À sept mois de l’élection à la magistrature suprême, le chef de l’État continue de maintenir Tidjane Thiam à bonne distance. Mais en coulisses, plusieurs missions de bons offices ont été lancées pour rapprocher les deux hommes. L’une d’entre elles a été facilitée par l’ex–président français Nicolas Sarkozy.
L’entrevue s’est tenue en grand secret, en novembre 2024, dans le bureau de Nicolas Sarkozy, rue de Miromesnil à Paris. Elle a réuni pendant plus de deux heures l’ex–chef de l’État français et le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Tidjane Thiam, à l’initiative de ce dernier. Les deux hommes ont notamment évoqué la situation politique en Côte d’Ivoire.
Lors de ces échanges, le candidat à l’élection présidentielle et chef de l’opposition a fait part de son « incompréhension » de ne pas être reçu par Alassane Ouattara, en dépit de plusieurs demandes formulées en ce sens. Si Nicolas Sarkozy ne s’est pas formellement engagé à jouer les médiateurs avec le président ivoirien, dont il est un ami depuis plus de trente ans, il s’est néanmoins montré favorable à évoquer le sujet avec lui.
Si l’ex–président français est loin d’être aussi intime avec Tidjane Thiam qu’il ne l’est avec le chef de l’État ivoirien, il apprécie particulièrement le patron du PDCI. Il a en effet eu l’occasion de le côtoyer à plusieurs reprises au cours des dernières années. Dès 2011, et alors qu’il était encore à la tête de la France, Nicolas Sarkozy lui avait confié, dans le cadre de la présidence française du G20, la direction d’un groupe de travail sur les relations entre le secteur privé et les banques de développement.
De son côté, lorsqu’il était à la tête du Crédit suisse, Tidjane Thiam avait convié en mars 2017 l’ancien locataire de l’Élysée à tenir une grande conférence à Hong Kong, auprès des clients asiatiques de l’établissement. Durant ces quelques jours, l’ancien président français avait pu sympathiser avec le petit- neveu de Félix Houphouët–Boigny.
Irritation d’Abidjan
Dans la foulée de sa rencontre de novembre avec Tidjane Thiam, Nicolas Sarkozy a très diplomatiquement évoqué son cas auprès d’Alassane Ouattara lors d’un discret dîner qui s’est tenu le 31 janvier à Paris. La veille, le président ivoirien avait été reçu à l’Élysée par Emmanuel Macron, lequel n’avait évoqué Tidjane Thiam que du bout des lèvres.
Sans se coordonner, Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron se montrent tous deux, en privé, favorables à un rapprochement entre Tidjane Thiam et Alassane Ouattara, dont ils jugent les profils aussi proches que complémentaires. Lors de son premier mandat, Emmanuel Macron avait passé plusieurs messages en ce sens à Alassane Ouattara, non sans avoir suscité l’irritation d’Abidjan. Depuis longtemps, la présidence ivoirienne s’inquiète d’une présumée proximité entre le président français et Tidjane Thiam (AI du 10/11/23).
Si Alassane Ouattara a déclaré à ses différents interlocuteurs être prêt à recevoir « un jour » l’opposant ivoirien, il ne manque pas dans le même temps de partager ses vives critiques à son égard. La dernière entrevue entre le chef de l’État et Tidjane Thiam remonte au 11 mars 2024. Plus que sur des dossiers politiques, elle avait tourné autour de l’organisation des obsèques nationales de l’ancien président ivoirien, Henri Konan Bédié, décédé le 1er août 2023.
Messages restés lettre morte
Mais depuis cette rencontre, l’ensemble des messages adressés par Tidjane Thiam à Alassane Ouattara sont restés lettre morte. C’est notamment le cas de ceux qu’il lui a fait parvenir en 2024 pour la fin du ramadan, ou pour la fête de la Tabaski (Aïd–el–Kebir) deux mois plus tard. Alassane Ouattara a néanmoins daigné répondre en janvier dernier aux vœux de bonne année que lui a adressés Tidjane Thiam.
Dans le même temps, le président du PDCI tente de soigner ses canaux d’échanges avec une partie du premier cercle du chef de l’État, à l’image de la première dame, Dominique Ouattara. Cette dernière a déjà pu, par le passé, jouer le rôle d’interface entre l’opposant et son époux. Lors de l’élection présidentielle de 2020, elle avait longuement rencontré Tidjane Thiam dans un palace de la capitale française.
Fin 2024, Tidjane Thiam a par ailleurs discrètement reçu, à Paris, l’ancien premier ministre ivoirien Patrick Achi, limogé en octobre 2023. Un temps inquiet de la perspective qu’il puisse rallier Tidjane Thiam, Alassane Ouattara a nommé l’ex–chef du gouvernement, le 7 janvier, conseiller spécial à la présidence. Pour autant, ce dernier reste maintenu à bonne distance par le chef de l’État ivoirien.
Amertume des anciens conseillers
Courant 2024, la présidence s’était déjà inquiétée de voir une poignée d’autres anciens collaborateurs d’Alassane Ouattara rejoindre les rangs de Tidjane Thiam. Parmi les conseillers cités figuraient le nom de l’ancien secrétaire général de la présidence, Abdourahmane Cissé, ainsi que celui de Philippe Serey–Eiffel (AI du 27/08/24).
Ce Franco–Ivoirien, arrière–petit–fils de Gustave Eiffel, a longtemps compté parmi les conseillers les plus influents du premier mandat du chef de l’État. Il a
notamment été chargé, au début des années 2010, des affaires économiques et des infrastructures. En froid avec Alassane Ouattara depuis son retour avorté à la présidence fin 2023, il s’était rapproché de Tidjane Thiam l’année suivante et l’avait rencontré à Paris. En vue de l’élection présidentielle d’octobre, il avait un temps esquissé le souhait de rapprocher Tidjane Thiam et Alassane Ouattara.
Alors qu’une candidature d’Alassane Ouattara se dessine un peu plus chaque semaine, l’entourage de Tidjane Thiam suspecte l’entourage du chef de l’État d’être
derrière les campagnes de dénigrement dont il fait l’objet depuis plusieurs mois. Par ailleurs, il a été au cœur d’une controverse sur son éligibilité, en raison de sa double nationalité ivoirienne et française, mais a annoncé, début février, avoir renoncé à la seconde.
La garde rapprochée du patron du PDCI voit dans le pilotage de plusieurs de ces attaques la main d’Ibrahim Bacongo Cissé, le secrétaire exécutif de la majorité présidentielle du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Le gouverneur
du district d’Abidjan est amené à jouer un rôle central dans la préparation de la campagne présidentielle.
L’entourage de Tidjane Thiam s’intéresse également à ses liens avec l’homme d’affaires Jean–Louis Billon. Farouche opposant à l’ancien patron du Crédit suisse, ce cadre du PDCI conteste ouvertement depuis plusieurs mois la légitimité de Tidjane Thiam à porter les couleurs de la formation à l’élection d’octobre 2025, à
laquelle il s’est aussi déclaré candidat. Un activisme regardé non sans une certaine bienveillance par Alassane Ouattara.
Jean Moliere. . Source AI
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