Amnesty International exige la libération immédiate des militants du PPA CI arbitrairement détenus.
Besoin d’une Justice Protectrice des Droits Humains Soumission d’Amnesty International pour la 47e session de l’Examen Périodique Universel, 4-15 Novembre 2024.
Les allégations de torture subie par un cyber-activiste durant sa garde à vue doivent faire l’objet d’une enquête.
Un an après, les fermier·e·s expulsés de Gesco Rivière doivent être dédommagés pour la perte désastreuse de leurs moyens de subsistance.
Les autorités ivoiriennes doivent de toute urgence indemniser les 133 fermier·e·s, leurs employé·e·s et leurs familles dont les moyens de subsistance ont été détruits à la suite des expulsions forcées sur le site de Gesco Rivière à Abidjan, a déclaré Amnesty International à l’occasion du premier anniversaire des démolitions.
La suspension des expulsions à Abidjan doit être suivie de mesures de soutien adéquates pour les dizaines de milliers de personnes déjà affectées.
Réagissant à l’annonce par les autorités ivoiriennes de la suspension des opérations de déguerpissements des populations dans le district autonome d’Abidjan, Samira Daoud, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, a déclaré.
Des milliers de familles toujours en attente de mesures de soutien après les expulsions forcées à Abidjan.
Des dizaines de milliers de personnes expulsées de force depuis janvier 2024 des quartiers de Gesco, Boribana, Banco 1 et AbattoirDes expulsions sans notification adéquate et raisonnable, dont certaines impliquant des violences ; des enfants privés d’éducation ; 133 fermiers privés de leurs moyens de subsistanceLes mesures de soutien annoncées en mars 2024 doivent être mises en œuvre en urgence au profit de toutes les personnes affectées.
Sauf mention contraire, le contenu de ce document est sous licence Creative Commons (Attribution – Utilisation non commerciale – Pas d’Œuvre dérivée – 4.0 International) https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/legalcode.fr Lorsqu’une entité autre qu’Amnesty International est détentrice du copyright, le matériel n’est pas sous licence Creative Commons. Pour plus d’informations, veuillez consulter la page relative aux autorisations sur le site d’Amnesty International. . Amnesty International est un mouvement rassemblant 10 millions de personnes qui fait appel à l’humanité en chacun et chacune de nous et milite pour que nous puissions toutes et tous jouir de nos droits humains. Notre vision est celle d’un monde dans lequel les dirigeants et dirigeantes tiennent leurs promesses, respectent le droit international et sont tenus de rendre des comptes. Essentiellement financée par ses membres et des dons individuels, Amnesty International est indépendante de tout gouvernement, de toute tendance politique, de toute puissance économique et de tout groupement religieux. Nous avons la conviction qu’agir avec solidarité et compassion aux côtés de personnes du monde entier peut rendre nos sociétés meilleures.
LES AUTORITÉS DOIVENT RESPECTER LES DROITS HUMAINS ET DÉFENDRE LE CAMP ANTICORRUPTION
Amnesty International a saisi l’occasion de la 34ème édition de la Coupe d’Afrique des Nations de football organisée en Côte d’Ivoire du 13 janvier au 11 février 2024 – compétition qui intervient au lendemain du 10ème anniversaire de l’adoption de la loi anticorruption par ce pays le 20 septembre 2013, pour lancer la campagne « Défends le camp anticorruption ». Cette campagne appelle les autorités ivoiriennes à respecter, protéger et promouvoir les droits des défenseur.e.s des droits humains qui dénoncent la corruption (défenseur.e.s anticorruption), ainsi qu’à prévenir et combattre la corruption et ses impacts sur les droits humains. En novembre 2023, une délégation d’Amnesty International a effectué une visite en Côte d’Ivoire afin d’analyser la situation des défenseur.e.s anticorruption et d’évaluer les progrès réalisés dans le cadre de la prévention et de la lutte contre la corruption et son impact sur les droits humains. Cette délégation a mené des entretiens avec 18 représentant.e.s de diverses administrations ivoiriennes, des militant.e.s de la société civile et des leaders communautaires à Abidjan, la capitale économique, et dans la commune d’Adzopé, dans le sud-est du pays. Elle a organisé des activités d’éducation aux droits humains dans des établissements secondaires et universitaires et à l’endroit de 68 jeunes bénévoles résidant à Abidjan et Yamoussokro, ainsi qu’un atelier coorganisé avec la Commission Nationale des Droits de l’Homme en Côte d’Ivoire, auquel ont participé 63 hauts fonctionnaires, des journalistes et des représentants d’organisations de défense des droits humains et de lutte contre la corruption.
UNE CORRUPTION PERÇUE COMME OMNIPRESENTE Lors de sa réélection en 2020, le président Alassane Ouattara a fait de la lutte contre la corruption une priorité de son nouveau mandat, actant le besoin de poursuivre les efforts engagés pour répondre à cette problématique qui continue de porter atteinte aux droits humains dans le pays. Comme en témoignent des informations partagées par le ministère pour la Bonne Gouvernance en 2022, l’Etat de la Côte d’Ivoire perdrait plus de 1000 milliards de francs CFA du fait de la corruption chaque année. Selon l’Indice de perception de la corruption de Transparency International (TI), le score de la Côte d’Ivoire est passé de 35 sur 100 en 2018 à 40 sur 100 en 2023 1 . Plusieurs enquêtes de l’ONG africaine Afrobaromètre2 révèlent par ailleurs que les Ivoirien.ne.s demeurent insatisfaits de la lutte des autorités contre la corruption qui, selon eux, est grandissante et systématique, malgré les actions gouvernementales menées. Ces perceptions d’une hausse de la corruption sont ancrées dans les vécus et réalités du quotidien. Les entretiens menés et les discussions tenues en Côte d’Ivoire par les délégués d’Amnesty International font état du caractère systémique de la corruption dans le pays, malgré les étapes réalisées au cours des dix dernières années pour lutter contre ce phénomène. Pour les jeunes et certaines parties prenantes avec lesquels la délégation d’Amnesty International s’est entretenue, la corruption perdure dans tous les secteurs de l’économie et dans toute la société. « Il n’y a même pas un secteur qui va bien » selon une défenseure anticorruption. Un jeune étudiant en droit a ajouté : « la corruption est devenue une norme. Celui qui refuse d’être corrompu peut être écarté de la société. » D’autres acteurs ont cité des cas allégués d’abus de pouvoir et de pots-de-vin dans de nombreux secteurs comme l’immobilier, de malversations de fonds publics destinés à la construction des infrastructures, et de « ventes aux enchères » des postes dans l’administration publique.
RECOMMANDATIONS À LA RÉPUBLIQUE DE CÔTE D’IVOIRE SUR LA PROTECTION DES DÉFENSEUR.E.S ANTICORRUPTION
Amnesty International 2 La persistance de cas de corruption qui impactent sur les droits humains s’explique notamment par l’existence d’un corpus juridique en évolution mais imparfait, une utilisation insatisfaisante des lois en vigueur, une justice pas assez forte et transparente, un environnement répressif contre les voix critiques et qui encourage l’impunité des violations des droits humains. UN CADRE JURIDIQUE ET INSTITUTIONNEL EN EVOLUTION MAIS IMPARFAIT Les autorités ivoiriennes ont renforcé ces dernières années le cadre juridique et institutionnel pour la promotion et la protection des défenseur.e.s anticorruption ainsi que pour la prévention et la lutte contre la corruption. Durant la dernière décennie, la Côte d’Ivoire a en effet adopté une série d’instruments juridiques et mis en place des institutions spécialisées chargées d’enquêter sur les pratiques de corruption, de poursuivre les personnes présumées corrompues, de sensibiliser les fonctionnaires et le public aux effets négatifs de la corruption, et de contrôler et coordonner les efforts de lutte contre la corruption. En plus de la loi anticorruption promulguée un an après la ratification de la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, le gouvernement ivoirien a adopté une loi sur le blanchiment de capitaux en 2016 et a finalisé, en décembre 2023, une nouvelle Stratégie Nationale de Lutte contre la Corruption (2023-2027) qui, selon la version examinée par Amnesty International, vise à « faire de la Côte d’Ivoire, un modèle de gouvernance et de stabilité caractérisé par l’intégrité, la transparence, la responsabilité et une tolérance zéro à la corruption à l’horizon 2027. » Il a également mis en place de nombreuses institutions de lutte contre la corruption telles que la Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance (HABG, 2014), la Cour des Comptes (2018), l’Inspection Générale d’Etat (IGE, 2018), le Pôle Pénal Économique et Financier (‘Pôle Pénal’, 2020) et le Ministère de la Promotion de la Bonne Gouvernance, du Renforcement des Capacités et de la Lutte contre la Corruption (‘Ministère pour la Bonne Gouvernance’) dissout en décembre 2023, deux ans après sa création. Cependant, selon les personnes interrogées par Amnesty International, ce cadre juridique et institutionnel de prévention et de lutte contre la corruption et ses impacts sur les droits humains reste imparfait. Plusieurs interlocuteurs ont en particulier mis en avant l’existence de textes et de dispositions obsolètes ou inefficaces pour répondre aux défis actuels. Ainsi, la loi anticorruption n’a pas été révisée depuis 2013, alors même que les outils et mécanismes de corruption se multiplient, se complexifient et ont des effets négatifs sur les droits humains. Par ailleurs, l’IGE – l’agence qui coordonne les activités de tous les autres organes d’inspection, d’audit et de contrôle internes administratifs, est selon le décret N°2018-653 du 1er août 2018 placé sous la haute autorité du Président de la République, qui est le seul à se prononcer sur les éventuelles suites à donner aux rapports qui lui sont transmis. Un autre exemple soumis par un représentant d’une agence onusienne basée à Abidjan est celui de la loi sur la déclaration des patrimoines, qui selon lui a été vidé de son sens car « il n’y a aucun moyen de vérifier l’information qui est publique. Seul l’officier public peut connaitre la vraie valeur de ce qui est déclaré …et ces déclarations ne sont pas publiques. » Au-delà d’un cadre légal robuste pour lutter contre la corruption, la protection de celles et ceux qui défendent les droits humains et luttent contre la corruption est également essentielle pour combattre ce phénomène. Comme indiqué dans un récent rapport d’Amnesty International3 , la Côte d’Ivoire est l’un des rares pays africains à s’être doté d’une loi relative à l’accès à l’information et d’une institution garantissant l’accès à l’information : la Commission d’accès à l’information d’intérêt public et aux documents publics (CAIDP).
En 2014, il devint le premier pays africain à adopter une loi sur la promotion et la protection des défenseurs des droits humains, qui a été suivie d’un décret d’application et de l’établissement d’un mécanisme de protection des défenseurs des droits humains en 2021. Malgré ces avancées certaines lacunes demeurent. S’agissant de la loi sur l’accès à l’information, aucune de ses dispositions ne prévoit des mesures de contrainte obligeant à donner une information requise. Par ailleurs, comme indiqué dans le rapport d’Amnesty International sur la répression des défenseur.e.s des droits humains anticorruption, l’arrêté interministériel N°972/MJDH/MEMD/MIS créant le mécanisme pour la protection des défenseur.e.s des droits humains créé en 2021 le place sous l’autorité de plusieurs ministères (portefeuilles de la Justice et des Droits de l’homme, de la Défense, de l’Intérieur et de la Sécurité) tandis qu’il exclut les défenseur.e.s des droits humains dans sa composition, bien qu’ils en soient les principaux bénéficiaires. C’est un sujet qui a été abordé par certains défenseur.e.s rencontrés par Amnesty International, qui estiment que ce mécanisme devrait être placé sous l’autorité et la supervision de l’institution nationale des droits humains et de la Coalition Ivoirienne des Défenseurs des Droits Humains (CIDDH). 3 Afrique : La lutte contre la corruption en péril. Répression à l’encontre de défenseur·e·s anticorruption en Afrique de l’Ouest et du Centre. – Amnesty International
RECOMMANDATIONS À LA RÉPUBLIQUE DE CÔTE D’IVOIRE SUR LA PROTECTION DES DÉFENSEUR.E.S ANTICORRUPTION Amnesty International 3 En outre, si la Côte d’Ivoire a adopté une loi sur la protection des témoins, victimes, dénonciateurs, experts et « autres personnes concernées », elle ne dispose pas d’un cadre juridique spécifique sur la protection des lanceurs d’alerte. Ce dernier est pourtant essentiel pour encourager les gens à signaler ou à révéler les actes de corruption, et à veiller à ce que les personnes disposées à révéler des secrets ou capables de le faire puissent agir librement. Mais il n’a pas encore été adopté en Côte d’Ivoire, en partie à cause des différences d’opinion sur la nécessité d’une loi sur la protection des lanceurs d’alerte et de la confusion sur la différence entre la dénonciation et le lancement de l’alerte, et entre le lanceur d’alerte et le témoin au sein de l’administration. Cependant, des activités sont prévues en 2024 en lien avec le projet de loi sur la protection des lanceurs d’alerte.
DES INSUFFISANCES DANS LA PRATIQUE Dans la pratique, il ressort plusieurs insuffisances dans l’application et l’usage des lois. Des interlocuteurs d’Amnesty International ont noté ainsi le faible usage des lois pertinentes telles que la loi sur la protection des défenseur.e.s des droits humains et les dispositions prévues par le code de procédure pénale qui donnent la possibilité à toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit de se constituer partie civile devant le juge d’instruction compétent. Ceci serait dû, en partie, à la méconnaissance de ces textes tant par les défenseur.e.s des droits humains et le public, que par certains fonctionnaires des administrations chargées de promouvoir et protéger les droits humains et de prévenir et lutter contre la corruption. En effet, très peu de defenseur.e.s anticorruption présents à l’atelier connaissaient l’existence de ladite loi et des provisions du code en question, malgré les campagnes d’information organisées par certaines organisations de la société civile (OSC). Pour d’autres defenseur.e.s anticorruption, le faible taux d’application des lois est lié à l’absence de redevabilité et de la règle de droit qui caractériserait l’écosystème ivoirien. Selon un journaliste d’investigation présent lors de l’atelier de novembre 2023, « le manque de culture de redevabilité au sein de la population et au sein de l’administration fait que certains s’adonnent à tout. » Un autre défi souvent mentionné concerne le caractère centralisé de la lutte contre la corruption, qui rend les organes de lutte contre la corruption inaccessibles aux organisations de la société civile et à la population, surtout celle basée à l’intérieur du pays. L’un des cas les plus pertinents cité est celui du Tribunal Militaire d’Abidjan, dont les locaux sont méconnus de la majorité de la population, et donc pas propices au signalement des faits présumés de corruption, surtout ceux rapportés dans les régions. Des efforts ont été entrepris pour remédier à ce problème notamment par la HABG, qui a organisé une campagne d’information à Yamoussoukro, la capitale politique, et à San Pedro, au sud-ouest du pays, pour « renforcer la proximité avec la population et montrer que l’état est aussi là-bas ». Cependant, ces efforts s’avèrent insuffisants. Selon un magistrat du tribunal, près de 80 à 90% des cas de corruption traités par le tribunal proviennent d’Abidjan. Pour lui, « les populations doivent être plus proches des autorités auprès desquelles elles devraient faire des signalements et dénoncer les faits de corruption. Mais elles ne le sont pas en ce moment. A l’intérieur du pays, beaucoup sont découragés par certaines brigades et des chefs de village qui mettent beaucoup de pression sur les plaignants pour qu’ils acceptent des règlements à l’amiable. 4 » Cela expliquerait pourquoi les pratiques de corruption sont peu signalées aux autorités compétentes.
BESOIN D’UNE JUSTICE PLUS FORTE ET TRANSPARENTE Les efforts menés par l’Etat ivoirien ont conduit à l’ouverture de certaines enquêtes et poursuites judiciaires. Depuis leur établissement jusqu’en 2022 au moins, le Pôle Pénal et le Tribunal Militaire auraient traité des centaines de dossiers de faits de corruption, y compris des plaintes contre le racket impliquant des forces de l’ordre. Pourtant, les interlocuteurs et interlocutrices d’Amnesty International ont remis en cause l’impartialité du système judiciaire ivoirien, qui selon eux semble s’attacher aux dossiers les moins importants et aux agents publics les moins gradés plutôt qu’à leurs supérieurs et à des figures politiques et des hommes d’affaires qui, selon eux, sont les plus corrompus et restent pourtant intouchables. Des exemples ont été cités de hauts cadres soupçonnés de corruption n’ayant fait l’objet d’aucune enquête judiciaire. S’agissant du cas très médiatisé des procédures judiciaires contre des agents de police pour racket, nombreux interlocuteurs d’Amnesty International ont regretté que les supérieurs hiérarchiques n’aient pas été inquiétés. Pendant sa 4 Propos recueillis lors de l’atelier organisé le 13 novembre 2023 à Abidjan.
RECOMMANDATIONS À LA RÉPUBLIQUE DE CÔTE D’IVOIRE SUR LA PROTECTION DES DÉFENSEUR.E.S
ANTICORRUPTION Amnesty International 4 mission, la délégation d’Amnesty International a reçu des messages provenant de policiers et gendarmes qui se plieraient à cette pratique contre leur gré soit pour satisfaire leurs supérieurs, soit pour combler le vide laissé par les primes impayées : « Le racket, c’est à tous les niveaux. Il y en a qui le font par manque de moyens, pour se nourrir et assurer le quotidien, aussi par manque de paiement de frais de mission. C’est depuis 2019 que ça dure. C’est le quotidien… Au retour [de la mission], on te demande de revenir avec un montant spécifique, un montant qui peut s’élever à 700,000 FCFA par semaine qu’il faudrait ramener au chef. Pour 15 éléments que nous sommes. Quand tu ne ramènes rien, tu es mal vu, stigmatisé. On te dit que tu es dépourvu d’initiatives…En même temps, on ne nous paie pas nos primes. Les primes des élections locales, par exemple, à Séguéla, Méagui, etc. n’ont pas été payées jusqu’à ce jour5… » Alors que certains officiers semblent pointer du doigt leurs supérieurs, ce sont eux qui sont inquiétés par la justice et qui risquent des peines allant de trois à 18 mois de prison « même pour des petites sommes », comme le précise un magistrat du Tribunal Militaire d’Abidjan, tandis que leurs supérieurs restent impunis. Une autre préoccupation soulevée est celle de l’usage qui serait très limité des informations obtenues par les autorités d’enquêtes sur les faits allégués de corruption, comme le remarquent le Fonds Monétaire International dans son rapport6 d’évaluation sur les mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux, ainsi que plusieurs hauts fonctionnaires interrogés. Un autre reproche exprimé s’agissant de la justice est le manque d’accès à l’information notamment sur les résultats des enquêtes conduites sur des cas présumés de corruption. Selon un représentant de la Direction de la Police Financière, la longueur et la complexité des procédures judiciaires font « [qu’] on ne peut pas faire de publicité sur ces enquêtes. » Des institutions telles que le Pôle Pénal organisent des journées portes ouvertes et rendent publiques certaines audiences. Mais, elles ne communiquent pas systématiquement au grand public les résultats de leurs enquêtes. Comme l’a noté sa présidente lors d’un entretien avec Amnesty International, « pour avoir plus d’informations sur les décisions et condamnations, il faut envoyer une requête. » Un défenseur anticorruption qui a affirmé avoir envoyé une requête à une de ces juridictions en août 2023 en utilisant la loi d’accès à l’information a déclaré qu’il n’avait toujours pas reçu l’information demandée à la date de son entretien avec Amnesty International à la mi-novembre 2023.
UN ENVIRONNEMENT REPRESSIF QUI FAIT OBSTACLE AU SIGNALEMENT DE LA CORRUPTION La Côte d’ivoire a mis en place des mécanismes de dénonciation des actes de corruption et infractions assimilées avec des numéros verts comme la plateforme de signalement Spacia, lancée par l’ancien Ministère pour la Bonne Gouvernance le 11 juillet 2022, et Signalis, lancée par la HABG en mai 2023. La CAIDP et la HABG organisent des prix « du meilleur organisme public pour l’accès à l’information », « du Réseau des journalistes pour l’accès à l’information » et pour l’« accès à l’information, prévention et lutte contre la corruption et les infractions assimilées ». En outre, la HABG encourage l’établissement des chartes d’intégrité dans les entreprises privées ainsi que des boites à suggestion dans les entreprises publiques et privées, qui sont considérées comme « un moyen basique de la dénonciation ». Pour ce qui est des acteurs non-étatiques, en plus des investigations publiées dans la presse, de nombreuses organisations sont actives dans la lutte contre la corruption comme CIVIS-CI qui organise des conférences annuelles de redevabilité et des ateliers de vulgarisation des rapports de la cour de compte. Le Mouvement pour la Lutte contre l’Injustice a créé des cellules d’écoute dans toute l’étendue du territoire qui lui permet de recueillir des informations des victimes présumées de la corruption et des violations des droits humains. L’organisation mène également des investigations, rédige des plaintes, dénonce des actes de corruption auprès des autorités compétentes, et publie un journal qu’elle utilise pour dénoncer les enquêtes qui sont sans suite ou faire part de certaines avancées dans le cadre de la lutte contre la corruption. Ces initiatives semblent avoir entrainé certains résultats positifs. Des interlocuteurs d’Amnesty International ont affirmé que les gens sont de plus en plus sensibles à la question de la corruption, surtout avec Spacia, Signalis, les réseaux sociaux et les sources ouvertes. La HABG dit s’auto-saisir souvent sur la base d’articles de presse ou de dénonciations étayées mais regrette ne pas recevoir suffisamment d’informations. Plusieurs facteurs expliquent le faible taux de signalement, parmi lesquels la faible confiance du public dans les institutions gouvernementales et la peur de représailles. Selon une enquête d’Afrobaromètre en 2017, par exemple, sept sur 10 Ivoirienn.e.s considèrent que « signaler la corruption quand on est témoin ou quand on en fait l’expérience » risque de créer des représailles ou autres conséquences négatives. En 2020, la même ONG a remarqué que « la corruption est 5 Propos recueillis lors d’un entretien avec Amnesty International, Adzopé, 13 novembre 2023. 6 FMI, rapport d’évaluation sur les mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux, Aout 2023,
RECOMMANDATIONS À LA RÉPUBLIQUE DE CÔTE D’IVOIRE SUR LA PROTECTION DES DÉFENSEUR.E.S ANTICORRUPTION Amnesty International 5 aggravée par le fait que le citoyen lambda ne puisse dénoncer des actes de corruption de peur de représailles contre sa personne. » « Plusieurs journalistes ont été convoqués et nous vivons tous un stress quotidien… Nous sommes conscients qu’en faisant des investigations, tout peut nous arriver à tout moment. 7» Cette peur des représailles s’explique notamment par un régime juridique de la presse répressif, qui rend civilement responsable les directeurs de publication pour tout article publié, y compris les commentaires figurant dans les productions d’informations numériques. En outre, certaines lois peuvent être instrumentalisées pour réprimer le droit à la liberté d’expression et réduire au silence les defenseur.e.s des droits humains, y compris celles et ceux qui dénoncent la corruption. Si la Côte d’Ivoire fait partie des pays qui ont révisé le cadre juridique sur la diffamation pour lever les peines de prison et se conformer ainsi au droit international des droits humains, les amendes pour ce délit restent exorbitantes et punitives. De la même manière, l’article 97 du code de la presse de 2017 punit les publications, dissémination et reproduction de fausses nouvelles de 1 à 5 millions de francs CFA d’amendes. Amnesty International a dénoncé ces dernières années plusieurs cas de violations des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique réprimant l’action des voix critiques8 . Par exemple, le 24 février 2023, 31 militants du Parti du peuple africain-Côte d’Ivoire (PPA-CI), parti d’opposition, ont été arbitrairement arrêtés après avoir accompagné le secrétaire général de leur parti pour assister à une convocation au tribunal pour son rôle présumé dans l’attaque d’une caserne militaire à Abidjan, en 2021. Le 9 mars, 26 d’entre eux ont été condamnés à deux ans d’emprisonnement pour « trouble à l’ordre public », mais ont été libérés le 22 mars après avoir été condamnés en appel à des peines avec sursis. En décembre 2022, 46 universitaires ont été arrêtés à Abidjan alors qu’ils manifestaient pour remettre un mémorandum au Premier ministre réclamant un emploi dans la fonction publique. Après avoir été détenu pendant une semaine, l’un d’entre eux a été acquitté tandis que 45 autres ont été condamnés à quatre mois de prison avec sursis pour trouble à l’ordre public. En avril 2022, des manifestants étudiants à Bouaké ont été blessés lorsque la police a utilisé des gaz lacrymogènes pour les disperser. Plus d’une vingtaine d’étudiants ont été arrêtés puis relâchés le mois suivant. Ils réclamaient de meilleures conditions pour leur permettre d’étudier. Le 21 juillet 2021, la police a empêché la tenue d’une manifestation pacifique, en se fondant en partie sur des questions de santé et de sécurité liées à la pandémie de Covid-19. La manifestation était organisée par l’Initiative citoyenne contre la cherté de la vie, un mouvement qui dénonçait la montée des prix de produits de première nécessité. En janvier 2021, cinq femmes membres de l’opposition, arrêtées arbitrairement lors d’une manifestation pacifique en août 2020 contre la candidature du président Ouattara, ont été libérées sans condition après plus de quatre mois de détention. Cet environnement répressif s’est également avéré avoir des répercussions sur les défenseurs anticorruption. Le journaliste Noël Konan a été reconnu coupable de diffamation et condamné à une amende de trois millions de francs CFA en juillet 2022, pour un tweet publié le 29 juin 2022 dans lequel il accusait un directeur de banque de corruption. Konan a déclaré à Amnesty International qu’avant sa condamnation, il avait été interrogé pendant plusieurs heures dans un hôtel sur l’identité de sa source et qu’il avait refusé de la révéler. Il a ensuite été convoqué par la Direction de l’information et des traces technologiques, interrogé par la cellule de lutte contre la criminalité économique et financière de la police sans avocat, et détenu pendant la nuit, en violation de la loi nationale qui interdit la détention pour délits de presse. Enfin, l’accès à la justice et aux recours efficaces pour les défenseur.e.s anticorruption s’est trouvé amoindrie par le retrait de la Côte d’Ivoire en 2020 de sa déclaration au titre de l’article 34.6 du Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples portant création de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples permettant aux ONG et individus de saisir directement cette Cour. 7 Propos d’un DDH anticorruption recueillis lors de l’atelier du 13 novembre 2023, Abidjan. 8 Amnesty International – Rapports. La situation des droits humains dans le monde
RECOMMANDATIONS À LA RÉPUBLIQUE DE CÔTE D’IVOIRE SUR LA PROTECTION DES DÉFENSEUR.E.S ANTICORRUPTION Amnesty International
RECOMMENDATIONS Ainsi, pour garantir une plus grande protection des droits des défenseur.e.s anticorruption et une lutte plus efficace contre la corruption et ses impacts sur les droits humains, Amnesty International recommande aux autorités ivoiriennes de : • Respecter, protéger, promouvoir et réaliser les droits humains de toutes et tous, y compris des défenseur.e.s anticorruption dans le pays ; • Renforcer l’éducation civique relative à l’impact de la corruption sur les droits humains et promouvoir la culture de lancement d’alerte et de dénonciation des faits de corruption au moyen d’activités destinées à sensibiliser le grand public ; • Reconnaître publiquement les droits et le rôle essentiel des defenseur.e.s pour la protection des droits humains, la prévention et la lutte contre la corruption, notamment en renforçant la transparence, l’obligation de rendre des comptes et l’état de droit ; • Réviser la loi anticorruption de 2013 pour prendre en compte les nouveaux outils et mécanismes de corruption et la protection des droits humains, conformément à la Convention des Nations unies contre la corruption et à la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption ; • Réviser le décret 2018-653 du 1er aout 2018 concernant l’Inspection Générale de l’Etat, pour s’assurer que le Président de la République ne soit pas le seul à se prononcer sur les éventuelles suites à donner aux rapports qui lui sont transmis ; • Réviser la loi sur la déclaration des patrimoines pour s’assurer que ces déclarations soient publiques ; • Réviser la loi sur l’accès à l’information, pour y insérer des mesures de contrainte en cas d’absence de réponse à une demande d’information ; • Réviser l’arrêté interministériel N°972/MJDH/MEMD/MIS créant le mécanisme pour la protection des défenseur.e.s des droits humains pour garantir la présence d’OSC dans sa composition ; • Adopter une loi sur la protection des lanceurs et lanceuses d’alertes conformément aux normes internationales relatives aux droits humains et à la lutte contre la corruption ; • Créer conformément au décret N°74-490 du 3 octobre 1974 les juridictions militaires de Daloa et Bouaké compétentes pour juger et condamner les militaires et gendarmes pour faits de corruption ; • Sensibiliser les citoyens et la société civile sur la possibilité offerte à toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit de se constituer partie civile devant le juge d’instruction compètent ; • Rapprocher les instances de lutte contre la corruption des citoyens par leur décentralisation et une communication publique sur l’importance de leur mandat et les modalités de leur saisine ; • Traduire en justice les personnes suspectées de corruption, dont des représentant·e·s de l’État et toute tierce partie qui complotent ou donnent l’ordre de commettre, faciliter ou encourager une telle infraction, en conformité avec le droit à un procès équitable ; • Rendre publiques les audiences et sentences des juridictions en charge de lutter contre la corruption ; • Amender l’article 97 du code de la presse de 2017 qui punit les publications, diffusions et reproductions de fausses nouvelles de 1 à 5 millions de francs CFA d’amende pour permettre des amendes proportionnées, conformément au droit international des droits humains ; • Faire la déclaration au titre de l’article 34.6 du Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples portant création de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples permettant aux ONG et individus de saisir directement cette Cour.
Des sympathisant·e·s d’un parti d’opposition ont été arrêtés arbitrairement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Des tribunaux ont déclaré illégales les expulsions forcées de plusieurs centaines de familles à Abidjan. Plus de sept millions de personnes étaient enregistrées en tant que bénéficiaires de la couverture maladie universelle. Toutefois, des préoccupations subsistaient quant au fait que certains traitements n’étaient pas remboursables. Le gouvernement a pris des mesures pour endiguer la hausse des prix des produits de première nécessité. La culture du cacao a continué de contribuer à la déforestation, mais un projet mené par les pouvoirs publics visait à conserver et accroître le stock forestier. Le travail des enfants persistait dans divers secteurs de l’économie.
En réaction aux condamnations et détentions arbitraires des membres du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), Firmin Mbala, chercheur au bureau Afrique de l’Ouest et du Centre de Amnesty International déclare :
Les détentions de ces militants sont arbitraires, elles sont contraires à l’exercice de leurs droits à la liberté de réunion pacifique, la liberté d’expression et de mouvement. Amnesty International appelle à leur libération immédiate et inconditionnelle, ainsi qu’à l’annulation de la condamnation des 26 membres du PPA CI et l’abandon des charges éventuelles contre les 4 autres.
Firmin Mbala, chercheur au bureau Afrique de l’Ouest et du Centre de Amnesty International« Nous appelons par ailleurs les autorités ivoiriennes à garantir des procédures judiciaires justes et équitables et à respecter les droits garantis par les conventions internationales et régionales de protection des droits humains ratifiées par la Cote d’Ivoire. »
Complément d’information
Le 09 Mars, 26 militants du PPA-CI ont été condamnés à deux ans de prison ferme pour ‘‘trouble à l’ordre public’’ simplement pour avoir exercé leur droit de liberté de réunion pacifique. Le 24 février 2023, ces militants avaient accompagné sans violence le secrétaire général du parti convoqué par la justice.
Le lendemain, quatre autres personnes ayant arboré le drapeau de la Russie lors d’un rassemblement du PPA-CI à Yopougon ont été arrêtées à l’issue de celui-ci et placées en détention à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA). Les charges retenues contre elles ne sont pas connues à ce jour.
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