Propulsé sur le devant de la scène après le décès d‘Hamed Bakayoko, le Premier ministre doit convaincre qu‘il est l‘homme de la situation. Une mission compliquée pour un technocrate discret, qui s‘avère plus politique – et sans doute plus ambitieux – qu‘il n‘y paraissait.
Cette nuit–là, un vent de panique souffle sur la lagune Ébrié. Des chancelleries du Plateau aux villas ministérielles cossues de Cocody, les téléphones ne cessent de vibrer. Comment est–ce possible ? Après les décès brutaux d‘Amadou Gon Coulibaly et d‘Hamed Bakayoko en neuf mois, voilà que leur successeur, Patrick Achi, est à son tour évacué en urgence vers Paris. En cette soirée du 10 mai, l‘état de santé du Premier ministre fait craindre à certains une
sinistre répétition de l‘histoire. Opéré quelques jours plus tôt de polypes intestinaux, voilà 48 heures que sa situation se dégrade et qu‘il perd du sang. Pour Alassane Ouattara, hors de question de prendre le moindre risque. Il fait embarquer son collaborateur à bord d‘un Gulfstream de la flotte présidentielle, en compagnie de son épouse et de son médecin personnel. Arrivé au petit matin, il est directement transféré à l‘hôpital américain de Paris, à Neuilly–sur Seine.
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Après quatre jours de convalescence, Achi va nettement mieux. L‘heure est venue de rentrer, pour couper court aux folles rumeurs abidjanaises. Aux journalistes présents à l‘aéroport international Félix Houphouët–Boigny pour son retour, il déclare : « Je me sens très bien. Je suis revenu en pleine forme pour reprendre le travail. » Depuis, le chef du gouvernement n‘a plus connu d‘alerte de santé. Ni quitté son poste à la primature, où il a passé le cap symbolique des 100 premiers jours fin juin. « Le pire job de la terre », lâche, sourire pincé, un diplomate étranger.
Le « Fillon de Ouattara » Car au-delà des histoires de malédiction présumée, être le Premier ministre d‘Alassane Ouattara dans le contexte actuel n‘a rien d‘une sinécure. Depuis sa réélection à un troisième mandat en octobre, marqué par le boycott de ses opposants et par la mort de plus de 80 personnes, le président ivoirien sait sa marge de manoeuvre réduite. « Il est très attaché à l‘image qu‘il laissera une fois parti, analyse l‘un de ses confidents. Or cette affaire de troisième mandat lui a beaucoup coûté. Il veut donc corriger le tir en obtenant rapidement de bons résultats économiques et sociaux, et Patrick Achi est d‘abord là pour ça. »
Les objectifs sont élevés. Après quasiment dix ans de croissance à 8 % entre 2011 et 2020, il faut relancer une machine mise à l‘arrêt par la pandémie de Covid–19. Régulièrement accusé de ne pas avoir sorti sa population de la pauvreté malgré ces chiffres honorables, Ouattara entend désormais obtenir davantage de retombées, notamment en termes d‘éducation et de santé. Il espère aussi multiplier les créations d‘emplois en
soutenant le secteur privé. Autant dire que son chef du gouvernement, par ailleurs accaparé par la poursuite des grands travaux ou la lutte contre la menace jihadiste, a largement de quoi faire.
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Les bons connaisseurs des arcanes ivoiriennes sont unanimes : depuis sa nomination, le Premier ministre est soumis à une intense pression du palais. « Il est harcelé par son boss, qui garde les rênes courtes sur lui », assure une source diplomatique à Abidjan. Audiences, réunions, visites de terrain... Ses journées sont sans fin et ses nuits (très) courtes. L‘intéressé, réputé gros travailleur, encaisse sans broncher. Le chef de l‘État, lui, dicte la cadence. Premier ministre ou premier collaborateur du président ? Certains s‘en amusent et voient en lui le « Fillon de Ouattara ».
Technocrate méticuleux Le chef de l‘État n‘a pas hésité longtemps quand il a fallu trouver un successeur à Hamed Bakayoko, décédé en mars. « Qui d‘autre aurait-il pu choisir pour ce poste ? », fait mine de s‘interroger un ancien ministre. Depuis sa nomination en tant que secrétaire général de la présidence (avec rang de ministre d‘État) en 2017, Patrick Achi est au coeur du réacteur. Et s‘est beaucoup rapproché de son aîné, qui lui fait désormais pleine confiance. « Cela fait plusieurs années qu‘il a une vue transversale sur tous les dossiers et qu‘il travaille étroitement avec le président, avec lequel il échange pratiquement tous les jours », confie un intime de Ouattara.
C‘EST UN HOMME RÉFLÉCHI ET PRUDENT, IL AVANCE SEULEMENT QUAND IL SAIT OÙ IL VA ET QU‘IL EST SÛR D’OBTENIR DES RÉSULTATS
Ingénieur de formation passé par l‘université américaine de Stanford, ce technocrate méticuleux de 65 ans a le genre de profil qu‘affectionne le chef de l‘État. Ministre des Infrastructures pendant une quinzaine d‘années, d‘abord sous Laurent Gbagbo puis, de 2011 à 2017, sous Ouattara, Achi a géré une bonne partie des chantiers du pays depuis plus d‘une décennie. Ceux qui travaillent avec lui évoquent tous sa culture – parfois abrupte – du résultat. « Quand il est en réunion, il demande tous les chiffres, les taux, les coûts, les bénéfices, confie l‘un de ses interlocuteurs réguliers. Il donne l‘impression d‘être quelqu‘un de conceptuel et structuré. » « C‘est un homme réfléchi et prudent. Il avance seulement quand il sait où il va et qu‘il est sûr d‘obtenir des résultats », ajoute un ministre.
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Tel un équilibriste sur une corde, le Premier ministre fait attention au moindre faux pas. Pas question de faire ou dire quoi que ce soit qui pourrait être mal perçu par la présidence. Sollicité à plusieurs reprises par JA, il a préféré garder le silence. « Pas le moment de s‘exprimer », nous a–t–il fait savoir. Se méfiant des journalistes, qu‘il n‘hésite pas à rabrouer quand un désaccord survient, il aime garder le contrôle sur sa communication. Lorsqu‘un de ses hôtes a brièvement diffusé sur les réseaux sociaux une vidéo d‘une petite fête organisée chez lui pour célébrer sa nomination, quelques jours après le décès d‘Hamed Bakayoko, c‘est peu dire que Patrick Achi n‘a pas apprécié – et assure, en privé, ne pas avoir été à l‘initiative de cette soirée.
Futur candidat ?
IL JOUE SUR LA DURÉE ET RÉFLÉCHIT À ÊTRE UN JOUR CANDIDAT À LA PRÉSIDENTIELLE
S‘il prend autant de précautions, c‘est aussi parce qu‘il joue gros. Officiellement, il est encore trop tôt pour évoquer la succession d‘Alassane Ouattara, tout juste réélu pour un nouveau quinquennat. La question est pourtant déjà dans toutes les têtes au sein du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir). « Beaucoup de gens ont des ambitions, mais il n‘y a aucun successeur désigné, affirme une source au palais. Le président garde la main sur ses équipes. Il ne faut pas que les envies personnelles polluent nos objectifs. »
Après les disparitions d‘Amadou Gon Coulibaly et d‘Hamed Bakayoko, le nouveau Premier ministre fait pourtant partie des favoris. À l‘heure actuelle, il semble même être l‘un des mieux placés. Il le sait, mais évite soigneusement de donner l‘impression d‘y penser tous les matins en se rasant. Le natif d‘Adzopé est-il plus ambitieux qu‘il ne souhaite le laisser paraître ? « Il fait attention à ne pas se mettre au premier plan pour ne pas contrarier Ouattara, croit savoir l‘un de ses ex–compagnons du Parti démocratique de Côte d‘Ivoire (PDCI, sa formation d‘origine). Mais il joue sur la durée et réfléchit à être un jour candidat à la présidentielle. »
Depuis plus de vingt ans, ce métis, fils d‘une mère bretonne et d‘un père attié de la Mé, fait preuve d‘une certaine habileté politique. « Il s‘est toujours battu pour rester dans le giron du pouvoir », résume un ancien ministre qui le connait bien. « Il est très calculateur et opportuniste », grince un autre ancien membre du gouvernement.
Il faut remonter au milieu des années 1990, sous la présidence de Bédié, pour retrouver les premiers pas de Patrick Achi dans l’administration ivoirienne. Il y débute en tant que conseiller du ministre des Finances, puis de celui de l‘Énergie. En 1999, survient le coup d‘État du général Robert Gueï. Le quadra du PDCI parvient à rester dans le jeu. Il est chargé par le Premier ministre de transition, Seydou Diarra, de réformer la stratégique filière café–cacao. En 2000, nouveau changement au sommet de l‘État : Laurent Gbagbo est élu président. Encore une fois, l‘administrateur tire son épingle du jeu. Et intègre même le gouvernement en tant que ministre des Infrastructures économiques. « Bien qu‘il vienne du PDCI, Gbagbo l‘appréciait et songeait à en faire son Premier ministre. Il cherchait un jeune technocrate pour mener ses réformes administratives et sociales », se rappelle un intime de l‘ancien président
La carte Gon Coulibaly
Le 19 septembre 2002, Achi, qui est également porte–parole du gouvernement, se trouve à Rome avec Gbagbo quand une tentative de coup d‘État ébranle son régime. Une déclaration présidentielle est rédigée
en urgence. Contre toute attente, il refuse de la lire, prétextant qu‘il s‘agit de la position de la présidence et non de celle du gouvernement. Un froid s‘installe. Le chef de l‘État ne comprend pas. Certains de ses intimes le soupçonnent d‘être de mèche avec les putschistes. Alors que Gbagbo regagne Abidjan, Patrick Achi part en mission à Washington, puis se rend à Paris, avant de rentrer à son tour. En délicatesse avec le chef de l’État, il se tourne vers Henri Konan Bédié. « Il l‘a beaucoup défendu, raconte une figure du PDCI. Il l‘a même hébergé un temps chez lui, à Daoukro, quand Achi craignait pour sa sécurité. Il le voyait comme l‘un des cadres du futur sur lesquels il pouvait s‘appuyer. »
Après les accords de Linas–Marcoussis en janvier 2003, Patrick Achi retrouve son maroquin au nom du PDCI. Revenu sous la coupe de Bédié, il se range avec lui derrière Alassane Ouattara durant la crise post électorale de 2010–2011. Le nouveau président le maintient au ministère des Infrastructures économiques. Puis vient le divorce entre Bédié et Ouattara. Achi reste loyal au pouvoir et choisit le RHDP, tout en essayant de rapprocher ses deux aînés. Un rôle qu‘il tient encore aujourd‘hui, fort des relations respectueuses qu‘il a gardées avec le sphinx de Daoukro – à qui il a rendu visite début juin.
En 2017, il franchit un nouveau palier : il est nommé secrétaire général de la présidence pour remplacer Amadou Gon Coulibaly, que Ouattara a propulsé à la primature. Pour en avoir été le témoin pendant plusieurs années, Achi sait qu‘il n‘aura jamais la relation exceptionnelle, quasi–filiale, qui existait entre le chef de l‘État et son « jeune frère ». Pas question donc d‘essayer de le remplacer, il sait que c‘est impossible, mais pourquoi ne pas essayer de s‘inscrire dans sa lignée ? Depuis sa nomination, le chef du gouvernement joue ouvertement la carte Gon Coulibaly. « Il est arrivé à la primature dans un contexte difficile, après les décès de ses deux prédécesseurs, mais il a été plutôt fin tacticien, relate un ministre influent. Il a tout suite opté pour la fidélité à Amadou, dont il a en quelque sorte perpétré l‘héritage. Cela a plu au président. »
IL ESSAIE DE CASSER SON IMAGE, ET S‘AFFICHE CASQUETTE À L‘ENVERS SUR LA TÊTE, AU GUIDON D‘UNE PUISSANTE MOTO
Dans la mouture du gouvernement sur laquelle il travaillait avant d‘être emporté par un cancer, Hamed Bakayoko avait écarté – ou déclassé – de nombreux lieutenants du « lion de Korhogo ». « Quand il a été nommé, Achi nous a appelé quasiment un par un pour nous dire qu‘il comptait sur nous, confie un ministre autrefois proche de Gon Coulibaly. Aujourd‘hui, la plupart d‘entre nous sont toujours au gouvernement et ont rallié le Premier ministre. »
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En parallèle, l‘ancien secrétaire général de la présidence multiplie les gestes symboliques. Quelques jours après son entrée à la primature, il va s‘incliner sur la tombe de Gon Coulibaly lors des funérailles traditionnelles et va solennellement saluer la mère du défunt. Le 8 juillet dernier, pour la commémoration de la première année de son décès, il lui rend un vibrant hommage, ponctué de superlatifs, devant tout le RHDP.
Ancrage local et réseau important
Entre les deux hommes, la ressemblance saute aux yeux. Ingénieurs, fins connaisseurs des rouages de l‘État, hommes de dossiers... « Il a certaines qualités de Gon que le président appréciait », indique un proche de Ouattara. Comme lui, Patrick Achi souffre aussi d‘une image de technicien un brin rigide et peu populaire qu‘il essaie de casser, comme lorsqu‘il s‘affiche, casquette à l‘envers sur la tête, au guidon d‘une puissante moto dans les rues d‘Adzopé.
« Les gens lui collent volontiers cette étiquette de technocrate mais en réalité, c‘est un pur politicien », souffle un ministre. Ceux qui le connaissent l‘assurent: derrière ses lunettes et son costume cravate, le Premier ministre est en fait très « politique ». En 2011, il parvient à se faire élire député de la Mé, l‘un des fiefs du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo. Un fauteuil qu‘il n‘a plus quitté depuis, après avoir été réélu en 2016 et en mars dernier. En parallèle, il prend la présidence du conseil régional en
- 2013. « Il parle l‘attié et il connait la vie au village. Cette zone a beau être acquise au FPI, il continue à y régner et a gardé le soutien des chefs traditionnels du gré de sa carrière. Il a un vrai ancrage local », reconnaît un de ses opposants. Il a aussi un réseau important à Abidjan et dans la sous région. Quant aux partenaires étrangers, ils semblent l‘avoir adoubé. « Il donne l’impression d‘être un gestionnaire sérieux. Il a un côté rassurant pour les occidentaux », estime un diplomate français.
Personnalité peu clivante, qui a gardé des liens au PDCI et qui est capable de discuter avec les pro–Gbagbo, Achi va maintenant devoir conquérir les cours au sein du RHDP. Et plus particulièrement parmi les barons du Rassemblement des Républicains (RDR), la formation originelle de Ouattara, qui n‘apprécient guère d‘assister à l‘ascension d‘un homme qui a rejoint le président sur le tard. Chrétien venant du sud, alors que le noyau dur de l‘entourage présidentiel est majoritairement musulman du nord, Achi n‘est pas dans les bonnes grâces de certains membres du clan Ouattara. « Mais cela peut aussi être vu comme un atout, conclut un baron du RHDP. Ce serait même un bon signal et un antidote à la xénophobie portée par certains de nos adversaires.
JA
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