« Nous dormons parmi les moustiques et les ordures » : à Abidjan, les déguerpis attendent toujours d’être relogés
Ils vivaient dans les communes d’Attécoubé ou de Yopougon et ont tout perdu quand leurs maisons ont été détruites au motif qu’il fallait assainir certains quartiers de la capitale économique. Des aides ont été promises, mais tardent parfois à être versées.
De l’ancienne vie de Nicaise Guei, il ne reste rien ou presque. Le 25 février au matin, des engins de démolition ont détruit sa maison, ainsi que celles de ses voisins. <<J’ai juste pu sauver les habits de ma fille »>, se lamente la jeune femme. En quelques heures, Banco 1, son quartier situé dans la commune abidjanaise d’Attécoubé a été réduit à l’état de champ de ruines, sans que ses habitants ne soient prévenus à l’avance de l’opération de déguerpissement.
Où aller quand on a tout perdu? Nicaise Guei n’a pas quitté les lieux. Elle a trouvé refuge dans l’école primaire du quartier, où une salle de classe a été transformée en dortoir de fortune. « Nous dormons parmi les moustiques et les ordures »>, se désole–t–elle. Depuis plusieurs mois, le district d’Abidjan, dirigé par Ibrahim Cissé Bacongo, a multiplié ce type d’opérations dans le but de << lutter contre le désordre urbain », laissant sur le carreau des milliers de familles aux conditions de vie déjà précaires.
En théorie, 380 euros d’indemnités par ménage
<<< C’est une catastrophe humanitaire », déplore Michel Bah Irié, le président du comité de restructuration du quartier. << Banco 1 vivait paisiblement jusqu’au matin du 25 février, assure–t–il. La plupart des habitants tiraient
des revenus de la location de leur maison ou vivaient de petits boulots. >> Depuis, certains se sont résolus à quitter Abidjan pour retourner vivre au village, à l’intérieur du pays, quand d’autres vivent désormais sur les marchés de la commune voisine de Yopougon. Au mois de mars, le
gouvernement ivoirien avait pourtant approuvé un plan de relogement; le dispositif prévoyait une allocation de 250 000 francs CFA, soit environ 380 euros par ménage.
À Banco 1, comme dans les autres sites concernés par des démolitions, les habitants ont été invités à s’inscrire sur des listes de recensement supposées ouvrir le droit aux indemnisations. «Mais les noms de beaucoup de personnes qui n’ont pas été touchées ont été ajoutés. Nous avons même retrouvé les noms de conseillers et d’agents municipaux ! » dénonce Michel Bah Irié. Selon lui, la liste qu’il avait lui–même élaborée en sa qualité de président du comité de restructuration a été tronquée. La mairie d’Attécoubé dit pourtant n’avoir reçu aucun signalement de fraude et rappelle que ses agents ne participaient pas à la distribution des indemnités. <<< L’opération des indemnisations est menée par les fonctionnaires du ministère de la Solidarité », insiste Adama Thias NGolo Koné, adjoint au maire de la commune.
D’après lui, la municipalité a reçu << une liste de 1 279 indemnisations >>. << On ne peut donc fournir une aide qu’à ces 1279 ménages », explique–t–il. Et de préciser que, pour l’heure, seuls les locataires ont déjà été indemnisés :
la procédure pour les propriétaires de maisons prendra plus de temps, ceux–ci devant fournir des titres fonciers.
Adama Thias NGolo Koné se veut rassurant : << Cela se fera par vagues, mais ils seront indemnisés. »
<<< Nous avons tout perdu »
À quelques kilomètres de là, la cité Eden du quartier Gesco, dans la commune de Yopougon, a été la première ciblée par la vague de déguerpissements. Plusieurs bâtiments dont une école, le groupe scolaire Cha Hélène,
ont été démolis. << Notre quartier n’était pas une zone précaire, regrette Rose Kra, qui représente les sinistrés. Mais un matin, ils sont venus démolir en prétextant des travaux d’aménagement routier. Nous avions des titres fonciers, mais ils n’en ont pas tenu compte. >>
Les habitants de Gesco devaient eux aussi bénéficier des indemnisations promises par le gouvernement. << Mais qu’est–ce que je peux faire avec 250 000 francs CFA ? se demande Rose Kra. Avec ça, je ne peux même pas louer un appartement. J’ai construit une maison qui valait des
millions de CFA et aujourd’hui, je me retrouve à repartir vivre dans ma famille, dans une chambrette avec tous
mes enfants. C’est humiliant.>>
En Côte d’Ivoire, les déguerpissements à Abidjan réveillent les querelles politiques
Outre les indemnisations, le gouvernement ivoirien avait annoncé un accompagnement pour ceux qui voudraient acquérir une nouvelle parcelle, ainsi qu’une allocation d’aide à la construction d’un montant d’un million de francs CFA. << Je ne sais pas où et quand seront appliquées toutes ces mesures. Il faut que le gouvernement essaie de régler notre cas car nous avons tout perdu »>, insiste Rose Kra.
Face à la démographie galopante et à l’urbanisation
rapide du district d’Abidjan, «< il faudrait mener de véritables réflexions, estime Joseph Amon, président de l’Ordre des architectes. La population qui subit la pression urbaine cherche simplement un endroit où habiter, elle ne fait pas la distinction entre les zones constructibles [et les] autres. Elle trouve un terrain et elle l’occupe. Lorsqu’on laisse les gens s’installer et construire leur vie dans ces espaces et que, des années après, on vient les chasser, on crée un problème social. Et c’est malheureusement ce à quoi on assiste aujourd’hui. >>
Jean Moliere source JA
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