Acquitté par la CPI, le chef des Jeunes patriotes espère rentrer dans son pays à la suite de Laurent Gbagbo pour y jouer les réconciliateurs – et même un peu plus.
Son récit a quelque chose d‘une fable appliquée à l‘histoire politique de la Côte d‘Ivoire. Celle d‘un chasseur qui jure s‘être transformé en berger. Charles Blé Goudé le dit et le redit, au point d‘en faire l‘élément central de son propos : il a changé. Depuis son double acquittement par la Cour pénale internationale (CPI), en première instance le 15 janvier 2019 puis en appel le 31 mars au côté de son « mentor » Laurent Gbagbo, le chef des Jeunes patriotes martèle que les dix dernières années ont fait de lui un homme nouveau. Ou presque.
Comme il en a toujours été avec lui, chaque phrase, formule ou référence est choisie, soupesée, exprimée avec cette scansion si particulière qui appuie sur chaque syllabe. Charles Blé Goudé manie le verbe avec ce talent précieux et dangereux des tribuns capables d‘électriser une foule d‘un mot, d‘un non dit ou d‘un sous–entendu.
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Mais aujourd‘hui, à 49 ans, le dernier ministre de la jeunesse de Laurent Gbagbo
entend se laver de sa réputation sulfureuse, de son image de chef de milice et d‘extrémiste va–t–en guerre, comme la CPI l‘a lavé des accusations de crimes de guerre et de crimes contre l‘humanité commis durant la crise postélectorale de 2010–2011. Avec l‘ardeur de ceux qui peuvent s‘imaginer un avenir après avoir survécu à une défaite militaire puis à des poursuites de la justice internationale, Charles Blé Goudé fait tout pour apparaître comme un responsable qui rassemble les Ivoiriens. Un présidentiable, en somme, à qui « la crise a bouffé vingt ans de [s]a vie ».
« Je veux servir d‘aiguille >>
La petite casquette noire du « général de la jeunesse » a donc été remisée pour laisser désormais émerger de son crâne chauve quelques cheveux blancs, telle la marque d‘une sagesse qu‘il aurait acquise derrière les barreaux. « La prison n‘est pas qu‘un lieu d‘emprisonnement, c‘est aussi un lieu d‘enseignement », dit–il, paraphrasant à dessein Nelson Mandela. «<Mes deux ans d‘exil caché au Ghana, mes quatorze mois de détention à la DST [la Direction de surveillance du territoire, à Abidjan] puis mes sept années à la CPI m‘ont permis de réfléchir et de faire le bilan. » Quel est–il pour celui que ses détracteurs présentent comme un incendiaire et les siens comme le premier artisan de « la résistance aux mains nues » pour la défense des institutions en général, de Laurent Gbagbo en particulier ?
« La classe politique ivoirienne est allée trop loin. Des gens se sont affrontés en notre nom. Tirons les enseignements de ce que nous avons vécu. Il faut comprendre que l‘adversaire n‘est pas un ennemi, que l‘on peut discuter sans écraser », avance celui qui, en 2010, du temps de la confrontation électorale entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, jurait qu‘« il n‘y avait] rien en face » de son champion, appelait la jeunesse à s‘enrôler pour combattre sous la protection de « l‘éternel des armées » et accusait la France et l‘ONU de « préparer un génocide en Côte d‘Ivoire ».
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Dans le paysage politique local, Charles Blé Goudé est l‘une des rares personnalités à avoir demandé pardon aux victimes de la crise. «A toutes les victimes, sans les catégoriser politiquement », insiste-t–il, promettant d‘aller à leur rencontre lorsqu‘il aura pu regagner la Côte d‘Ivoire, alors que certaines plaies des trente dernières années de crise politique sont encore à vif ou prêtes à être grattées, selon les intérêts des différents camps. « J‘ai eu des attitudes et un langage guerriers pendant la période de guerre (2002–2011), mais aujourd‘hui il faut recoudre ce qui a
été déchiré et je veux servir d‘aiguille », promet l‘ancien boutefeu, formé au combat dans la lutte estudiantine des années 1990.
Rentrer dans son pays, fouler de nouveau sa terre natale, comme son illustre coaccusé Laurent Gbagbo a pu le faire le 17 juin, est aujourd‘hui sa grande obsession. De passage à Paris avec un simple laissez–passer qui lui permet de quitter sa chambre d‘hôtel des Pays–Bas et d‘aller prêcher la bonne parole auprès de « la résistance » au sein de la diaspora, Charles Blé Goudé ressemble à un passager en transit, déjà revêtu du costume de l‘homme politique qu‘il espère pleinement redevenir.
« Il faut me juger sur les actes »
Pour cela, il lui faut obtenir le passeport que les autorités ivoiriennes lui ont promis mais qu‘elles ont jusque–là soigneusement gardé en réserve. « De ce que la CPI m‘a dit, Abidjan attend d‘observer l‘impact du retour de Laurent Gbagbo sur la réconciliation pour se prononcer sur mon cas », explique–t–il sans ménager ses remerciements à l‘endroit du président Ouattara, «qui a facilité le retour des exilés, du président Gbagbo; c‘est un acte fort et j‘attends qu‘il fasse un geste en ma faveur ».
Mais le pénitent, qui s‘est récemment fait baptiser catholique « car le catholicisme est une religion de pardon », sait qu‘il marche sur une voie étroite. Comment en
effet donner au pouvoir les gages qu‘il attend sans se renier et apparaître comme un traître dans le camp de celui dont il espère un jour récupérer l‘héritage politique ?
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« Je comprends que mon langage et mon attitude peuvent susciter un doute, mais nous devons briser le mur de méfiance et me juger sur les actes », lance–t–il à l‘endroit de ceux qui demeurent sceptiques sur sa contrition et inquiets de son poids dans l‘opinion. Avec les autres, auxquels il jure de sa loyauté, la partie est au moins aussi complexe. Charles Blé Goudé connaît les haines tenaces qui le visent dans l‘entourage de l‘ancien chef de l‘Etat, la rancoeur qui perdure du fait qu‘il a abandonné la lutte avant la bataille finale de 2011.
Revenu avant lui « en soldat » de son parti, Laurent Gbagbo, 76 ans, ne lui transmettra certainement pas son héritage politique, mais « il m’a donné ma part en prison : la douleur, l‘enseignement dans l‘épreuve ; à moi de m‘en servir et, comme le fleuve, de faire mon propre lit », se satisfait son cadet en voie d‘émancipation. Encore faut–il que « le crabe aux 18 trous » – l‘un de ses nombreux surnoms – retrouve sa source nourricière et démontre que ce nouveau visage n‘est pas un masque de circonstance.
Cyril Bensimon