Une nouvelle génération émerge dans les principaux partis, du pouvoir à l’opposition. Certains se sont construits sur le terrain, tandis que d’autres perpétuent un engagement familial. Mais tous comptent incarner la relève.
Marie–Laurence Gbagbo, Naya Jarvis Zamblé, Dia Houphouët Augustin ,Yohou, Assalé Tiémoko et Fleur Aké M’Bo.
En Côte d’Ivoire, le constat est implacable. La scène politique reste dominée par ses figures historiques. Le chef de l’État Alassane Ouattara, 83 ans, mais aussi son prédécesseur et opposant Laurent Gbagbo, 79 ans, et, jusqu’à récemment, Henri Konan Bédié, décédé à l’âge de 89 ans, ont longtemps incarné l’immobilisme générationnel. Pourtant, dans l’ombre de ces mastodontes, une nouvelle garde s’affirme. Du haut de ses 29 ans, Naya Jarvis Zamblé est la benjamine de l’Assemblée nationale. << Il n’y a aucune place pour la jeunesse. Il faut arracher la sienne, sinon personne ne te la cèdera», lance–t–elle.
Présidentielle en Côte d’Ivoire : Adama Bictogo convaincra–t–il à Yopougon?
Présente à Abidjan pour l’ouverture de la session parlementaire, c’est dans un restaurant huppé du Plateau qu’elle nous donne rendez–vous. Avec son franc–parler, Zamblé fait partie de cette jeune génération ambitieuse qui a émergé ces dernières années. Dans la foulée de son élection, sa candidature face à Adama Bictogo pour la présidence de l’Assemblée nationale avait largement été commentée. Coup de bluff ou pas, cela lui avait permis de sortir de l’ombre et de poser les bases de sa relation, parfois tumultueuse, avec le parti au pouvoir, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Bien qu’elle siège avec la majorité, c’est en indépendante qu’elle a remporté la mairie de Gohitafla, à l’issue d’un scrutin très disputé en septembre 2023.
L’élection avait été réorganisée en décembre, à la suite d’irrégularités. En battant le candidat RHDP, Zamblé a confirmé son assise dans sa localité, située dans le centre- ouest du pays. Désormais, elle entend peser sur la prochaine présidentielle d’octobre. L’élue projette en effet d’organiser un rassemblement de femmes du milieu rural pour soutenir le futur candidat du parti au pouvoir. Elle garde également en ligne de mire les prochaines législatives car, lors des précédents scrutins, de nombreux jeunes avaient pu faire leur entrée dans l’hémicycle.
L’impulsion de Bédié
Ce 30 janvier, des députés du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et du Parti des peuples africains–Côte d’Ivoire (PPA–CI) sont attablés dans un restaurant abidjanais. Ces cadres des deux principaux partis d’opposition ont une chose en commun: ils sont jeunes.
Des quadras et des quinquas qui ont décidé de prendre les choses en main et de renouer le dialogue entre leurs deux formations politiques, toujours en vue de la présidentielle de 2025. Leurs leaders respectifs, Tidjane Thiam et Laurent Gbagbo, ont beau appeler à l’union de l’opposition, des tensions subsistent entre ces deux
personnalités. Les divergences apparues au moment de la constitution des listes lors des dernières locales, en septembre 2023, n’ont également pas encore été
dissipées.
Sur les 65 députés du parti, plus de la moitié en sont à leur première mandature. Le président Bédié avait voulu rajeunir la base. Dia Houphouët Augustin Yohou, député de Yopougon
10 ans d’innovation dans le domaine du paiement en Afrique
Ces jeunes élus ont donc décidé de se réunir afin de mener des discussions sur des sujets fédérateurs, tels que la révision de la liste électorale. Parmi eux, figure Dia
Houphouët Augustin Yohou, député de Yopougon et secrétaire exécutif chargé de la mobilisation du PDCI. Un poste clé auquel ce dernier a été nommé après l’élection de Tidjane Thiam et qui symbolise la volonté de renouvellement du parti. Maurice Kakou Guikahué et Noël Akossi–Bendjo, ses prédécesseurs, en sont des poids
lourds.
Dia Houphouët a su se distinguer par sa campagne de proximité menée lors des législatives, puis par sa volonté de renforcer l’influence du PDCI à Yopougon durant les municipales. Il a effectué une tournée dans plusieurs districts pour pousser les militants à s’inscrire sur les listes électorales.
À Yopougon, Dia Houphouët en embuscade face à Adama Bictogo et Michel Gbagbo
<< On dit souvent que le PDCI est un parti de vieux. Mais
cela peut se comprendre par rapport à l’âge même de la formation, qui a été créée en 1946 », explique Dia
Houphouët. « Aujourd’hui, il y a énormément de jeunes cadres dans le parti tels que Sylvestre Emmou, Jacques Ehouo, Yasmina Ouégnin, Konan Marius… Sur les 65 députés, plus de la moitié en sont à leur première mandature. Le président Bédié avait voulu rajeunir la
base»>, ajoute–t–il. Le décès d’Henri Konan Bédié, en août 2023, a accéléré ce processus de renouvellement.
Et cette nouvelle garde compte bien faire ses propres choix. Dans la course à l’investiture du parti qui oppose actuellement Jean–Louis Billon à Tidjane Thiam, Yasmina Ouégnin, 44 ans, s’est ainsi positionnée entre les deux prétendants. Députée de Cocody depuis 2011, la fille de l’ancien directeur du protocole d’HKB, Georges Ouégnin, a su construire sa légitimité politique sur le terrain.
Des filiations politiques assumées
La nouvelle génération compte en effet des personnalités qui perpétuent un engagement familial. À Abobo, Marie- Laurence Gbagbo, fille de l’ancien président Laurent Gbagbo et de son ex–épouse Simone Ehivet, siège comme conseillère municipale dans cette commune symbolique dirigée par Kandia Camara, la présidente du Sénat.
L’ancienne première dame y fut d’ailleurs députée.
Au RHDP, Cédric Tidiane Diarra, 44 ans, ancien chef de cabinet d’Hamed Bakayoko, a continué à tracer sa voie après le décès brutal de ce dernier, en mars 2021. Fils de l’ancien Premier ministre Seydou Diarra, il illustre cette génération qui construit son parcours politique tout en assumant un héritage familial. Élu en septembre 2023 maire de Dioulatiedougou, une localité de 10 000 habitants dans le département d’Odienné, il a été nommé secrétaire général de l’Union des villes et communes Côte d’Ivoire (UVICOCI). Au sein de cette association, il travaille sous la présidence d’Amadou Koné, ministre des Transports et maire de Bouaké, élu en juillet 2024.
de
En Côte d’Ivoire, Mamadou Touré << en mission >> pour Alassane Ouattara
Au parti présidentiel, la promotion des jeunes cadres ,s’inscrit dans une vaste stratégie. Autour d’Alassane
Ouattara, certains occupent des places de choix, à l’instar de Mamadou Touré, 48 ans. De 2011 à 2016, il a fait ses premières armes comme conseiller technique chargé de la Jeunesse et des Sports à la présidence. Son ancrage territorial à Daloa s’est construit progressivement, puisqu’il y a été élu député en 2016, puis réélu en mars 2021 comme tête de liste du RHDP. Aujourd’hui, il cumule les fonctions stratégiques: ministre de la Promotion de la jeunesse, porte–parole adjoint du parti et, depuis septembre 2023, président du conseil régional du Haut–Sassandra.
Le parcours de Myss Belmonde Dogo, 49 ans, est lui aussi révélateur des recompositions qui ont marqué le paysage politique ivoirien ces dernières années. Élue députée en 2016 sous la bannière de l’Union pour la Côte d’Ivoire (UPCI) aux côtés de Gnamien Konan, elle a rejoint le RHDP en 2018 comme directrice exécutive, avant d’entrer au gouvernement en 2019 où elle occupe aujourd’hui le poste de ministre de la Cohésion Nationale, de la Solidarité et de la Lutte contre la
pauvreté.
Nadiany Gbagbo à la manœuvre
<< Au PPA–CI, la question [du renouvellement] ne se pose plus », affirme Fabrice Lago, alias Steve Biko, secrétaire national technique. «< Même lorsqu’on se retrouve sur les plateaux de télévision pour des débats, en général, les représentants [de notre parti] sont les plus jeunes. >>
Dans les rangs du parti de Laurent Gbagbo, cette stratégie est essentiellement portée par l’épouse de ce dernier, Nadiany Gbagbo, qui joue un rôle clé dans la promotion des jeunes talents. Prince–Arthur Dalli, 44 ans, est l’un d’entre eux. Cet ingénieur télécom, passé par la City londonienne, est aujourd’hui maire de Lakota. Son
investiture a d’ailleurs été marquée par la présence de l’ancien chef de l’État.
Nady Gbagbo, portrait en vidéo d’une << femme de l’ombre » devenue figure politique
Fleur Aké M’Bo, 39 ans, secrétaire nationale technique du PPA–CI et conseillère municipale à Agboville, est elle
aussi récemment sortie de l’ombre. Candidate aux législatives de mars 2021 à Agboville face au président de l’Assemblée nationale Adama Bictogo, elle avait recueilli 13,71% des suffrages exprimés. «Je ne suis pas entrée en politique pour évincer qui que ce soit. Mon engagement n’était ni une provocation, ni un défi lancé aux aînés >>, précise–t–elle.
<<< La crise avait gelé le système politique et empêché que les générations se suivent naturellement »>, analyse Steve Biko, faisant référence à la décennie 2000-2010 marquée par la partition du pays et la crise post–électorale de 2010-2011. Cette relève doit donc relever plusieurs défis. D’abord, s’imposer dans des appareils partisans encore marqués par les hiérarchies traditionnelles puis, démontrer sa capacité à mobiliser l’électorat tout en préservant l’héritage militant.
Les jeunes devront aussi se confronter aux réalités du terrain. Pour Assalé Tiémoko, 49 ans et député-maire indépendant de Tiassalé, «< ils n’occupent aucune place sur la scène politique ivoirienne. Est–ce qu’on leur donne la liberté de parole au–delà du discours partisan à l’intérieur de leur parti?», interroge–t–il? Et d’ajouter: <<< Il y aura un passage à vide pour les grands partis après cette présidentielle car les leaders charismatiques ne pourront plus être dans la course au–delà de cette
élection >>.
<<< Redistribution des cartes >>
En 2021, Assalé Tiémoko avait suscité un vif débat en proposant un projet de loi pour pousser Ouattara, Gbagbo et Bédié «< à la retraite ». Ce texte, qui visait à réinstaurer une limite d’âge à 75 ans pour être candidat à la présidentielle, aurait eu pour conséquence de disqualifier aujourd’hui Gbagbo et Ouattara. Mais il n’a jamais été mis à l’agenda de l’Assemblée nationale pour être étudié en plénière. Certains l’avaient jugé discriminatoire, estimant qu’être jeune n’était pas forcément un gage de compétence.
Face aux puissants, le député ivoirien Tiémoko Assalé lance un mouvement politique << de rupture >>
Mais Tiémoko persiste: << La présence de ces doyens bloque tout. D’ailleurs ils ont annoncé plusieurs fois leur départ, mais ils restent à chaque fois en raison de circonstances exceptionnelles. Il faut les mettre à la retraite pour que ceux qui sont terrorisés par leur présence, puissent sortir de l’ombre. Il doit y avoir une
nouvelle dynamique et une redistribution des cartes. >>
JA

Leave feedback about this