N’Djamena a rompu jeudi soir son accord de défense avec la France. Une annonce survenue juste après une visite du chef de la diplomatie française, Jean–Noël Barrot.
Les faits – << Après 66 ans de la proclamation de la république, il est temps pour le Tchad d’affirmer sa souveraineté pleine et entière, et de redéfinir ses
partenariats stratégiques selon les priorités nationales », a déclaré jeudi soir le ministre des Affaires étrangères tchadien Abderaman Koulamallah, mettant fin aux accords de coopération de sécurité et de défense avec la France.
Le rapport Bockel sur la réarticulation du dispositif militaire français en Afrique, tout juste remis lundi à Emmanuel Macron, il est déjà caduc. Le Tchad a rompu jeudi soir unilatéralement l’accord de défense qui le lie à la France, quelques heures après le départ du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean–Noël Barrot, en
visite dans le pays. Cette annonce intervient au lendemain de la journée de proclamation de 66e république et avant les législatives du 29 décembre alors que la chasse aux électeurs bat son plein.
Dans un entretien au Monde publié dans la nuit de jeudi à vendredi, le président souverainiste sénégalais, Bassirou
Diomaye Faye, a également confié vouloir mettre un terme à la présence de soldats français au Sénégal. Ousmane Sonko, le Premier ministre du pays, appelle depuis
longtemps à redéfinir la doctrine stratégique du pays et ses partenariats. Deux annonces concomitantes. A Paris, on s’interroge pour savoir si elles ont été coordonnées.
Pour les militaires français de la «< coloniale », c’est la fin d’une époque. << Je suis meurtrie que cela se passe de cette manière », regrette l’un d’eux. << Dans le rapport Bockel, la France s’accroche désespérément aux lambeaux de l’empire en proposant la mise en œuvre d’un partenariat de défense renouvelé sans voir la réelle
dynamique en Afrique, exprime un autre officier. Nous avons fini par nous faire mettre dehors >>.
Accusée régulièrement de néo–paternalisme, la France est dorénavant contrainte de quitter son théâtre d’intervention favori, faute d’être partie à temps et d’avoir su briser définitivement le lien militaire qui remontait aux colonies contrairement aux Anglais. Depuis sa visite au Tchad en mars, Jean–Marie Bockel, l’envoyé spécial du président français, affirmait que l’esprit n’était pas à la fin de la coopération militaire. Pourquoi cette soudaineté ?
Chasse aux électeurs.
L’entretien entre Jean–Noël Barrot et Mahamat Deby au palais présidentiel de N’Djamena a été « viril ». Le président Tchadien regrette le manque
d’appui de la France à son pays alors qu’il fait les yeux doux au voisin nigérian. Fin octobre, une attaque du groupe djihadiste Boko Haram contre une base militaire de
la région du lac Tchad a fait une quarantaine de morts. Mahamat Deby déplore le manque de renseignement apporté par Paris alors que son pays venait de claquer la
porte de la Force mixte multinationale (FMM), dont le siège est basé à N’Djamena, dénonçant le manque de retombées pour son pays dans la lutte contre les
djihadistes de Boko Haram.
De passage à l’Elysée en octobre, le président tchadien s’est aussi vu reprocher par son homologue français son implication dans le conflit soudanais en soutien à Mohamed Hamdan Dagalo, dit << Hemetti >>, patron des paramilitaires de la Force de soutien rapide (FSR). Ce qu’il n’a pas apprécié, allant chercher l’appui de Mohamed Ben Zayed à Abou Dhabi. La relation est aussi affectée par l’enquête du Parquet national financier (PNF) qui vise le président tchadien et sa famille, relative à leur patrimoine immobilier en France. Enfin, Mahamat Deby n’apprécie guère les remontrances perpétuelles de Paris en matière de droits de l’homme et les appels à libérer des opposants.
<< La France est un partenaire essentiel mais doit aussi considérer désormais que le Tchad a grandi, a mûri et que le Tchad est un État souverain et très jaloux de sa
souveraineté », a déclaré le ministre des Affaires étrangères tchadien, Abderaman Koulamallah.
La France espère que N’Djamena reviendra sur sa décision pour poursuivre un partenariat sécuritaire et les projets en matière de coopération civile. Elle craint
toutefois que la Russie profite d’une place devenant vacante. << N’Djamena a besoin de couper les liens avec les
pratiques du passé, confie un très proche du pouvoir tchadien. Notre armée s’est dotée de nouveaux équipements et a multiplié les partenariats. Elle peut se
débrouiller seule. La logique actuelle est la diversification de la coopération avec la Hongrie, la Turquie, la Chine, la Russie sans rompre avec les Français et les Américains >>.
Selon ce proche, le président Mahamat Deby est soumis à différents courants autour de lui, certains militaires et
diplomates prônaient la rupture du lien militaire avec la France. Il a également pris sa décision en tenant compte de l’évolution des opinions dans les capitales sahéliennes.
Nombre de leaders d’opinion, d’intellectuels et de représentants de la société civile appellent au départ des soldats français.
<< L’origine de la présence et de la coopération militaires en Afrique remonte au pacte tacite de la décolonisation de l’Afrique francophone, explique le chercheur Thierry Vircoulon, dans une note récente de l’Ifri. Cette coopération a permis la création des armées africainesdes anciennes colonies et s’inscrivait dans le projet visant à éviter l’expansion du communisme et à maintenir l’influence de la France dans les pays nouvellement indépendants… En 2024, ces raisons ont presque toutes
disparu. Cette coopération ne se justifie plus que pour… lutter contre l’expansion de la menace djihadiste >>.
Depuis 1960, l’armée française est intervenue à 90 reprises sur le sol africain (*). Plus de 250 000 militaires ont participé à une opération extérieure (Opex). << Nous
vivons la fin d’un anachronisme historique, confie Antoine Glaser, l’ancien rédacteur en chef de La Lettre du continent. Le dernier drapeau tricolore vient de tomber au
Tchad…premier pays de la percée coloniale en 1900 »>. A l’indépendance, le Tchad est resté un maillon essentiel pour une France qui va devenir le gendarme de l’Afrique.
L’armée française sauvera la mise à maintes reprises des régimes successifs d’Hissène Habré (avant d’accompagner sa chute) puis d’Idriss Deby en 2008 et en
2019, les militaires français remportant le bras de fer contre les diplomates qui plaidaient pour ne pas intervenir.
Quid de la Côte d’Ivoire et du Gabon? Le Tchad s’est ensuite avéré être le véritable laboratoire du renseignement français dans la région. Il a servi de base
arrière pour les opérations de lutte contre le terrorisme au Sahel, particulièrement au Mali en 2013, et dans la réduction de la menace représentée par Boko Haram dans
la région du Lac Tchad.
L’importance de cette coopération a poussé Emmanuel Macron à se rendre aux obsèques du maréchal Deby en avril 2021, s’affichant au côté de son fils Mahamat Deby
choisi par les officiers tchadiens pour lui succéder en dépit des dispositions constitutionnelles. On reprocha alors au président français d’entériner une << succession
dynastique »>.
La double annonce tchadienne et sénégalaise amène à se demander ce que feront à terme la Côte d’Ivoire et le Gabon où il reste aussi des bases militaires françaises
permanentes.
In fine, les dirigeants tchadien et sénégalais devraient rendre service au président Macron qui tente d’imposer, depuis le discours de Ouagadougou en 2017, une nouvelle approche de la relation avec l’Afrique. Or la militarisation de la relation éclipse les avancées en matière de coopération mémorielle, économique, culturelle,
diplomatique, sportive, linguistique… Pourtant, dès sa première campagne présidentielle, Emmanuel Macron envisageait de réduire les opérations extérieures mais il
n’a jamais réussi à imposer totalement ses vues aux institutions militaires françaises pour mener une rupture majeure. Ses partenaires africains sont en train de le faire
pour lui.
Jean Moliere
(*) Requiem pour << la Coloniale » Afrique : conquête et retraite de l’armée française, Stephen Smith et Jean de La Guérivière, Grasset, 2024.
Armée
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