUE

« Ils savent que je sais tout » Robert Bourgi balance sur la Françafrique

L’avocat Robert Bourgi déroule les secrets d’une «vie en Françafrique» dans ses mémoires.

Robert Bourgi. Né le 4 avril 1945 à Dakar Robert Bourgi, surnommé « Bob » par Jacques Foccart, est un avocat, lobbyiste et conseiller politique franco-libanais. Docteur en Droit public, cet ancien enseignant fut longtemps responsable des relations avec l’Afrique du Club 89, influent think-tank du Rassemblement des Républicains (RPR), avant de devenir le principal rouage des transferts de fonds entre les présidences africaines et plusieurs formations politiques dans l’Hexagone.

Frédéric Lejeal. Politologue de formation, Frédéric Lejeal est journaliste spécialisé de l’Afrique depuis vingt-cinq ans. Ancien collaborateur de Jeune Afrique, il a dirigé pendant dix ans La Lettre du Continent, publication confidentielle sur la politique et les réseaux d’affaires en Afrique de l’Ouest et dans le Golfe de Guinée.

Symbole de la « Françafrique » , Robert Bourgi aborde, pour la toute première fois dans un livre, sa vie, ses rapports avec son mentor Jacques Foccart et l’ensemble des « missions » effectuées pendant près de quarante ans pour le compte des présidents africains et français parmi lesquels les principaux ténors de la droite (Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, Charles Pasqua, Jacques Toubon, Dominique de Villepin, Claude Guéant, François Fillon etc.). Il révèle les circuits des financements des partis politiques français, en se basant sur ses notes personnelles conservées pendant 40 ans. Et décrypte des dossiers sensibles auxquels il a participé : libération des journalistes français du Liban dans les années 1980, réhabilitation de Mobutu Sese Seko, libération de l’otage française Clothilde Reiss en Iran, sauvetage de Laurent Gbagbo, démission de Jean-Marie Bockel, nomination d’ambassadeurs de France en Afrique, lobbying auprès de l’Elysée pour le compte des chefs d’Etat africains… De Félix Houphouët-Boigny et Laurent Gbagbo (Côte d’Ivoire) à Mobutu Sese Seko (RD Congo) en passant par Blaise Compaoré (Burkina Faso), Mathieu Kérékou (Bénin), Abdoulaye Wade et Macky Sall (Sénégal), Mohamed ould Abdel Aziz (Mauritanie), Gnassingbé Eyadéma (Togo), Pascal Lissouba, Denis Sassou Nguesso (Congo) et surtout Omar et Ali Bongo (Gabon), il lève le voile sur la psychologie de nombreux présidents, au sud du Sahara, et leur régime apportant au lecteur un regard nouveau sur la politique africaine de la France durant plusieurs décennies.

Dans un livre-entretien qui paraît chez Max Milo et dont nous publions des passages en avant-première, Robert Bourgi partage ses derniers « secrets ». Certes, l’homme est trouble. Et il sait s’arranger avec la vérité. Reste que le témoignage de celui qui joua les intermédiaires entre responsables politiques français et africains est captivant.

Comment le présenter ? Par sa fiche d’état civil ? Robert Bourgi, 79 ans, né à Dakar, double nationalité, française et libanaise. Profession déclarée mais jamais exercée : avocat. Par le « pedigree » l’ayant rendu célèbre (un peu) dans la classe politique hexagonale et les médias ? Porteur de valises de la Françafrique, conseiller occulte de quelques ex-satrapes du continent noir, bluffeur hors pair et, in fine, flingueur de François Fillon. Un peu de chaque ou rien de tout cela, comme il aimerait nous en convaincre dans un livre de mémoires malicieusement intitulé Ils savent que je sais tout (éd. Max Milo) et dont nous publions des extraits exclusifs ?

Le « ils » désignent aussi bien les chefs d’État, ministres et chefs de partis africains de tous grades que leurs homologues français ayant longtemps tenu le haut du pavé. Grâce à son père, Mahmoud Bourgi – un paysan du Liban du Sud émigré au Sénégal, où il fit fortune dans le négoce du textile –, Robert a fréquenté les premiers dès sa prime jeunesse. Ardent admirateur du général de Gaulle, le pater devint un de ses plus fidèles et importants relais dans la communauté libanaise chiite installée au Sénégal avant de transmettre le flambeau au fiston. Robert avait la tchatche, le feeling. Lui manquait la connaissance de l’infini réseau d’intérêts politiques et matériels liant la France à ses anciennes colonies et à leurs dirigeants.

Qui a commandité l’assassinat de Thomas Sankara en 1987 ? Qui a donné l’ordre de bombarder le camp militaire français de Bouaké en 2004 ? Quel rôle éventuel a joué Pascaline Bongo dans le putsch qui a renversé son frère il y a un an au Gabon ? Avec l’aide du journaliste Frédéric Lejeal, Robert Bourgi publie ses mémoires sous le titre Ils savent que je sais tout, ma vie en Françafrique, aux éditos Max Milo. Au micro de RFI, Robert Bourgi témoigne d’abord sur l’attitude qu’a eu Jacques Foccart, le conseiller Afrique des dirigeants français, dans les mois qui ont précédé l’attentat contre le capitaine Sankara, mais également sur les transferts de fonds gabonais envers Jacques Chirac dont Robert Bourgi était responsable.

RFI : Robert Bourgi, dans votre livre, vous racontez votre longue amitié avec Laurent Gbagbo, ancien président de Côte d’Ivoire. En novembre 2004, deux avions ivoiriens bombardent une caserne française à Bouaké, 9 soldats français et un civil américain sont tués, puis les 2 pilotes biélorusses essaient d’évacuer par le Togo, où ils sont interceptés. Pourquoi le président français Jacques Chirac a-t-il refusé que le chef de l’État togolais Gnassingbé Eyadema lui livre ces 2 pilotes pour la justice française ?

Robert Bourgi : Vraiment, j’ignore tout de cet épisode. Mais, je me suis retrouvé avec Laurent un soir au moment de ce tragique événement. Et Dominique de Villepin [qui a été successivement ministre des Affaires étrangères, ministre de l’Intérieur et Premier ministre, sous Jacques Chirac, NDLR] m’avait dit : « Essayez de savoir s’il y a du Laurent Gbagbo dans cette affaire. » Et je lui dis : « Laurent, vraiment, es-tu mêlé de près ou de loin ? ». Il dit : « Je t’assure Robert, dis à Dominique, de ma part, que je ne suis en rien mêlé à cette affaire. » Laissant entendre à un moment donné de la conversation : « Mais, il n’est pas impossible que l’entourage de Simone [qui était alors l’épouse de Laurent Gbagbo et Première dame du pays, NDLR] soit mêlé ». Cette phrase, il me l’a prononcée.

Sous-entendu les extrémistes de son camp ?

Il a dit ça. Je ne sais pas à qui il faisait allusion. Est-ce que c’est l’officier Séka Séka, comme on l’appelait ? Je ne sais pas.

Alors pour vous, à cette époque, entre la France et la Côte d’Ivoire, c’est très compliqué, parce que vous êtes amis à la fois avec Laurent Gbagbo et Blaise Compaoré, le président burkinabè qui soutient la rébellion pro-Alassane Ouattara, devenu président de Côte d’Ivoire depuis. Blaise Compaoré, vous l’avez rencontré dès 1986, du vivant de Thomas Sankara (président de 1983 à 1987). Pourquoi, à votre avis, a-t- il décidé d’éliminer son compagnon d’armes en 1987 ?

Je ne sais pas quels sont les sentiments qui ont animé Blaise, je les ignore. Mais ce que je puis vous dire, c’est Monsieur Foccart, tout puissant conseiller Afrique de Monsieur Chirac, m’avait dit, car il me savait proche de Thomas : « Faites savoir à Thomas d’être très prudent. » Je dis : « Qu’est-ce que ça veut dire, doyen ? Il me dit : « Il est en danger et ça peut venir du plus près. » À ce moment-là, il y a eu un deuil dans ma famille. Et Thomas, l’ayant appris, m’appelle et il me présente ses condoléances. Je lui dis : « Thomas, ça tombe bien, le vieux m’a dit qu’il fallait que tu sois très prudent. Le coup peut venir du plus proche de toi. ». Il me dit : « Remercie le vieux de ma part. » C’était un nom de code pour Foccart. « Je vais être prudent. » Il est arrivé ce que vous savez [assassinat le 15 octobre 1987 à Ouagadougou, NDLR].

Quel rôle a joué Félix Houphouët-Boigny, premier président de l’histoire de la Côte d’Ivoire, dans cette affaire ?

Je pense qu’il a été très actif par la grâce, si je puis dire, de Chantal.

L’épouse de Blaise Compaoré, qui était ivoirienne ?

Exactement : elle était la fille d’un administrateur des colonies qui était très proche du président Félix Houphouët-Boigny. Et ce que n’a pas supporté Houphouët-Boigny, c’est que lorsque Thomas allait le voir, il avait toujours le pétard [un pistolet, NDLR] et il avait refusé de venir en tenue civile. Le courant ne passait pas entre eux.

Donc, vous pensez que la Côte d’Ivoire est dans le complot ?

J’en suis même certain.

Autre pays que vous connaissez bien, c’est le Gabon. Dans votre livre, vous dites que le vrai dauphin qui était en capacité en 2009 de succéder à Omar Bongo, chef de l’État de 1967 à sa mort, ce n’était pas son fils Ali mais sa fille Pascaline. Est-ce que vous pensez que celle-ci a approuvé l’année dernière l’élimination politique de son frère Ali Bongo ?

Je n’ai plus de contacts avec Pascaline depuis des années. Donc, je ne peux pas donner une réponse à cela. Mais je puis vous dire, connaissant Brice Clotaire Oligui Nguema, l’actuel président du Gabon –je connais Brice depuis 25 ans – que c’est un homme d’autorité, un homme de caractère. Je ne pense pas que quelqu’un ait pu lui susurrer à l’oreille qu’il fallait faire un coup d’État.

Depuis son arrivée au pouvoir, vous avez revu Brice Clotaire Oligui Nguema. Est-ce que vous lui avez prodigué des conseils ?

Nous avons passé, lui et moi, un peu plus de deux heures ensemble à Dakar. Il m’a dit : « Comment vois-tu les choses, grand frère ? » Je lui ai dit : « Écoute, fais souffler un air de démocratie dans ton pays comme tu le fais, et essaie de te dégager du reproche qu’on pourrait te faire, que c’est la famille Bongo qui continue. » Et je crois que c’est ce qu’il est en train de faire. Et il ne m’étonnerait pas qu’il soit candidat à la présidentielle si y en a une.

L’année prochaine ?

L’année prochaine, ou peut-être même avant.

Michel Barnier, le nouveau Premier ministre français, vous l’avez évidemment connu quand il était le ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac, il y a 20 ans. Quel souvenir vous en avez gardé ?

C’est un homme qui a de l’autorité, qui a un certain charisme et c’est un têtu.

Dans le bon sens du terme ?

Absolument, et j’espère qu’il aura son mot à dire, pour ce qui concerne la politique africaine de la France. Parce que la France a besoin d’un homme qui porte haut sa voix, dans les relations avec l’Afrique. Et surtout ne pas faire preuve d’arrogance.

C’est une critique en creux du président français ?

Non, pas du tout. Je fais remonter les reproches que font les Africains à notre pays.

Robert Bourgi: «Les présidents africains finançaient toute la classe politique française»
L’affaire des «malettes» d’argent liquide

Mais c’est en 2011, que la figure historique de la Françafrique passe officiellement de l’ombre à la lumière en déclarant avoir transporté des valises remplies d’argent en provenance de chefs d’États africains, au profit de politiques français. Dans une interview accordée au Journal du Dimanche, il n’hésite pas à nommer les bénéficiaires: Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jean-Marie Le Pen, mais aussi Jacques Chirac et Dominique de Villepin. «C’est ma conscience qui m’a dicté le devoir de parler», avait-il alors expliqué. «Je veux une France propre à droite et à gauche». L’enquête diligentée à la suite de ces propos avait été classée sans suite par le parquet de Paris, faute de preuve.

Depuis, l’avocat de 71 ans fait parfois quelques apparitions dans le débat politique. Soutien affimé de Nicolas Sarkozy, il se rapproche néanmoins après la défaite de ce dernier à la présidentielle en 2012 de François Fillon. Robert Bourgi aurait notamment ouvert son carnet d’adresses qui compte nombre de dignitaires africains au candidat Républicain et aurait fait, selon Le Parisien , un don légal de 7500 euros à son association politique, Force républicaine. «Ça remonte à la fin de l’année 2013, ou courant 2014, confie un membre de l’association. Son chèque est arrivé par courrier et il y a eu des interrogations internes sur ce qu’il fallait en faire. Au point que François Fillon a été consulté pour savoir si on devait l’encaisser.»

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