10 décembre 2024
Paris - France
POLITIQUE

Côte d’Ivoire : Patrick Achi, les ambitions d’un  équilibriste 

Propulsé sur le devant de la scène après le décès dHamed Bakayoko, le Premier ministre doit convaincre quil est lhomme de la situation. Une mission compliquée pour un technocrate discret, qui savère plus politique et sans doute plus ambitieux quil ny paraissait

Cette nuit, un vent de panique souffle sur la lagune Ébrié. Des chancelleries du Plateau aux villas ministérielles cossues de Cocody, les téléphones ne cessent de vibrer. Comment estce possible ? Après les décès brutaux dAmadou Gon Coulibaly et dHamed Bakayoko en neuf mois, voilà que leur successeur, Patrick Achi, est à son tour évacué en urgence vers Paris. En cette soirée du 10 mai, létat de santé du Premier ministre fait craindre à certains une 

sinistre répétition de lhistoire. Opéré quelques jours plus tôt de polypes intestinaux, voilà 48 heures que sa situation se dégrade et quil perd du sang. Pour Alassane Ouattara, hors de question de prendre le moindre risque. Il fait embarquer son collaborateur à bord dun Gulfstream de la flotte présidentielle, en compagnie de son épouse et de son médecin personnel. Arrivé au petit matin, il est directement transféré à lhôpital américain de Paris, à Neuillysur Seine

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Après quatre jours de convalescence, Achi va nettement mieux. Lheure est venue de rentrer, pour couper court aux folles rumeurs abidjanaises. Aux journalistes présents à laéroport international Félix HouphouëtBoigny pour son retour, il déclare : « Je me sens très bien. Je suis revenu en pleine forme pour reprendre le travail. » Depuis, le chef du gouvernement na plus connu dalerte de santé. Ni quitté son poste à la primature, il a passé le cap symbolique des 100 premiers jours fin juin. « Le pire job de la terre », lâche, sourire pincé, un diplomate étranger

Le « Fillon de Ouattara » Car au-delà des histoires de malédiction présumée, être le Premier ministre dAlassane Ouattara dans le  contexte actuel na rien dune sinécure. Depuis sa réélection à un troisième mandat en octobre, marqué par le boycott de ses opposants et par la mort de plus de 80 personnes, le président ivoirien sait sa marge de manoeuvre réduite. « Il est très attaché à limage quil laissera une fois parti, analyse lun de ses confidents. Or cette affaire de troisième mandat lui a beaucoup coûté. Il veut donc corriger le tir en obtenant rapidement de bons résultats économiques et sociaux, et Patrick Achi est dabord là pour ça. » 

Les objectifs sont élevés. Après quasiment dix ans de croissance à 8 % entre 2011 et 2020, il faut relancer une machine mise à larrêt par la pandémie de Covid19. Régulièrement accusé de ne pas avoir sorti sa population de la pauvreté malgré ces chiffres honorables, Ouattara entend désormais obtenir davantage de retombées, notamment en termes déducation et de santé. Il espère aussi multiplier les créations demplois e

soutenant le secteur privé. Autant dire que son chef du gouvernement, par ailleurs accaparé par la poursuite des grands travaux ou la lutte contre la menace jihadiste, a largement de quoi  faire

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Les bons connaisseurs des arcanes ivoiriennes sont unanimes : depuis sa nomination, le Premier ministre est soumis à une intense pression du palais. « Il est harcelé par son boss, qui garde les nes courtes sur lui », assure une source diplomatique à Abidjan. Audiences, réunions, visites de terrain... Ses journées sont sans fin et ses nuits (très) courtes. Lintéressé, réputé gros travailleur, encaisse sans broncher. Le chef de lÉtat, lui, dicte la cadence. Premier ministre ou premier collaborateur du président ? Certains sen amusent et voient en lui le « Fillon de Ouattara »

Technocrate méticuleux Le chef de lÉtat na pas hésité longtemps quand il a fallu trouver un successeur à Hamed Bakayoko, décédé en mars. « Qui dautre aurait-il pu choisir pour ce poste ? », fait mine de sinterroger un ancien ministre. Depuis sa nomination en tant que secrétaire général de la présidence (avec rang de ministre dÉtat) en 2017, Patrick Achi est au coeur du réacteur. Et sest beaucoup rapproché de son aîné, qui lui fait désormais pleine confiance. « Cela fait plusieurs années quil a une vue transversale sur tous les dossiers et quil travaille étroitement avec le président, avec lequel il échange pratiquement tous les jours », confie un intime de Ouattara

CEST UN HOMME RÉFLÉCHI ET PRUDENT, IL AVANCE SEULEMENT QUAND IL SAIT IL VA ET QUIL EST SÛR D’OBTENIR DES RÉSULTATS 

Ingénieur de formation passé par luniversité américaine de Stanford, ce technocrate méticuleux de 65 ans a le genre de profil quaffectionne le chef de lÉtat. Ministre des Infrastructures pendant une quinzaine dannées, dabord sous Laurent Gbagbo puis, de 2011 à 2017, sous Ouattara, Achi a géré une bonne partie des chantiers du pays depuis plus dune décennie. Ceux qui travaillent avec lui évoquent tous sa culture parfois abrupte du résultat. « Quand il est en réunion, il demande tous les chiffres, les taux, les coûts, les bénéfices, confie lun de ses interlocuteurs réguliers. Il donne limpression dêtre quelquun de conceptuel et structuré. » « Cest un homme réfléchi et prudent. Il avance seulement quand il sait il va et quil est sûr dobtenir des résultats », ajoute un ministre

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Tel un équilibriste sur une corde, le Premier ministre fait attention au moindre faux pas. Pas question de faire ou dire quoi que ce soit qui pourrait être mal perçu par la présidence. Sollicité à plusieurs reprises par JA, il a préféré garder le silence. « Pas le moment de sexprimer », nous atil fait savoir. Se méfiant des journalistes, qu‘il nhésite pas à rabrouer quand un désaccord survient, il aime garder le contrôle sur sa communication. Lorsquun de ses hôtes a brièvement diffusé sur les réseaux sociaux une vidéo dune petite fête organisée chez lui pour célébrer sa nomination, quelques jours après le décès dHamed Bakayoko, c‘est peu dire que Patrick Achi na pas apprécié et assure, en privé, ne pas avoir été à l‘initiative de cette soirée

Futur candidat

IL JOUE SUR LA DURÉE ET RÉFLÉCHIT À ÊTRE UN JOUR CANDIDAT À LA PRÉSIDENTIELL

Sil prend autant de précautions, cest aussi parce quil joue gros. Officiellement, il est encore trop tôt pour évoquer la succession dAlassane Ouattara, tout juste réélu pour un nouveau quinquennat. La question est pourtant déjà dans toutes les têtes au sein du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir). « Beaucoup de gens ont des ambitions, mais il ny a aucun successeur désigné, affirme une source au palais. Le président garde la main sur ses équipes. Il ne faut pas que les envies personnelles polluent nos objectifs. » 

Après les disparitions dAmadou Gon Coulibaly et dHamed Bakayoko, le nouveau Premier ministre fait pourtant partie des favoris. À lheure actuelle, il semble même être lun des mieux placés. Il le sait, mais évite soigneusement de donner limpression dy penser tous les matins en se rasant. Le natif dAdzopé est-il plus ambitieux quil ne souhaite le laisser paraître ? « Il fait attention à ne pas se mettre au premier plan pour ne pas contrarier Ouattara, croit savoir lun de ses excompagnons du Parti démocratique de Côte dIvoire (PDCI, sa formation dorigine). Mais il joue sur la durée et réfléchit à être un jour candidat à la présidentielle. » 

Depuis plus de vingt ans, ce métis, fils dune mère bretonne et dun père attié de la , fait preuve dune certaine habileté politique. « Il sest toujours battu pour rester dans le giron du pouvoir », résume un ancien ministre qui le connait bien. « Il est très calculateur et opportuniste », grince un autre ancien membre du gouvernement

Il faut remonter au milieu des années 1990, sous la présidence de Bédié, pour retrouver les premiers pas de Patrick Achi dans l’administration ivoirienne. Il y débute en tant que conseiller du ministre des Finances, puis de celui de lÉnergie. En 1999, survient le coup dÉtat du général Robert Gueï. Le quadra du PDCI parvient à rester dans le jeu. Il est chargé par le Premier ministre de transition, Seydou Diarra, de réformer la stratégique filière cafécacao. En 2000, nouveau changement au sommet de lÉtat : Laurent Gbagbo est élu président. Encore une fois, ladministrateur tire son épingle du jeu. Et intègre même le gouvernement en tant que ministre des Infrastructures économiques. « Bien qu‘il vienne du PDCI, Gbagbo lappréciait et songeait à en faire son Premier ministre. Il cherchait un jeune technocrate pour mener ses réformes administratives et sociales », se rappelle un intime de lancien président 

La carte Gon Coulibaly 

Le 19 septembre 2002, Achi, qui est également porteparole du gouvernement, se trouve à Rome avec Gbagbo quand une tentative de coup dÉtat ébranle son régime. Une déclaration présidentielle est rédigée 

en urgence. Contre toute attente, il refuse de la lire, prétextant quil sagit de la position de la présidence et non de celle du gouvernement. Un froid sinstalle. Le chef de lÉtat ne comprend pas. Certains de ses intimes le soupçonnent dêtre de mèche avec les putschistes. Alors que Gbagbo regagne Abidjan, Patrick Achi part en mission à Washington, puis se rend à Paris, avant de rentrer à son tour. En délicatesse avec le chef de l’État, il se tourne vers Henri Konan Bédié. « Il la beaucoup défendu, raconte une figure du PDCI. Il la même hébergé un temps chez lui, à Daoukro, quand Achi craignait pour sa sécurité. Il le voyait comme lun des cadres du futur sur lesquels il pouvait sappuyer. » 

Après les accords de LinasMarcoussis en janvier 2003, Patrick Achi retrouve son maroquin au nom du PDCI. Revenu sous la coupe de Bédié, il se range avec lui derrière Alassane Ouattara durant la crise post électorale de 20102011. Le nouveau président le maintient au ministère des Infrastructures économiques. Puis vient le divorce entre Bédié et Ouattara. Achi reste loyal au pouvoir et choisit le RHDP, tout en essayant de rapprocher ses deux aînés. Un rôle qu‘il tient encore aujourdhui, fort des relations respectueuses quil a gardées avec le sphinx de Daoukro à qui il a rendu visite début juin

En 2017, il franchit un nouveau palier : il est nommé secrétaire général de la présidence pour remplacer Amadou Gon Coulibaly, que Ouattara a propulsé à la primature. Pour en avoir été le témoin pendant plusieurs années, Achi sait quil naura jamais la relation exceptionnelle, quasifiliale, qui existait entre le chef de lÉtat et son « jeune frère ». Pas question donc dessayer de le remplacer, il sait que cest impossible, mais pourquoi ne pas essayer de sinscrire dans sa lignée ? Depuis sa nomination, le chef du gouvernement joue ouvertement la carte Gon Coulibaly. « Il est arrivé à la primature dans un contexte difficile, après les décès de ses deux prédécesseurs, mais il a été plutôt fin tacticien, relate un ministre influent. Il a tout suite opté pour la fidélité à Amadou, dont il a en quelque sorte perpétré lhéritage. Cela a plu au président. » 

IL ESSAIE DE CASSER SON IMAGE, ET SAFFICHE CASQUETTE À LENVERS SUR LA TÊTE, AU GUIDON DUNE PUISSANTE MOTO 

Dans la mouture du gouvernement sur laquelle il travaillait avant dêtre emporté par un cancer, Hamed Bakayoko avait écarté ou déclassé de nombreux lieutenants du « lion de Korhogo ». « Quand il a été nommé, Achi nous a appelé quasiment un par un pour nous dire quil comptait sur nous, confie un ministre autrefois proche de Gon Coulibaly. Aujourdhui, la plupart dentre nous sont toujours au gouvernement et ont rallié le Premier ministre. » 

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En parallèle, lancien secrétaire général de la présidence multiplie les gestes symboliques. Quelques jours après son entrée à la primature, il va sincliner sur la tombe de Gon Coulibaly lors des funérailles traditionnelles et va solennellement saluer la mère du défunt. Le 8 juillet dernier, pour la commémoration de la première année de son décès, il lui rend un vibrant hommage, ponctué de superlatifs, devant tout le RHDP

Ancrage local et réseau important 

Entre les deux hommes, la ressemblance saute aux yeux. Ingénieurs, fins connaisseurs des rouages de lÉtat, hommes de dossiers... « Il a certaines qualités de Gon que le président appréciait », indique un proche de Ouattara. Comme lui, Patrick Achi souffre aussi dune image de technicien un brin rigide et peu populaire quil essaie de casser, comme lorsqu‘il saffiche, casquette à lenvers sur la tête, au guidon dune puissante moto dans les rues dAdzopé

« Les gens lui collent volontiers cette étiquette de technocrate mais en réalité, cest un pur politicien », souffle un ministre. Ceux qui le connaissent lassurent: derrière ses lunettes et son costume cravate, le Premier ministre est en fait très « politique ». En 2011, il parvient à se faire élire député de la , lun des fiefs du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo. Un fauteuil quil na plus quitté depuis, après avoir été réélu en 2016 et en mars dernier. En parallèle, il prend la présidence du conseil régional en 

  1. 2013. « Il parle lattié et il connait la vie au village. Cette zone a beau être acquise au FPI, il continue à y régner et a gardé le soutien des chefs traditionnels du gré de sa carrière. Il a un vrai ancrage local », reconnaît un de ses opposants. Il a aussi un réseau important à Abidjan et dans la sous région. Quant aux partenaires étrangers, ils semblent lavoir adoubé. « Il donne l’impression dêtre un gestionnaire sérieux. Il a un côté rassurant pour les occidentaux », estime un diplomate français

Personnalité peu clivante, qui a gardé des liens au PDCI et qui est capable de discuter avec les proGbagbo, Achi va maintenant devoir conquérir les cours au sein du RHDP. Et plus particulièrement parmi les barons du Rassemblement des Républicains (RDR), la formation originelle de Ouattara, qui napprécient guère dassister à lascension dun homme qui a rejoint le président sur le tard. Chrétien venant du sud, alors que le noyau dur de lentourage présidentiel est majoritairement musulman du nord, Achi nest pas dans les bonnes grâces de certains membres du clan Ouattara. « Mais cela peut aussi être vu comme un atout, conclut un baron du RHDP. Ce serait même un bon signal et un antidote à la xénophobie portée par certains de nos adversaires.

JA

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