24 avril 2025
Paris - France
POLITIQUE

En Côte d’Ivoire, à Sakassou, plongée au cœur d’un royaume baoulé divisé 

« De cette cérémonie, toute la Côte d’Ivoire et le monde entier doivent retenir qu’il y a un seul royaume baoulé, dont le siège est à Sakassou. Il n’y en a pas de second, avec un siège à Abidjan. Nous sommes venus faire allégeance à notre roi que nous avons d’un commun accord intronisé au sanctuaire du royaume.

Une cérémonie d’allégeance à Nanan Kouakou Djè Il a eu lieu le 15 juillet à Sakassou, mais les partisans de Otimi Kassi Anvo, le fils de la défunte reine, affirment qu’il est le seul roi légitime. Une crise de succession sur fond de tensions politiques avant la présidentielle d’octobre 2025

Dans la matinée du 15 juillet, la ville de Sakassou, située à une quarantaine de kilomètres de Bouaké, semble encore endormie. Et pourtant, une cérémonie d’allégeance à l’un des protagonistes de la bataille de succession qui fracture la cour royale se prépare

<<< Intronisé le 17 juin dans le sanctuaire de la cour royale de Sakassou selon les us et coutumes de la pure tradition baoulé », selon ses partisans, Nanan Kouakou Djè II est le quatorzième roi. Cette cérémonie doit montrer aux yeux de l’opinion qu’il a le soutien des chefs de cantons et de tribus. Les forces de l’ordre ont été déployées tôt afin d’éviter tout débordement. Des dignitaires et des cadres ont fait le déplacement depuis les sept régions administratives du royaume : le Gbêkê, se trouve le siège, le Bélier, le N’Zi, l’Iffou, Yamoussoukro, une partie de la Marahoué et de l’AgnébyTiassa

Dès l’entrée, audessus du grand portail noir, on peut lire en baoulé Agoua Awlô (cour royale). Plusieurs tentes ont été dressées pour l’occasion et la plupart des participants arborent des tenues traditionnelles, le pagne délicatement reposé sur l’épaule gauche. Sous l’apatam, des chefs de cantons, quelques chefs de tribus et la cour du nouveau roi sont déjà installés. Kouakou Djé II fait son entrée

<<< Un seul et unique roi >> 

Un à un, les 172 chefs de tribus et de villages du canton Walebo de Sakassou présents passent faire allégeance au roi. Puis, c’est au tour des 36 chefs de cantons présents – sur 39 au total. Ceux de Yamoussoukro, Diabo et Languibonou manquent à l’appel. Sontils opposés à la cérémonie? Les autres communautés vivant à Sakassou sont également priées de passer faire la révérence

 En Côte d’Ivoire, au royaume des Baoulés, deux prétendants pour un seul trône 

<< De cette cérémonie, toute la Côte d’Ivoire et le monde entier doivent retenir qu’il y a un seul royaume baoulé

dont le siège est à Sakassou. Il n’y en a pas de second, avec un siège à Abidjan. Nous sommes venus faire allégeance à notre roi que nous avons d’un commun accord intronisé au sanctuaire du royaume. Il est le seul et l’unique », insiste Nanan Assi Etien Mazola, chef du canton de Tiassalé

Le mot de la fin revient à Nanan Kouakou Kouamé Mathieu, porteparole de l’hôte du jour. « Les chefs de cantons, villages et tribus peuvent venir dans cette cour royale comme la leur. Tous, sauf ceux qui ont des intentions malveillantes. À partir d’aujourd’hui, le chef des Baoulés est Nanan Kouakou Djè II.>> 

Mais le débat est loin d’être clos. Bien que la cérémonie ait mobilisé en nombre, les partisans de Otimi Kassi Anvo, le fils de la défunte reine Nanan Akoua Boni IIdénoncent une «forfaiture ». « On ne peut pas tordre le cou à la tradition multiséculaire. Ceux qui le font savent bien qu’il y a quelqu’un qui a suivi les rites et qui a été intronisé en 2019 », s’insurge un élu baoulé sous le couvert de l’anonymat

Dans le secret du bois sacré 

Comment le royaume s’estil retrouvé ainsi divisé ? Retour en 2002, lors du décès d’Anoungblé III. Le pays est alors en crise, et c’est sa sœur, Akoua Boni II qui est désignée comme régente. Elle conduira les affaires du royaume jusqu’au moment des obsèques de son frère, en 

  1. Les relations entre Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié sont alors au beau fixe. Tous deux sont 

présents à la cérémonie

<<< Pendant que nous étions en train d’accompagner comme il se doit notre souverain, lors des célébrations, un chef a demandé à prendre la parole. Il a annoncé à la surprise générale que les chefs de cantons s’étaient réunis et avaient décidé que la reine, qui assurait l’intérim depuis le décès de son frère, allait lui succéder. Nous étions tous interloqués, car cela ne respectait aucunement la tradition. Ce n’est pas de cette façon qu’on nomme le roi non plus », se souvient un participant

Depuis, il y a ceux qui contestent la manière dont les choses ont été faites et ceux qui demandent d’accepter le fait accompli. Mais pour les proches de Otimi Kassi Anvo, c’est bien lui qui était le prince héritier, ayant suivi les rites depuis les obsèques de son oncle et la formation 

pendant des années. << Toutes les familles ont donné l’autorisation de l’introniser en 2019, sa mère lui également donné sa bénédiction. Après l’intronisation, on a voulu aller la saluer et nous avons vu des forces de l’ordre. Depuis cette date, ils ont tenté d’opposer le fils et la mère», explique Nanan Kouadio Dan II, porteparole d’Otimi Kassi Anvo

 En Côte d’Ivoire, « Game of Thrones » au royaume des Baoulés 

Dans un communiqué daté du 21 avril et adressé au préfet de Sakassou, le chef du village éponyme, Nanan Kouadio Kouassi l’a informé que << depuis le 29 mars 2019, sa majesté Nanan Kassi Anvo Michel a été désigné roi des Baoulés dans la pure tradition et dans le secret du bois sacré ». Il expliquait également que Akoua Boni II était la << reine mère». Mais pour d’autres, c’était bien elle 

la souveraine. L’État l’avait reconnue car désignée au sein de la chambre des rois

Cette situation avait déjà provoqué des tensions au sein du royaume, avec d’une part ceux qui reconnaissaient la reine et de l’autre les partisans de son fils. Avant son décès en 2023, même si l’on assurait que les relations entre les deux étaient bonnes, Akoua Boni II n’aura 

jamais publiquement ou officiellement abdiqué en faveur de son fils

Positions irréconciliables 

Un autre argument mis en avant par le camp de Kouakou Djè II est le principe d’alternance entre familles à la tête du royaume. <<À Sakassou, il y a deux grandes familles : les Anoungblé et les Djè qui règnent de façon alternative. On ne peut pas confisquer le trône sous prétexte de matrilinéarité. C’est avoir une courte vue de cette notion», explique Louis KouakouHabonouan, conseiller spécial du royaume baoulé, chargé de la veille stratégique, de la communication et des relations publiques. Il ajoute : << Celui dont vous parlez est bel et bien le fils de la reine

il est de la famille Anoungblé. Les sages du royaume leur disent que c’est le tour de la famille Djè. Qu’ils patientent jusqu’à ce que leur tour revienne!» Un raisonnement battu en brèche par les autres. «< Les Djè ont été 

désanoblis. Ils ne peuvent plus prétendre au trône »>, confie un proche d’Otimi Kassi Anvo

Alors que la discrétion a pendant longtemps été de mise dans la gestion de la crise, la guerre se mène désormais sur la place publique avec des positions qui semblent plus que jamais irréconciliables. De part et d’autre émergent des accusations d’instrumentalisation politique à la veille de la présidentielle de 2025

A lire a Présidentielle en Côte d’Ivoire : Tidjane Thiam 

lance les grandes manœuvres 

Une cadre baoulé du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, opposition) estime que «<lors de la présidentielle de 2010, Alassane Ouattara a été élu président, car au deuxième tour, le PDCI a fait le choix de le soutenir. Ce parti a une composante baoulé essentielle, qui apparaît donc pendant toute sa gouvernance comme un enjeu majeur. Elle fait à elle seule 30% de la population. En 2025, le petitneveu du fondateur du PDCI se présente. Si ce peuple réussit à s’unir>> 

<<<< Sakassou est assiégé ! »> 

Depuis son accession à la tête du PDCI, Tidjane Thiam 

suscite de l’espoir au sein de l’électorat du vieux parti cofondé par son grandoncle, Félix HouphouëtBoigny. Cette nouvelle division du royaume avant la présidentielle d’octobre 2025 est le signe d’une tentative de reprise en main du pouvoir. << Sakassou est assiégé ! », s’écrie un élu 

du PDCI. << À défaut de réussir à prendre cette ville symbolique en remportant des élections, ils veulent récupérer la cour royale», ajoutetil

La défunte reine était proche du pouvoir, alors que son fils est soutenu par des cadres du PDCI. Certaines personnalités qui ont marqué la vie du royaume comme Paul Akoto Yao avaient publiquement pris la parole pour le soutenir. C’est d’ailleurs à la résidence de Marie- 

Thérèse HouphouëtBoigny, à Cocody, qu’il reçoit

Une personnalité est également pointée du doigt: Jeannot AhoussouKouadio. Nommé ministre d’État

conseiller spécial à la présidence le 3 mai, c’est lui qui a représenté Alassane Ouattara aux obsèques de Bédié à 

Pépressou. Pour certains, au PDCI, c’est leur ancien camarade qui souhaite ramener le royaume dans le giron du parti au pouvoir. << Comment expliquer que malgré toutes ses défaites électorales, il continue à être nommé ? Il est en mission. Les problèmes au sein du royaume ont recommencé quelques jours après sa désignation »>, glisse un cadre du parti. Des accusations que l’intéressé se garde de commenter

A lire: a Présidentielle en Côte d’Ivoire : comment Alassane Ouattara gère les inquiétudes au sein du RHDP 

Le 26 juin dernier, un conclave des Baoulés s’est tenu à Yamoussoukro, sur invitation des doyens Camille Alliali et Alphonse CowppliBoni Kouassi, ancien président par intérim du PDCI. Quelques jours plus tard, ils ont également réuni les cadres à Abidjan afin de tirer au clair cette crise. Pour eux, il n’y a nul doute que Otimi Kassi Anvo est le roi légitime. De quoi donner des arguments à l’autre camp, qui s’est empressé de rappeler qu’il n’avait aucune légitimité pour se saisir de la question

<<< Qu’ils avancent des preuves quand ils disent que c’est le RHDP qui nous instrumentalise !», déclare un chef traditionnel présent à la cérémonie d’allégeance à Kouakou Dje II. << CowppliBoni n’est pas un chef baoulé. Étant donné son âge, on lui doit le respect mais il n’y a pas de rôle de médiateur qui tienne. S’il voulait rendre service au royaume, il viendrait à Sakassou. Il y a des lieux et des instances habilités pour cela : le conseil du royaume baoulé qui regroupe l’ensemble des chefs de cantons, le collège des sages du royaume qui compte les quatre tribus historiques, le collège des sages du Walèbo à Sakassou et enfin la cour royale. Atil appelé ces quatre instances?»>, ajoute notre interlocuteur

L’appel à Alassane Ouattara 

Dans un communiqué rendu public le 10 juillet, la chambre nationale des rois et chefs traditionnels, dont le siège se situe à Yamoussoukro, s’est défendue d’être à l’origine du conflit. Le 5 août, Kouakou Djè II devrait présenter ses civilités à la chambre des rois. Il a également déjà rencontré le préfet de Sakassou, Bonaventure Tiégbé. Accusé de prendre parti en mobilisant les forces de l’ordre à chaque manifestation, le préfet explique ne prendre que des dispositions pour << assurer la sécurité et garantir l’ordre public >> 

<<< C’est une situation traditionnelle. En tant qu’autorité administrative, tout ce qu’on peut faire c’est d’aider les populations à vivre en harmonie. J’ai toujours soutenu qu’ils étaient des frères car toutes les familles concernées ont des liens. Ils doivent se retrouver pour se parler >>

confietil. Ce dernier a d’ailleurs tenté de mettre en place une médiation. La dernière a été menée le 3 juin, après les obsèques du président Bédié. Un nouvel échec. Désormais les partisans d’Otimi en appellent à Alassane Ouattara. C’est le président qui, par décret, permet officiellement son entrée à la chambre des rois

Jean Moliere/JA

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