Le président ivoirien mène une diplomatie religieuse délicate. S’il donne des gages au Vatican, il s’efforce aussi de maintenir le dialogue avec une Église locale connue pour son franc–parler. Pour Alassane Ouattara, l’enjeu est de taille à un an de la présidentielle de 2025.
Ce 7 décembre 2024, sous les ors de la basilique Saint- Pierre de Rome, MST Ignace Bessi Dogbo reçoit la barrette cardinalice des mains du pape François. Au premier rang, dans l’assemblée, se trouve la ministre d’État Anne Désirée Ouloto, laquelle conduit une imposante délégation gouvernementale. << La Côte d’Ivoire est véritablement un pays béni de Dieu, déclare–t–elle lors du déjeuner offert en l’honneur du nouveau cardinal. Le fait d’avoir simultanément deux cardinaux dans notre pays [Jean–Pierre Kutwa a été élevé à ce rang en 2014, ndlr] – est un signe extraordinaire de grâce divine. C’est donc avec une immense fierté que nous sommes venus, au nom du président de la République Alassane Ouattara, accompagner cet éminent fils de notre nation. >>>
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Une harmonie avec le Saint–Siège, voulue de longue date par Alassane Ouattara, et qui contraste avec les tensions récurrentes entre le président et l’Église catholique ivoirienne. Lorsque le 3 août, Ms Jean–Pierre Kutwa a démissionné de ses fonctions d’archevêque d’Abidjan, sa leçon à peine voilée aux politiciens ivoiriens a été très diversement appréciée par le gouvernement. << Il faut savoir partir!», a t–il lancé sous l’œil amusé du Premier ministre Robert Beugré Mambé. «< Partir, pour ne pas agacer, pour ne pas que l’amour se transforme en haine. >>
Une sortie polémique, mais loin d’être la première. Le 30 décembre 2019, déjà, lors d’une messe solennelle à la cathédrale Saint–Paul du Plateau, MS Kutwa avait profité de la présence du président Ouattara pour lancer un appel remarqué en faveur de la libération des prisonniers politiques, et notamment ceux liés au mouvement Générations et peuple solidaire (GPS) de Guillaume Soro. Dans un effort d’apaisement, l’Église catholique avait annoncé, en janvier 2020, l’organisation d’une grande
marche pour la paix, prévue pour rassembler plus de 20 000 fidèles dans les rues d’Abidjan. Mais le diocèse avait été contraint d’annuler l’événement à la dernière
minute, pour des raisons de sécurité.
La médiation de Dominique Ouattara
La rupture est devenue manifeste le 31 août 2020. Le cardinal Kutwa, lors d’un point–presse soigneusement préparé dans l’enceinte de la cathédrale Saint–Paul, déclare qu’une troisième candidature d’Alassane Ouattara << n’est pas nécessaire», une position qui résonne comme un coup de tonnerre. En réaction, un groupe de ministres catholiques du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), conduit par Kobenan Kouassi Adjoumani, organise une conférence de presse dans le même lieu saint, provoquant l’indignation de nombreux fidèles qui y voient une instrumentalisation politique de l’espace religieux.
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Les tensions persistent jusqu’en juin 2023, lorsque
Mgr Marcellin Kouadio, fraîchement élu à la tête de la Conférence épiscopale de Côte d’Ivoire, dresse un réquisitoire sévère contre la gouvernance du pays, pointant du doigt <«< la corruption généralisée, le tribalisme, la justice sélective » et dénonçant l’instauration d’une « démocratie armée »>. <«<«Nous ne
sommes pas dans le même monde», rétorque avec ironie le porte–parole Amadou Coulibaly tandis que les médias proches du pouvoir n’hésitent pas à qualifier l’évêque d‘<< opposant déguisé en soutane >>.
La première dame, Dominique Ouattara, catholique pratiquante, a tenté tant bien que mal d’apaiser les tensions. Le 17 janvier 2024, elle a reçu une délégation conduite par le nonce apostolique pour discuter de la gestion de la basilique de Yamoussoukro. Son engagement se traduit aussi par des actions concrètes: quand la paroisse Sainte–Thérèse d’Assinie–Mafia est détruite par une tornade en 2020, elle obtient du président 300 millions FCFA pour sa reconstruction.
Le 1er août dernier, lors de la célébration de la fête du
pape François à la nonciature apostolique de Cocody, Dominique Ouattara était là, tenant la main au cardinal Kutwa sur le départ, discutant avec son successeur Mgr Ignace Bessi Dogbo et surtout, saluant chaleureusement M8 Marcellin Yao Kouadio, président de la Conférence épiscopale de Côte d’Ivoire. Un geste remarqué, ce dernier ayant quelques mois plus tôt questionné publiquement la politique économique du gouvernement. Et, le 26 novembre, elle a reçu M8 Dogbo juste avant son départ pour Rome.
Le Vatican, priorité diplomatique
En parallèle, l’État continue de soutenir les activités
catholiques. La Direction générale des cultes finance régulièrement des pèlerinages: 265 fidèles à Lourdes pour l’Assomption 2024 et 300 en Turquie << sur les traces de Saint Paul >> en 2022. Lorsqu’Alassane Ouattara a
accédé à la présidence en 2010, la Côte d’Ivoire sortait à peine d’une crise post–électorale dévastatrice qui a fait plus de 3 000 victimes. Le nouveau président a fait du rapprochement avec le Vatican une priorité diplomatique, et n’a donc cessé de lui donner des gages.
Sa première visite officielle auprès du pape Benoît XVI,
en novembre 2012, a marqué le début d’un dialogue constructif. Le communiqué conjoint publié à l’issue de cette rencontre soulignait l’importance du rôle de l’Église dans la reconstruction nationale, notamment à travers son engagement pour la paix, les droits humains et la réconciliation. Une décennie plus tard, en septembre 2022, Alassane Ouattara a continué sur cette dynamique en se rendant de nouveau au Vatican, cette fois pour une audience avec le pape François.
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Il a également lancé en 2014 la rénovation de la cathédrale Saint–Paul du Plateau qui avait accueilli près de 2000 réfugiés pendant la crise post–électorale, débloqué 2,1 milliards de F CFA. En avril de la même et année, Alassane Ouattara a envoyé Henri Konan Bédié pour le représenter à la canonisation de Jean–Paul II. Un choix hautement symbolique, ce pape étant le seul à avoir effectué trois visites historiques en Côte d’Ivoire, entre 1980 et 1990 – marquée cette année–là par la consécration de la basilique Notre–Dame–de–la–Paix de
Yamoussoukro.
L’année suivante, le chef de l’État a nommé MST Siméon Ahouanan, archevêque métropolitain de Bouaké, à la tête de la Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes (Conariv). Le prélat, décédé en février 2024, avait déjà occupé la vice–présidence de la Commission dialogue, vérité et réconciliation aux côtés de Charles Konan Banny. Et, le 21 septembre 2020, le cinquantenaire des relations diplomatiques a été célébré par l’émission d’un timbre commémoratif portant les effigies du pape François et du président Ouattara. La cérémonie s’est déroulée au palais présidentiel, en présence du nonce apostolique, M8 Paolo Borgia.
L’élévation au cardinalat de M8 Ignace Bessi Dogbo arrive donc à un moment important pour la Côte d’Ivoire, à moins d’un an de la présidentielle de 2025. Sans détour, le prélat assume déjà son potentiel rôle de médiateur: << Cette nomination pourrait aider les gens à se retrouver ensemble », affirme–t–il, esquissant les contours d’une mission qu’il entend placer sous le signe de la cohésion nationale et de «<l’unité de cœur ». Son message sera–t–il entendu?
Jean Moliere /. JA
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