24 avril 2024
Paris - France
POLITIQUE

Côte d’Ivoire : Alain Richard Donwahi, protégé  de la République 

L’élection à la présidence de la COP 15 de lancien ministre des Eaux et Forêts avait créé la surprise. Malgré les soupçons qui pèsent sur sa gestion, Alassane Ouattara lui maintient sa confiance. Portrait dun « fils de » atyp

Vendredi 6 mai, cest la fête de lEurope dans les jardins de la résidence de lUnion européenne (UE), une jolie villa du quartier huppé de Cocody à Abidjan. Les invités, diplomates, politiques, hommes daffaires, journalistes, profitent du cadre fort agréable. Un petit four parci, une coupe de champagne par. Proche de lambassadeur Jobst von Kirchmann, Alain Richard Donwahi ne pouvait manquer lévénement. Il est à son aise dans ces environnements mondains son langage châtié, ses goûts raffinés, sa prestance et son humour font des ravages

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Cette année, la fête se déroule dans un contexte un peu particulier. Le 20 avril, il a été remplacé à son poste de ministre des Eaux et Forêts et a été contraint de quitter le gouvernement. Quelques jours plus tard, Jeune Afrique révèlait quun audit de sa gestion était en cours depuis le mois de février et que deux de ses proches collaborateurs étaient visés par une enquête menée par la Cour de cassation, ainsi quun exploitant de bois réputé proche de lui. Celuici, poursuivi pour association de malfaiteurs, corruption, extorsion de fonds, déboisement sans autorisation du domaine forestier, blanchiment, enrichissement illicite et harcèlement moral, est à ce jour toujours en détention à la Maison darrêt et de correction dAbidjan (Maca)

Dos rond 

AlainRichard Donwahi nest pas directement visé par les révélations de JA et pourtant, elles tombent très mal. Pour atténuer sa déception de quitter le gouvernement, Alassane Ouattara a promis de lui confier la présidence de la quinzième Conférence des parties (COP 15) sur la désertification qui doit se tenir du 9 au 20 mai à Abidjan. Un poste honorifique qui fait 

figure de lot de consolation

Problème, sa possible nomination fait grincer quelques dents au sein des Nations unies, et même du gouvernement. nées aux entournures, les autorités refusent de confirmer l’information. Donwahi doit faire le dos rond. Ce soir du 6 mai, il ne laisse rien paraître, pose sur un maximum de photos avec cette assurance à toute épreuve qui le caractérise

Sans doute saitil qu‘Alassane Ouattara naime pas revenir sur une décision, quitte à en assumer les conséquences. Quand certains de ses collaborateurs tentent de conseiller au président de faire machine arrière, il fait bloc derrière son ancien ministre

SA NOMINATION À LA COP 15 A TOUT DUNE SORTIE EN DOUCEUR 

Le 11 mai, Donwahi prend officiellement ses fonctions et reçoit un soutien public dADO. « Le ministre est familier des thématiques majeures de notre convention. Je sais quil saura, par ses compétences et son expérience, conduire les échanges avec succès. Je remercie particulièrement le Premier ministre Patrick Achi de lavoir libéré du ministère des Eaux et Forêts à loccasion du dernier remaniement dans la perspective doccuper cette importante fonction », clare-til. AlainRichard Donwahi peut souffler

Sa nomination à la COP 15 a tout dune sortie en douceur, même si elle représente un sérieux coup darrêt pour celui dont le nom était jusque le meilleur des garants. « Avec un tel scandale dans son ministère, il ne pouvait pas rester au gouvernement », explique un cadre du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP)

Grandes familles 

AlainRichard Donwahi est un personnage atypique, aussi charmant et charismatique quil peut être solitaire et ne pas goûter le folklore de la vie politique. Y étaitil vraiment destiné ? Certes, il y a été très tôt initié par son père Charles Bauza, membre de laristocratie ivoirienne de la grande époque de Félix HouphouëtBoigny. Ingénieur, Donwahi père fut lun des pions de la géopolitique du père de la nation ivoirienne qui le fit président de lAssemblée nationale en 1994. Mais avant cela, il avait connu lautre face de la gouvernance dHouphouët : en 1963, alors quil est ministre de lAgriculture, il fait partie des dizaines dhommes politiques et dintellectuels arrêtés par le Vieux, dans cet épisode aujourdhui bien connu des « faux complots« . À la clé, quatre ans demprisonnement avant dêtre finalement gracié

Alain na quun an au moment des faits, mais lépisode marque la famille, notamment sa soeur Illa de deux ans son aînée. À la prison de sûreté de Yamoussoukro, Charles Bauza partage la cellule de Seydou Elimane Diarra. Entre les deux hommes, naîtra une forte amitié. Ils scelleront même un pacte : chacun devra veiller sur la famille de lautre. Quand Charles Bauza décède en 1997, Seydou Diarra prend son fils sous son aile. Cet homme respecté et écouté par lensemble de la classe politique sera le parrain et protecteur dAlainRichard Donwahi qui lui doit une bonne partie de son parcours politique

Côte dIvoire : une affaire de familles  

À la fin des années 1990, Donwahi se lance dans les affaires. Après des études en France, il a poursuivi son cursus universitaire aux ÉtatsUnis. Il y a monté ses premières entreprises, avant de se lancer dans lagroindustrie en Côte dIvoire (fruits, hévéa, café et cacao). Nommé Premier ministre en 2003, Seydou Diarra fait appel à lui pour en faire son conseiller spécial. En 2003, il prend la tête du Programme national de désarmement, démobilisation et réinsertion (PNDDR), poste quil occupera jusqu‘à larrivée de Guillaume Soro à la Primature, en 2007, fort dun bilan en demiteinte. « Le PNDDR, cétait de gros sous mobilisés sans aucun résultat, en dehors des contacts ou des rencontres entre officiers des deux armées », glisse un ancien cadre de la rébellion

Cela ne lui portera pas préjudice. Au contraire, puisqu’AlainRichard Donwahi devient conseiller spécial du nouveau Premier ministre mettant à profit les très bonnes relations tissées notamment avec létatmajor des Forces armées des forces nouvelles (FAFN). Sous les ordres de Paul Koffi Koffi, alors directeur de cabinet adjoint chargé des questions de la sortie de crise, Donwahi sera chargé de superviser lélaboration de la liste électorale et des cartes nationales didentité

Un parrain nommé Seydou Diarra 

Une fois encore, il va pouvoir compter sur lappui de son parrain : lorsquAlassane Ouattara accède enfin à la magistrature suprême en avril 2011, Seydou Diarra demande au nouveau maître des lieux de veiller sur son « fils et protégé ». Ouattara, qui a croisé Donwahi pour la première fois à la fin des années 1990, en fera son conseiller spécial chargé des questions de défense et de sécurité de juillet 2012 à janvier 2016. En parallèle, il officiera en tant que secrétaire exécutif du Conseil national de sécurité (CNS). Il forme avec le préfet Vassiriki Traoré, coordonnateur des Services de renseignements, un duo chargé de la sécurité du pays

Donwahi pilote lardue réforme du secteur de sécurité après dix ans de crise politicomilitaire. Il est également impliqué dans lacquisition de matériel militaire. « Au sein du CNS, chargé 

dassurer une partie des dépenses militaires et sécuritaires, cest lui qui transmettait le montant des commissions et mettait la pression aux vendeurs de canons », explique une source proche des services de renseignement français

Après cette expérience, sa nomination comme ministre de la Défense en janvier 2016 ne fait lombre daucune contestation, dautant quil a pour mission de poursuivre la réforme de larmée, véritable serpent de mer du premier mandat d‘ADO. Après une visite en Israël mi novembre 2016, Donwahi deviendra assez rapidement lun des interlocuteurs privilégiés des intérêts israéliens à Abidjan, il introduit le courtier en armement Gaby Peretz et se rapproche de la représentante du conglomérat privé Mitrelli, Eva Peled

LA SITUATION SE TEND BRUSQUEMENT. DES COUPS DE FEU SONT TIRÉS À LEXTÉRIEUR DE LA RÉSIDENCE. « NOUS AVONS ÉTÉ TOUT BONNEMENT PRIS EN OTAGE » 

Mais lexpérience de Donwahi à la Défense va tourner court. « Il nétait pas assez politique. Il nest parvenu à se mettre dans la poche nila hiérarchie militaire, ni les hommes des troupes », résume un de ses anciens collaborateurs. Car dans les casernes, la grogne monte. En janvier 2017, des mutineries éclatent. Les armes crépitent à Bouaké, Korhogo, Daloa et Abidjan, au point débranler le régime dAlassane Ouattara

Le ministre doit monter au front pour mener les négociations avec les mutins, principalement des anciens membres de la rébellion des Forces nouvelles (FN) intégrés dans l‘armée après la crise qui réclament désormais dimportantes primes. Elles ont pour théâtre le salon de la résidence du souspréfet de Bouaké, rideaux tirés. Donwahi, le souspréfet et le maire de la ville, Nicolas Djibo, font face à une dizaine de militaires en colère. À sa gauche, le colonel Issiaka Ouattara, surnommé Wattao. La situation se tend brusquement. Des coups de feu sont tirés à lextérieur de la résidence, dont laccès est bloqué. « Nous avons été tout bonnement pris en otage. Le ministre a gardé son calme. Il a été mis en lieu r dans une autre pièce par sa garde rapprochée pendant trois à quatre heures avant que les négociations ne reprennent et quun accord soit trouvé », raconte lun des participants

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Un trou de 5 milliards à la Défense 

AlainRichard Donwahi quittera finalement ce poste quelques mois plus tard après une nouvelle mutinerie. Hamed Bakayoko lui succède en juillet 2017, lance rapidement un audit de la gestion de son prédécesseur et fait fuiter linformation dans la presse. Lutilisation du budget du ministère, lachat de plusieurs hélicoptères russes doccasion en Roumanie et la passation de certains marchés à des sociétés détenues par des personnes proches de la Grande loge de Côte dIvoire (GLCI) ou de son épouse Laure BaflanDonwahi, furent notamment scrutés par lInspection générale dEtat (IGE) qui, selon nos sources, fera état dun trou de 5 milliards de francs CFA. Donwahi, qui sest toujours défendu de toute irrégularité, ne sera jamais directement mis en cause

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Lépisode créera cependant un sérieux froid entre les deux hommes qui se connaissent bien. Entre Donwahi le fils de bonne famille et Bakayoko le gamin dAdjamé, il y a un monde. Le premier est un amateur de musique classique, dopéra particulièrement, quil écoute dans son bureau. Il aime également le reggae et Cesaria Evora. Plus proche du peuple, le second, décédé en juillet 2021, était un autoditacte, adepte des musiques urbaines

LE WEEKEND, IL LUI ARRIVE DE CHEVAUCHER SON HARLEY DAVIDSON EN COMPAGNIE DU FILS D‘HENRI KONAN BÉDIÉ, OU DU PATRON DORANGE CÔTE DIVOIR

Mais comme Hamed, Donwahi apprécie les belles choses. Les belles voitures, le bon vin, les bons cigares. Le weekend, il lui arrive de chevaucher son Harley Davidson en compagnie du fils dHenri Konan Bédié, JeanLuc, ou du patron dOrange Côte dIvoire, Mamadou Bamba

Hamed Bakayoko et AlainRichard Donwahi avaient un autre point commun, leur appartenance à la francmaçonnerie. Proche de Clotaire Magloire Coffie, le fondateur de la Grande loge de Côte d‘Ivoire (GLCI), Donwahi est depuis longtemps très impliqué dans la vie de la loge dont il a été récemment fait député Grand maître, autrement dit numéro deux. Sa superbe résidence familiale en bord de lagune accueille souvent des activités maçonniques. Il dirige également la loge des princes dAssinie, à laquelle il a, selon nos informations, initié lambassadeur de lUnion européenne (UE)

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d‘Hamed Bakayoko comme Grand maître. La GLCI fait toujours corps pour défendre lun de ses frères. Alors quand la gestion de Donwahi est épinglée dans la presse, ils sont nombreux à sen émouvoir auprès dHamed. Une médiation sera nécessaire pour régler le différend

« Donwahi possède une grande intelligence situationnelle. Il est conscient quen politique, on ne maîtrise pas tout et quil faut sadapter. Quand il est arrivé aux Eaux et Forêts, on disait de lui quil était fini. Or, en cinq ans, il a réussi à faire augmenter le budget du ministère et en faire un maroquin envié », estime un de ses proches

Lorsquil prend ses fonctions, le ministère de la Défense est sclérosé, miné par la corruption. Les agents sont en grève. Donwahi comprend rapidement que ladministration est contre lui et que le directeur général de la Sodefor, la société dÉtat chargée de la gestion des forêts, lorgne sur son poste. Tout est donc fait pour lui mettre des bâtons dans les roues. Peu à peu, le ministre reprend la main, avec le soutien du chef de lÉtat qui lui octroie une importante rallonge budgétaire

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Que retenir de son action pendant cinq ans ? Les soupçons de mauvaise gouvernance ou un volontarisme inédit sur des questions jusquerarement mises en avant

Une mesure résume bien lambivalence de son bilan : la création de la Brigade spéciale de surveillance et dintervention (BSSI), en janvier 2018. Forte de ses 600 éléments, lunité fut présentée comme le dernier outil de la lutte contre les coupes de bois et lorpaillage illégaux. Depuis sa mise en place en août 2020, elle multiplie les opérations à grands renforts de 

communication. Mais la réalité du terrain est tout autre. De nombreux acteurs locaux mettent en doute son efficacité. Pire, elle aurait servi de bras armé à un vaste système de racket des industriels du bois, principalement libanais, dirigé par un homme, Ibrahim Lakiss, dont la proximité avec le ministre ne fait lombre dun doute

TOUT EST FAIT POUR LUI METTRE DES BÂTONS DANS LES ROUE

Laudit diligenté par l‘IGE et linstruction devant la Cour de cassation permettrontils détablir le degré dimplication de lancien ministre dans ces agissements ? Selon nos informations, les deux enquêtes ont été mises entre parenthèse. « Sa responsabilité est évidente mais sera difficile à prouver. Lors des interrogatoires, il a été préservé par les membres de son cabinet », estime une source proche de lenquête

Et puis Donwahi est un poids lourd de la vie politique ivoirienne dont Alassane Ouattara peut difficilement se passer. Président du conseil régional de la Nawa, une région du sudouest de la Côte d‘Ivoire première productrice de cacao, il fut lun des derniers cadres du Parti démocratique de Côte dIvoire (PDCI) à rejoindre le RHDP. Il a conservé de très bonnes relations au PDCI, notamment avec lancien président Henri Konan Bédié quil continue à voir

COP 15 

Contacté par Jeune Afrique, lancien ministre na pas donsuite à nos sollicitations. Il travaille actuellement à peaufiner la stratégie de son mandat de président de la COP 15, qui court pour les deux prochaines années. Il a gardé une partie de son équipe des Eaux et Forêts, notamment son directeur de cabinet, et a été contraint de céder ses bureaux à la tour administrative du Plateau

Poste opérationnel sans véritable budget, la présidence de la COP 15 est avant tout chargée de suivre la mise en oeuvre des décisions prises lors des travaux à Abidjan. Selon nos sources, Donwahi souhaite surtout récupérer la gestion de lambitieuse « Initiative dAbidjan », qui vise à donner un second souffle aux sols ivoiriens et à léconomie nationale, basée sur lagriculture, et pour laquelle les autorités ivoiriennes sont parvenues à récolter 2,5 milliards de dollars (sur dix ans). Linitiative est pour le moment pilotée par le président du comité dorganisation de la COP, Abou Bamba. Mais Alassane Ouattara pourrait décider de la confier à Donwahi. À moins quil ne préfère quelle soit directement supervisée par son Premier ministre Patrick Achi

JA

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