29 mars 2024
Paris - France
Editorial

Côte d’Ivoire : Laurent Gbagbo , retour au pays natal , « Abidjan est doux »

Côte d’Ivoire : « Abidjan est doux, à l’heure là! »

L’ancien président ivoirien est arrivé à Abidjan ce jeudi 17 juin. Il a foulé sa terre natale pour la première fois depuis près de dix ans

La chambre d’appel de la CPI a confirmé l’acquittement de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, prononcé en première instance le 15 janvier 2019. Cette décision ouvre la voie au retour de l’ancien président ivoirien dans son pays.

Il a levé les deux pouces en l’air en direction de son avocate à l’énoncé du verdict. Pour Laurent Gbagbo, c’en est terminé : après une décennie de procès devant la Cour pénale internationale (CPI), il est définitivement libre. Ce mercredi 31 mars, la chambre d’appel de la juridiction internationale a confirmé son acquittement ainsi que celui de Charles Blé Goudé, prononcé en première instance le 15 janvier 2019. Les deux hommes étaient accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité durant la crise postélectorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire, qui avait fait plus de 3 000 morts.

« La chambre d’appel rejette l’appel du procureur et confirme la décision de la chambre de première instance », a déclaré le juge nigérian Chile Eboe-Osuji, président de la chambre et ancien président de la CPI, au terme d’un long exposé d’une heure, durant lequel il est revenu sur les différentes étapes de la procédure. La chambre d’appel a également décidé de révoquer toutes les conditions de la mise en liberté de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, qui sont désormais libres de leurs mouvements.

« Dix ans presque jour pour jour après le début de cette procédure, cette décision est la victoire de la justice, mais aussi la victoire d’un homme, celle du président Laurent Gbagbo, injustement accusé et qui voit aujourd’hui son innocence pleinement reconnue, se félicite son avocat, Me Emmanuel Altit. Ce 31 mars restera aussi comme une date importante pour la Côte d’Ivoire, car cette décision va dans le sens de la réconciliation nationale. »

Massés devant l’entrée principale de la cour, à La Haye, les dizaines de partisans de l’ex-président et de l’ex-leader des Jeunes patriotes ont laissé exploser leur joie à l’annonce de leur acquittement définitif. « Nous y sommes enfin, s’enthousiasme Prisca Digbeu, venue spécialement de France pour l’occasion. En 2011, nous étions en pleurs quand Laurent Gbagbo est entré à la CPI, car on ne savait pas quand il allait en ressortir. Dix ans plus tard, nous sommes heureux et émus. L’heure est venue pour lui de rentrer en Côte d’Ivoire pour participer à la réconciliation nationale. »

Une décennie de procédure

Après le verdict, Laurent Gbagbo s’est isolé avec son épouse, Nady Bamba, et ses avocats dans un salon du tribunal. L’ancien chef de l’État, 75 ans, affaibli par ses huit années de détention, était pendu au téléphone mais n’a pas souhaité réagir publiquement.

En début d’après-midi, il avait fait son arrivée dans une CPI déserte en raison de la situation sanitaire. Costume-cravate sombre, lunettes de soleil sur le nez, il s’était dit « confiant » quant à l’issue de la procédure. Et avait ajouté, sourire en coin en pénétrant dans le hall principal de la CPI : « C’est la première fois que je passe par ici et non par l’entrée des prisonniers ! »

Pour le bureau de la procureure, Fatou Bensouda, qui avait fait appel de l’acquittement des deux hommes en septembre 2019, cette décision est un nouveau désaveu cinglant. En janvier 2019, les juges avaient pointé le manque de preuve de l’accusation – le président de la chambre allant même jusqu’à évoquer la « faiblesse exceptionnelle » du dossier de la procureure. Alors qu’elle s’apprête à passer la main au Britannique Karim Khan en juin, nul doute que cette affaire restera comme le principal échec de la magistrate gambienne durant son mandat à la CPI.

Pour Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, c’est la fin d’un long combat judiciaire. Après plusieurs années de détention à la prison de Scheveningen, ils avaient été remis en liberté sous conditions après leur acquittement en première instance. Contraints de rester à proximité de la CPI et de demeurer à sa disposition, l’ancien chef de l’État s’était installé à Bruxelles, en compagnie de Nady Bamba, tandis que Charles Blé Goudé avait choisi de rester à La Haye.

Le Woody de Mama et l’ex-« général de la rue » avaient ensuite vu leur régime de liberté conditionnelle allégé en mai 2020. Concrètement, ils étaient depuis autorisés à changer de lieu de résidence et à vivre où ils le voulaient, à condition d’obtenir l’accord des autorités du pays concerné. Immédiatement, les partisans de Gbagbo s’étaient mis à rêver d’un retour imminent de leur mentor en Côte d’Ivoire.

Tractations pour un retour

Mais malgré cette volonté affichée de rentrer à Abidjan, le retour de Gbagbo est sans cesse reporté. Dépourvu de passeport, recalé à la présidentielle du 31 octobre 2020… L’ancien président rencontre de nombreux obstacles. Ses proches accusent les autorités ivoiriennes de tout faire pour l’empêcher de rentrer. De leur côté, Alassane Ouattara et son entourage assurent qu’ils sont disposés à permettre son retour, mais uniquement lorsque la CPI aura définitivement statué sur son sort.Après sa réélection pour un troisième mandat en octobre dernier, au terme d’une élection marquée par des violences et le « boycott actif » d’une partie des candidats de l’opposition, le chef de l’État entrouvre davantage la porte au retour de son prédécesseur. Alors que les tractations entre les deux camps se tenaient jusque-là en coulisses entre discrets émissaires, elles sont désormais officialisées.

• L’ancien président est rentré par un vol commercial de la compagnie Brussels Airlines, qui est arrivé peu avant 16h30, heure locale. Il voyageait en compagnie de sa seconde épouse, Nady Bamba.

Popularité intacte

S’il n’a pas eu « l’accueil triomphal » qu’espéraient ses militants, Laurent Gbagbo a cependant pu constater que sa popularité demeure intacte. Sur le chemin de son retour, qui s’est achevé dans la maison de sa seconde épouse, Nady Bamba, ils étaient encore des milliers à avoir bravé depuis le matin les jets de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes. Combien auraient-ils été sans cette dispersion systématique ? Nul ne le saura jamais.

A Port-Bouët, à quelques centaines de mètres de l’aéroport, comme dans d’autres communes d’Abidjan, tout était pourtant prêt pour offrir une marée humaine à celui que ses militants considèrent encore comme « le vrai président des Ivoiriens ».

Côte d’Ivoire : pourquoi Laurent Gbagbo a refusé le pavillon présidentiel à son retour le 17 juin?

LAURENT GBAGBO : « VOICI POURQUOI J’AI REFUSÉ LE PAVILLON PRÉSIDENTIEL »Alors qu’il était attendu par bon nombre de ses partisans au pavillon présidentiel, mis à sa disposition par les autorités ivoiriennes, le fondateur du Front populaire ivoirien (FPI), a préféré brûler cette étape.       

« J’ai refusé de passer par le pavillon présidentiel d’honneur, parce qu’à mon arrivée j’ai demandé au secrétaire général Assoa Adou de me faire le point de la situation, et lorsqu’il m’a dit que mes partisans se faisaient gazer et frapper, j’ai décidé de ne plus passer par le pavillon présidentiel et aller directement au QG ».

Tout au long de la journée, la police a dispersé, refoulé,  avec du gaz lacrymogène tous ceux qui venaient des quartiers d’Abidjan et  de villes de l’intérieur du pays  et qui tentaient de se rassembler près de l’aéroport, situé dans le Sud de la capitale, dans le quartier de Port-Bouët où des échauffourées ont aussi opposé les forces de l’ordre à des partisans de Laurent Gbagbo.

L’ex-président s’est rendu ensuite en cortège dans le quartier d’Attoban, où se trouve son ancien QG de campagne, où des centaines de personnes l’ont accueilli. Devant les membres de la direction de son parti, le Front populaire ivoirien (FPI), il s’est dit « heureux de retrouver la Côte d’Ivoire et l’Afrique après avoir été acquitté » de crimes contre l’humanité par la justice internationale.  « Je suis ivoirien mais j’ai appris en prison que j’étais d’Afrique. Toute l’Afrique me soutient », a-t-il insisté devant des partisans. »J’ai des larmes aux yeux en pensant à ma mère décédée », a-t-il déclaré, évoquant ce décès survenu pendant qu’il était emprisonné à La Haye. Il a ajouté qu’il aurait l’occasion de faire « plus tard » un discours politique.

Jean Molière/Directeur de Publication

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