Après les déclarations du chef de l’État, lundi à l’Élysée, sur les dirigeants africains qui ont « oublié de dire merci » après l’intervention militaire française au Sahel, le Tchad et le Sénégal ont exprimé leur « indignation ». Alors que Paris est contraint de retirer ses bases militaires, le sentiment antifrançais s’accroît encore.
Une fois de plus, Emmanuel Macron se retrouve aux prises avec un incendie qu’il a lui-même déclenché. En cause, ses propos tenus lundi 6 janvier à l’Élysée, devant les ambassadeurs et ambassadrices de France, visant les dirigeants africains. Ils ont « oublié de nous dire merci », a-t-il cinglé, après avoir évoqué l’intervention militaire de la France au Sahel contre le terrorisme islamiste (lancée en 2013). Sans elle, ajoutait-il, plus « aucun d’entre eux » ne gérerait un pays souverain. Et de taxer ces dirigeants « d’ingratitude », au vu notamment des 58 soldats français morts dans l’opération Barkhane.
« Mépris » et « paternalisme néocolonial »: les propos du président Macron estimant notamment que les dirigeants africains avaient « oublié de dire merci » à Paris pour son intervention au Sahel ont continué mardi de faire polémique, en Afrique mais également en France.
« Je voudrais exprimer mon indignation vis-à-vis des propos récemment tenus par le président Macron qui frisent le mépris envers l’Afrique et les Africains. Je crois qu’il se trompe d’époque », a déclaré le président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno dans un discours prononcé lors d’une cérémonie de vœux au palais présidentiel et publié sur la page Facebook de la présidence.
Une source diplomatique française a tempéré les propos présidentiels ce mardi : « Le Tchad et le Sénégal n’étaient absolument pas visés par ces propos puisque ce qui a été annoncé par Dakar et N’Djamena était déjà acté, on était d’accord sur la finalité. C’est juste le timing de ces annonces qui nous a surpris ». Selon la même source, le discours d’Emmanuel Macron dans son entier démontre que c’est plutôt le Mali qui était visé par son allusion.
Mardi également, en France, le parti de gauche radicale La France insoumise (LFI) a dénoncé dans un communiqué des propos qui « relèvent d’un aveuglement qui confine à la folie » et révèlent « un paternalisme néocolonial tout bonnement intolérable ».
La France a eu « raison » d’intervenir militairement au Sahel « contre le terrorisme depuis 2013 », mais les dirigeants africains ont « oublié de nous dire merci », avait déclaré lundi Emmanuel Macron à Paris lors de la conférence des ambassadeurs et ambassadrices, estimant qu' »aucun d’entre eux » ne gèrerait un pays souverain sans cette intervention.
« Nous avons proposé aux chefs d’Etat africains de réorganiser notre présence. Comme on est très poli, on leur a laissé la primauté de l’annonce », avait déclaré M. Macron lundi en évoquant le retrait militaire français, généralement forcé, d’un certain nombre de pays africains ces dernières années.
« La décision de mettre fin à l’accord de coopération militaire avec la France est entièrement une décision souveraine du Tchad. Cela ne souffre d’aucune ambigüité », a rétorqué le président Déby, dont le gouvernement avait réagi aux propos de M. Macron dès lundi soir en dénonçant « une attitude méprisante à l’égard de l’Afrique et des Africains ».
« On l’a mauvaise »
Ces déclarations ont également été condamnées lundi par le Sénégal. « La France n’a ni la capacité ni la légitimité pour assurer à l’Afrique sa sécurité et sa souveraineté. Bien au contraire, elle a souvent contribué à déstabiliser certains pays africains comme la Libye avec des conséquences désastreuses notées sur la stabilité et la sécurité du Sahel », a déclaré le Premier ministre Ousmane Sonko, en démentant lui aussi que le retrait militaire français de son pays ait été négocié entre Paris et Dakar.
Le sujet faisait la une de plusieurs journaux locaux mardi, comme le quotidien privé l’Observateur qui estime que M. Sonko a « recadré Macron ».
« Nous en avons assez de ce discours paternaliste. Il faut que la France et l’Occident de manière générale apprennent à voir l’Afrique d’un autre œil », a déclaré mardi à l’AFP Mandoumbé Mbaye, un enseignant sénégalais.
Pour Alioune Tine, figure de la société civile, « il faut réinventer ensemble des relations saines » avec la France « par le dialogue, le respect mutuel et le respect de la souveraineté des Etats, et repenser la souveraineté sécuritaire », qui est « la faiblesse des États africains ».
« Le Tchad et le Sénégal n’étaient absolument pas visés par ces propos (de M. Macron) puisque ce qui a été annoncé par Dakar et N’Djamena était déjà acté », même si le timing de ces annonces « nous a surpris », a tempéré mardi auprès de l’AFP une source diplomatique à Paris.
« C’est une phrase sortie de son contexte mais si vous regardez son discours juste avant il parle des pertes humaines françaises au Sahel (58 morts en moins d’une décennie): il ciblait clairement les pays de l’AES (l’Alliance des États du Sahel, ndlr) et en particulier le Mali », a-t-elle souligné, ajoutant: « On l’a tous mauvaise avec le Mali » au vu des importants moyens humains, logistiques et financiers mis par la France pour y combattre les jihadistes « à la demande des autorités maliennes, et alors que l’on pensait bien faire ».
« Alors oui le président a exprimé quelque chose de déceptif pour nous (…) La leçon c’est qu’il faut une approche transactionnelle comme les autres (partenaires non africains) et arrêter d’être les dindons de la farce », a-t-elle conclu.
Le mois dernier, le Sénégal et le Tchad ont annoncé le départ des militaires français de leur sol. Le Tchad était le dernier point d’ancrage de la France au Sahel, où la France a compté jusqu’à plus de 5.000 militaires dans le cadre de l’opération antijihadiste Barkhane, stoppée fin novembre 2022.
Entre 2022 et 2023, quatre autres anciennes colonies françaises, le Niger, le Mali, la Centrafrique et le Burkina Faso, ont enjoint Paris à retirer son armée de leurs territoires, où elle était historiquement implantée, et se sont rapprochées de Moscou.
Jean Moliere
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