Dans le nord de la Côte d’Ivoire, électoralement acquis au camp du président Alassane Ouattara, un territoire fait de la résistance. Ferkessédougou reste fidèle à son << fils >>, Guillaume Soro. L’un de ses proches et ami de trente ans, Kaweli Ouattara, dirige la mairie. Reportage.
En Côte d’Ivoire, s’il y a bien un endroit où l’on ne cessera jamais de croire au retour prochain de Guillaume Soro, c’est ici. Au–dessus des larges artères de Ferkessédougou, carrefour commercial du nord–ouest ivoirien où se croisent des camions de marchandises venus du Burkina
Faso et du Mali voisins et de multiples deux–roues, l’ombre de l’ancien chef de la rébellion plane toujours.
<< Une démarche de réconciliation >>>
Le maire de la commune, Kaweli Ouattara, en est le premier convaincu : «<le fils de Ferké », qui fut l’une des personnalités d’État de premier plan, reviendra bientôt. Il imagine déjà << Guillaume» foulant à nouveau le sol de son village natal de Kopiflé, à quelques kilomètres de là. Un espoir fortement ravivé par la récente révélation de trois échanges téléphoniques entre l’ancien président de l’Assemblée nationale et le chef de l’État, Alassane Ouattara.
Fin mars, puis début avril, le premier – démissionnaire du perchoir en 2019, refusant alors d’intégrer le nouveau parti unifié – prend l’initiative de joindre le second. Les deux hommes n’ont plus eu de contact depuis bientôt cinq ans. Visé par un mandat d’arrêt international émis par la justice ivoirienne en 2019, l’ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo a été condamné deux ans plus tard, en son absence, à la prison à vie pour atteinte à la sureté de l’État, reconnu coupable d’avoir cherché à renverser le président Ouattara. En 2020, la justice ivoirienne avait déjà prononcé à son encontre une peine de vingt ans de prison pour << recel de détournement de deniers publics >> et << blanchiment de capitaux»>.
Longtemps insaisissable, un jour en Suisse, un autre en Turquie, celui qui fut aussi le patron de la puissante et bouillonnante Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) entre 1995 et 1998 aurait fini par s’établir à Niamey, au Niger, après avoir annoncé, en septembre 2023, son intention de retrouver «[sa] terre ancestrale et natale d’Afrique »>.
Guillaume Soro au pays des accueillants putschistes
Dans son bureau situé à l’étage de la mairie, Kaweli Ouattara a disposé, en bonne place, plusieurs photos de son mentor et ami de trente ans. Guillaume Soro apparaît ici souriant, là les mains jointes. Affable, l’édile émet quelques réserves en préambule de notre entretien. Est- ce le bon moment pour parler de << Guillaume » et de son parti, Générations et peuples solidaires (GPS)? Mieux vaut éviter << les sujets qui fâchent», estime–t–il, alors que le contact a été rétabli avec le président et que le ciel semble s’être un peu éclairci.
<<< Nous sommes dans une démarche de réconciliation, insiste–t–il. Mon souhait est que le dialogue se poursuive entre eux. Je serais heureux d’accueillir ici les deux fils de Ferké. » Le fief du chef de l’État se trouve à une centaine
de kilomètres plus à l’ouest, dans la ville historique de Kong, ancienne cité marchande qui, au début du siècle dernier, perdit sa place de capitale régionale en refusant le passage du chemin de fer finalement construit… à Ferké.
Intendant de la rébellion
Dans ce Nord ivoirien, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) règne sans partage. Le parti au pouvoir s’est imposé partout lors des dernières élections locales – municipales et régionales. Mais pas ici. Jacques Gneneyeri Silué, le candidat de la majorité présidentielle, arrivé en seconde position, a contesté l’élection, marquée par l’incendie de la représentation locale de la Commission électorale indépendante (CEI) par des individus non identifiés. Elle a finalement été invalidée par le Conseil d’État pour irrégularités. Un nouveau scrutin s’est tenu trois mois plus tard. Kaweli Ouattara, 51 ans, candidat en indépendant, l’a remporté avec 50,24% des voix.
<<< Il a un soutien très fort de la jeunesse, affirme Moussa
Touré, le responsable de la communication de GPS. Il a grandi à Ferké, réside et investit dans la ville, où il est aussi député, quand les autres ont fait toute leur carrière à Abidjan et ne viennent que le week–end. C’est aussi quelqu’un issu du peuple, il n’est pas de la baronnie
locale. Et le fait qu’il se soit toujours montré loyal à Guillaume lui confère l’image d’un homme intègre. >>
À cette époque [1993], l’idéologie qui dominait était celle de l’ivoirité. Les gens disaient que les habitants du Nord n’étaient pas des Ivoiriens. J’ai immédiatement épousé l’idée de Guillaume [Soro] de combattre cela.
Kaweli Ouattara Maire de Ferkessédougou Kaweli Ouattara fait la rencontre de Guillaume Soro en
- Il est alors le bras droit de l’ancien directeur général des douanes, Adama Coulibaly. << À cette époque, l’idéologie qui dominait était celle de l’ivoirité. Les gens
disaient que les habitants du Nord n’étaient pas des Ivoiriens. J’ai immédiatement épousé l’idée de Guillaume de combattre cela», raconte l’élu qui deviendra intendant de la rébellion puis délégué général des Forces Nouvelles (FN) à Ferké. << Une marque de confiance» de la part de son mentor, juge–t–il.
Longtemps, ce fils de cultivateur né dans le village Nanievogo (son grand–père, son père et son frère y ont été
chefs), qui a quitté l’école en classe de quatrième puis a enchaîné les petits boulots, de couturier sur le marché à transporteur, a attendu son tour en politique. En 2013, il se présente aux municipales, mais retire sa candidature la veille de l’élection, à la demande de Guillaume Soro. Primeur au candidat choisi par le camp présidentiel. << La première fois qu’il concourra, en candidat indépendant, ce sera avec l’aval de Soro», se remémore une source.
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Au parc à bétail de la commune, sur la route qui mène à la ville de Ouangolodougou, à la frontière avec le Burkina
Faso où affluent des milliers de réfugiés fuyant les violences, Moussa, un habitant, prévient : il n’a pas voté pour Kaweli Ouattara. << Moi, je suis RHDP», insiste le jeune homme. Cependant, il lui reconnaît des qualités. << On l’apprécie beaucoup, il est avec nous sur le terrain et
généreux», décrit–il. << Il faut savoir se rendre disponible», estime l’élu, qui occupe aussi le poste de coordinateur régional de GPS – parti dissout par la justice ivoirienne, mais toujours en activité en attendant une décision de la Cour de cassation – et travaille comme
<< opérateur économique dans les mines >>.
<< Disponibilité pour poursuivre les discussions >>>
Cette résistance de Ferké au puissant RHDP provoque des réactions très disparates dans le camp présidentiel. Un élu local fulmine: «Dans une région comme le Tchologo, dirigée par Téné Birahima Ouattara – le ministre de la Défense et frère du chef de l’État est président du conseil régional –, on aurait dû remporter cette ville. Le parti avait mis les moyens, c’était possible. >> D’autres évoquent << un mauvais casting» du parti face au très populaire Kaweli Ouattara, quand un haut cadre de la formation temporise, estimant difficilement prenable
«<le fief de Soro >>.
<< Nous sommes dans une zone qui s’identifie encore à ses leaders. Dans nos régions, la population adhère d’abord à un individu. Guillaume Soro reste l’homme fort de Ferké.
C’est normal qu’un de ses proches dirige aujourd’hui la commune», analyse Seydou Soro, cadre du Parti des peuples africains–Côte d’Ivoire (PPA–CI) de Laurent Gbagbo, rencontré dans son village, situé à quelques kilomètres de Korhogo, grande ville tenue par un proche d’Alassane Ouattara, son conseiller technique Lassina Ouattara, dit << Lass PR». Seydou Soro, dit «< Soro Coton a été l’unique candidat du PPA–CI dans le nord de la Côte d’Ivoire lors des dernières élections locales. Prétendant à la présidence de la région du Poro, il s’est incliné, sans grande surprise, face à Fidèle Sarassoro, le directeur de cabinet d’Alassane Ouattara.
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À treize mois de la prochaine élection présidentielle, ce Nord ivoirien réputé imprenable cristallise les appétits de l’opposition, qui cherche ardemment à s’y implanter et s’y développer. Ses cadres multiplient les actions de terrain, les délégations venues d’Abidjan se succèdent. << Nous avons entendu quelque part que le PDCI [Parti démocratique de Côte d’Ivoire] n’existe plus au–delà de Katiola, mais en 2025, nous allons démontrer le contraire, car le PDCI existe et fonctionne bel et bien à Ferkessédougou et partout dans le Nord ivoirien », a récemment assuré le vice–président du parti chargé du Tchologo, Éric Silué.
Après s’être longuement présenté sur ses réseaux sociaux comme «< candidat à l’élection de 2025 », Guillaume Soro,
l’ancien allié devenu paria, a effacé cette mention. «S’il rentre en Côte d’Ivoire, nous souhaitons qu’il soit candidat »>, glisse toutefois Kaweli Ouattara, qui n’a plus de contact direct avec lui et balaie les rumeurs sur son état de santé. << Il respire la forme », assure–t–il. Où en sont les discussions, que l’on dit au point mort, avec le chef de l’État?<«<Nous avons montré notre disponibilité pour poursuivre les discussions. La porte n’est pas fermée de notre côté, mais il faut être deux pour discuter>>,
répond Moussa Touré. Le retour de «Guillaume » à Ferké ne sera de toute évidence pas pour tout de suite.
Jean Moliere. . JA
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