19 avril 2024
Paris - France
ECONOMIE

Côte d’Ivoire : que fait le gouvernement face à la vie chère

Alors que le pays fait face à une augmentation du prix de certains produits, les Ivoiriens attendent des autorités le renforcement des contrôles

À la veille de la Tabaski, commerçants comme clients étaient unanimes : les prix de certains produits ne font quaugmenter depuis quelques mois. Pour un mouton qui se vendait à 80 000 F CFA l’année dernière, il faut débourser au moins 100 000 F CFA cette année. Il faudra donc se serrer la ceinture

« Cest le Burkina Faso, le Mali et le Niger qui nous approvisionnent en bétail. Mais de 645 bæufs abattus tous les jours, nous sommes passés à environ 300. Cela fait que le prix de la viande a augmenté. La crise sécuritaire que vivent ces pays affecte également le marché du bétail », explique Mansa Ben N’Fally, président de la coalition nationale des organisations de consommation de Côte dIvoire. Le phénomène touche plusieurs secteurs. « Le coût de la tonne de ciment est passé de 70 000 F CFA à 130 000 F CFA à certains endroits. Nous avons saisi les autorités qui ont pris des mesures pour plafonner les prix. Mais 

cela nest pas respecté partout », ajoutetil

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Pour Gohou Danon, sousdirecteur de Bloomfield Intelligence, « laugmentation que lon constate nest pas spécifique à la Côte d‘Ivoire. Elle a lieu dans un contexte le monde entier commence à sortir du Covid19 et il y a une hausse des prix à linternational, à cause notamment dune forte demande des pays dAsie. En ce qui concerne la Côte dIvoire, linflation sélevait à 2,9 % en moyenne en juin, dont 4,2,% daugmentation pour les prix des loyers. » 

« Dans les années 20072008, il y a déjà eu une augmentation des prix qui a entraîné des manifestations dans les rues dAbidjan. Mais cette foisci, la hausse des prix que nous constatons dans les marchés et boutiques de quartiers est plus élevée », détaille léconomiste

Une croissance qui sessouffle En plus de la pandémie de coronavirus qui fait augmenter les prix à l‘importation, plusieurs raisons expliquent la cherté de la vie en Côte dIvoire, en particulier à Abidjan. Depuis avril, les entreprises ivoiriennes ont été confrontées à des délestages, réduisant leur capacité de production. La difficulté d‘approvisionnement des villes depuis les zones de production souvent éloignées et enclavées constitue également un frein. Léconomie ivoirienne connaît la croissance depuis 2012 et a montré sa résilience face à lépidémie de Covid 19, avec un taux 1,8 % en 2020, selon la Banque mondiale. « Mais cette croissance commence à sessouffler. De 10,7 % en 2012, elle est passée à 6,2% en 2019. De plus, elle nest pas inclusive. Seule une petite partie des nantis en profitent. La population qui est pour la plupart rurale, nen néficie pas », analyse Gohou Danon pour qui le niveau de vie global de la population na pas augmenté

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Également pointés du doigt comme étant responsables de la cherté de la vie, en gonflant artificiellement certains prix, les commerçants se défendent. « La vie chère ne date pas daujourdhui en Côte dIvoire. Mais il faut prendre le problème à la racine. Lacquisition dun étal ou dun magasin est excessivement chère sur les marchés. Ajouter à cela les impôts et taxes douanières qui augmentent : le commerçant, qui nest pas un philanthrope, augmente aussi ses prix », justifie Falikou Soumahoro, président de la Fédération nationale des acteurs du commerce de Côte dIvoire

« Nous avons saisi les autorités il y a trois mois par rapport à lannexe fiscale 2021 pour les alerter sur le fait que la proposition daugmenter la TVA sur certains produits comme le riz de luxe pourrait avoir comme conséquence la hausse des prix. Nous avons fait des propositions sur les tarifs douaniers. En plus de cela, les petits commerçants qui voyageaient dans la sousrégion pour ravitailler les petits marchés doivent désormais faire des dépenses supplémentaires à cause de la fermeture des frontières. Tout cela concourt à augmenter les prix », ajoutetil

Mauvaise foi des commerçants ? Autant darguments que réfute le Conseil national de lutte contre la vie chère, restructuré en 2017 et assure une veille sur lensemble des prix des produits de grande consommation, les loyers et les transports. « Cest de la mauvaise foi de la part des commerçants, car il ny pas eu daugmentation des taxes en 2021. Il y avait effectivement un projet de soumettre à la TVA le riz de luxe. Mais cette annexe fiscale nest pas encore entrée en vigueur, car nous en discutons encore avec le gouvernement. De plus, cela ne concerne quune infime partie du riz», insiste Ranie-Didice BahKoné, secrétaire exécutive du Conseil. Accompagnée dune équipe, elle a effectué du 13 au 18 juillet une tournée sur la « route du bétail », jusquà la frontière avec le Burkina Faso, afin de faciliter lacheminement des bêtes avant la fête de la Tabaski

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« Le Ghana, le Nigeria et le Togo sont également des importateurs et il y avait une petite bataille pour être le plus attractif. Avec la crise au Sahel qui concerne exactement les zones agro pastorales, des villages ont disparu, et le bétail est devenu un enjeu pour les djihadistes. Loffre est moindre dans ce contexte et le prix à lorigine est plus élevé dans la zone dachat. En plus de cela il faut prendre en compte les coûts liés aux transporteurs. Nous avons donc pris attache avec les autorités des pays concernés, afin de faciliter la circulation des commerçants dans les deux sens », détaille RanieDidice Bah Koné

Colères en ligne 

Tandis que certains regrettent la faiblesse des organisations de consommateurs, la colère face à laugmentation des prix a surtout été relayée sur les réseaux sociaux. Mercredi, certains Abidjanais se sont donné rendezvous pour une manifestation. Atelle été autorisée ? Lannonce même de ce rassemblement a fait réagir le gouvernement. Lors dune conférence de presse dimanche, le ministre du Commerce et de lIndustrie, Souleymane Diarrassouba a assuré que les autorités prendraient les choses en main. Outre lintensification des contrôles, le gouvernement met laccent sur la sensibilisation des populations et des commerçants

 NOUS NE POUVONS PAS METTRUN CONTRÔLEUR DANS CHAQUE BOUTIQUE 

« On peut décider de plafonner les prix. Mais nous ne pouvons pas mettre un contrôleur dans chaque boutique. Cest pour cela que nous informons les populations sur les prix et les invitons à faire respecter leurs droits », regrette RanieDidice BahKoné. « Lorsquon fait face à un commerçant qui ne respecte pas les tarifs, nous avons aussi notre rôle à jouer. Nous devons être solidaires et ne pas acheter des produits plus quau prix normal. Il faut également alerter le ministère du Commerce ou les organisations de consommateurs, afin que des sanctions soient prises », ajoute Mansa Ben NFally

Le lundi 19 juillet, une rencontre a eu lieu à la Primature entre plusieurs départements ministériels et le Conseil afin dexaminer le niveau des prix. Des représentants du ministère du Commerce et de l’Industrie, mais aussi ceux de lAgriculture, du Logement, des Transports, des Finances et du Budget et de la Communication étaient présents

Ces efforts permettrontils de stabiliser les coûts ? Pour Gohou Danon, il est indispensable que le gouvernement agisse pour contrôler lapplication des décisions quil prend. Malgré lencadrement des loyers, à travers logement la loi sur le bail à usage dhabitation en 2018 qui limite le nombres de loyer davance et la caution à verser, certains bailleurs ne respectent pas la loi. « Un cadre opérationnel a été établi par le gouvernement avec plusieurs organes comme l’unité de lutte contre le racket. Mais tout cela reste des slogans qui nont pas encore eu dapplication pratique. Le gouvernement pourrait atténuer la cherté de la vie en rendant opérationnelles toutes ces organisations et en luttant contre la corruption », estimetil

JA

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