Après des années d’errance et d’abîme, Sidi Kaba a dribblé une dernière fois la vie le vendredi 29 octobre dernier, à 54 ans. L’ancien attaquant du FC Nantes était d’abord un génie du ballon rond avant de devenir un miraculé. Sa disparition constitue l’ultime embardée de cette fichue sortie de route du 18 novembre 1984, qui avait provoqué la mort de Seth Adonkor et de Jean-Michel Labejof, meurtri tout un club. Seul rescapé du drame, Sidi Kaba, 17 ans à l’époque, ne s’en est jamais relevé.
C’était un jour d’adieu et de sanglot long. Dehors, le ciel était bleu, le soleil brillait. « Pour un mec en or, pour un mec solaire. » Ce mec, c’était Sidi Kaba, un joueur de fulgurances sur un terrain de foot, une comète insaisissable hors du rectangle vert. Pendant toute son existence, il a été un sourire généreux, un rire aux éclats, fort et lumineux.
Ce rire aura été le fil conducteur d’une vie décousue, son allié des jours sombres, et ils ont été nombreux. « Jusqu’au dernier jour, ce rire a résonné chez nous », raconte Christine Besnier. Elle dirige un service d’accueil de sans-abri à Nantes. C’est la dernière famille de Sidi Kaba, celle de la rue, qui l’avait accueilli une première fois il y a trois ans. C’est aussi là où, ce vendredi 29 octobre, son cœur l’a définitivement lâché. Au nord de Nantes, dans le cimetière paysager, ils sont tous venus lui rendre hommage. « Derrière son sourire, il cachait ses blessures, avec beaucoup de pudeur et de dignité ».
. Antoine Kombouaré : « De l’amertume et de la colère »
Ces douleurs, que le temps n’aura jamais soulagées, sont datées. Elles sont ancrées dans l’histoire du football français, imprimées dans la mémoire traumatique du FC Nantes. La disparition de Sidi Kaba, l’enfant surdoué des Canaris, a réveillé un drame de presque 37 ans, les souvenirs d’un jour de pluie et d’un dimanche infiniment triste. Aujourd’hui encore, ils affleurent, sans mal, bien vivants, comme si les jours passés planaient éternellement. On a replongé dans cette époque où la télévision se limitait à trois chaînes, où il n’existait ni téléphone portable, ni internet, ni réseaux sociaux.
À l’époque, on pouvait tourner autour de la place Royale en voiture. À l’époque, on pouvait stationner n’importe où, notamment devant la rédaction de votre quotidien dont les fenêtres donnaient sur la fontaine. À l’époque, il n’était pas rare de croiser la Ford Escort XR3 blanche de Seth Adonkor dans le centre-ville, de la voir grimper la rue Crébillon et s’arrêter devant un célèbre magasin. Tout ça, c’était avant ce maudit dimanche humide, ce funèbre 18 novembre 1984. À 12 h 35 très précisément. Le temps s’est arrêté.
Deux morts, un survivant
Il venait de pleuvoir, la chaussée se voulait particulièrement glissante et la Ford Escort blanche est partie en aquaplaning dans une légère courbe sur la quatre voies entre Nantes et Saint-Nazaire, au niveau du Temple-de-Bretagne. Elle a traversé le terre-plein central malgré la haie d’arbustes. Elle aurait pu se perdre sur le bas-côté, mais elle est venue percuter une BMW circulant dans le sens opposé, conduite par le sénateur et maire de Vertou de l’époque, Luc Dejoie. Seth Adonkor (23 ans) a été tué sur le coup, comme Jean-Michel Labejof (19 ans) que l’on a retrouvé éjecté. Le jeune Sidi Kaba (17 ans) a été, pour sa part, transporté au CHU de Nantes dans un état grave, pronostic vital engagé, cage thoracique enfoncée, multiples fractures du bassin, du fémur et des côtes. Il a été plongé dans le coma plusieurs jours. « Ce jour-là, on n’en a pas perdu deux, mais trois… »
Le constat est aussi terrible que juste. Il émane de Laurent Obry, ancien latéral des Canaris (1984-1988). Il a découvert la Jonelière la même année que l’enfant de Bamako. « On a partagé la même chambre, le même lit superposé, rembobine-t-il. C’était mon petit frère, une crème, un bon vivant, avec son visage rond et un sourire d’ange. » Dans le combiné, Laurent Obry marque une pause puis poursuit son récit. Il livre son cœur, vide ses piles. Il raconte cette époque des 103 SP et des Solex 2000 pour aller au Gaumont. « Avec Sidi, c’était la sortie. »
Et puis il y avait ce fameux repas du dimanche midi, une fois par mois, « ce rituel » chez ses parents, à Saint-Nazaire, où Seth, Jean-Michel et Sidi venaient déguster un plateau de fruits de mer. Comme ce 18 novembre 1984. « La veille, on avait joué avec la D3 en région parisienne. Les parents de Jean-Michel étaient venus le voir, ils lui avaient d’ailleurs proposé de rester. « Je ne peux pas, je vais manger des fruits de mer » leur a-t-il répondu… Au départ, on ne s’est pas inquiété, Seth n’était jamais en avance. » Les parents de Laurent Obry ont fini par joindre les gendarmeries de Savenay et de Vigneux pour s’enquérir de la circulation. « C’est comme ça que je l’ai appris. »
Sidi Kaba est l’unique rescapé de la collision. Il n’a jamais accepté son statut de survivant. Il a surtout été rongé par la culpabilité. Quelques minutes avant l’accident, il avait demandé à Seth Adonkor de se garer sur le bas-côté, histoire de se reposer à l’arrière du véhicule, laissant du même coup Jean-Michel Labejof prendre sa place sur le siège passager. « Ce jour-là, il est parti mentalement. Il a essayé, mais le corps n’a pas suivi », se remémore Laurent Obry. Christophe Robert, 200 matches et 30 buts sous le maillot jaune, a compris que le match serait perdu d’avance. « Il n’était pas armé pour affronter cet ouragan. On parle d’un môme de 17 ans qui a perdu ses potes, sa passion, son moyen de réussir alors que c’était le plus doué d’entre nous. »
En 1984, Seth Adonkor est un visage familier de la Beaujoire après avoir brillé à Saupin. Il est aux portes de l’équipe de France, sacrée championne d’Europe l’été précédent. Chez les supporters des Canaris, on sait combien il peut dévorer la pelouse de son enthousiasme gagneur, subtiliser de ses jambes tentaculaires le ballon dans les pieds des attaquants adverses. Mais aussi jaillir, dur et clair dans les mêlées…
Le FC Nantes a appris avec tristesse, la disparition de Sidi Kaba (54 ans), survenue le 28 octobre.
Coéquipier notamment d’Antoine Kombouaré, actuel entraîneur des Jaune et Vert mais aussi de Didier Deschamps, Marcel Desailly, ou encore Vahid Halilhodzic et Michel Der Zakarian, Sidi Kaba était promis à un grand avenir d’attaquant, depuis son arrivée au Centre de Formation du FC Nantes.
Marqué à vie par l’accident
Le 18 novembre 1984, Sidi Kaba, alors âgé de 17 ans et aux portes de l’effectif professionnel, est présent à bord de la Ford XR3 conduite par Seth Adonkor. Avec eux, Jean-Michel Labejof.
Sur l’axe Saint-Nazaire – Nantes, à hauteur de Temple-de-Bretagne, Seth Adonkor perd le contrôle de son véhicule. Seth Adonkor et Jean-Michel Labejof ne survivront pas. Sidi Kaba, éjecté du véhicule, sera le seul rescapé de cette véritable tragédie pour la famille du FC Nantes. Le coach Suaudeau l’intègre dans son effectif de 1985/1986 mais il n’arrivera pas à remonter la pente…
Handicapé physiquement et moralement par cet évènement, Sidi Kaba ne parviendra jamais à réalisé son rêve : devenir joueur professionnel, notamment sous la tunique nantaise.
Le FC Nantes tient aujourd’hui à présenter ses condoléances à sa famille, à ses proches, ainsi qu’à saluer la mémoire de Sidi Kaba.
« On pourrait presque le comparer au Kylian Mbappé de l’époque. Partout en France, on parlait tous de lui comme d’un phénomène. » Même près de quarante ans plus tard, Christian Larièpe n’a rien oublié de Sidi Kaba. L’ex-responsable du recrutement de Louhans-Cuiseaux est même toujours subjugué. Émerveillé par ce joueur malien au talent brut. Pur. Une perle rare de la formation nantaise qui, dès l’âge de 12 ans, faisait déjà la une des journaux télévisés.
« À Nantes, il avait dû jouer son premier match pro à 16-17 ans », se remémore l’ancien technicien louhannais. « C’était un peu le Laurent Roussey ou le Paganelli du FC Nantes. Il était promis à un très grand avenir. »
Jean Moliere
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