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Cameroun :Dencia, la pop star qui blanchit la peau noire, surnommée la « Lady Gaga africaine »

Sa crème Whitenicious a créé un scandale. La chanteuse camerounaise n’en a cure, elle attend de devenir milliardaire pour, jure-t-elle, aider les orphelins en Afrique.

Il est midi à Los Angeles. « Je viens de me réveiller, dit-elle en décrochant l’appel sur Skype. J’avais plein de monde chez moi hier soir. » Dencia, de son vrai nom Reprudencia Sonkey, apparaît à l’écran avec une perruque blond platine et une casquette sur laquelle est inscrit le mot « DOPE » en lettres capitales. Elle a de faux ongles très longs, incrustés de brillants, et une peau tellement claire pour une femme noire que l’on songe immédiatement à la crème blanchissante qui lui a apporté la fortune : Whitenicious.

La Camerounaise, surnommée la « Lady Gaga africaine » en raison de sa musique pop et de son look extravagant, a lancé son produit cosméto en 2013, ce qui lui a valu la haine des leaders de la communauté noire aux Etats-Unis. Elle est conspuée sur les plateaux de télévision par des stars et des top-models, mais elle est riche. Et c’était sans doute le but. « C’est super, dit-elle. Plus on en parle, plus mes ventes explosent. »

Escarpins Louboutin

Dencia grandit à Yaoundé, au Cameroun, dans une famille qui a aussi des origines nigérianes. Elle est élevée par ses grands-parents. A 17 ans, elle émigre aux Etats-Unis avec pour rêve de devenir actrice ou designer de mode. Elle commence comme coiffeuse à Silverspring, dans le Maryland. Douée pour la pose de perruques et le tissage, elle gagne bien sa vie mais n’oublie pas ses ambitions. « J’étais trop créative pour vivre là-bas ! Dans le Maryland, honnêtement, ton art va rester sur ton balcon pour toute ta vie, que tu sois douée ou pas ! » Sur l’écran de notre conversation, Dencia prend des airs de diva, sirote un Fanta, parle fort et vite, sans filtre ni peur du ridicule, et ponctue toutes ses phrases du mot « honestly » (« franchement »).

Elle quitte le Maryland pour Los Angeles. « Je ne savais même pas où c’était. Honestly, je n’avais jamais googlé l’endroit ! ». Et là, la magie opère. Dencia s’inscrit à toutes sortes de cours : journalisme, danse, art, business. « Je n’ai jamais eu de diplôme. Je voulais apprendre par ci, par là des trucs que je pourrais utiliser dans la vraie vie. » Oiseau de nuit, c’est à l’after party des Grammy Awards, en 2009, qu’elle se fait remarquer avec sa paire d’escarpins Louboutin qu’elle a customisés avec de faux diamants. Les célébrités commencent alors à lui demander de reproduire ses propres tenues et accessoires. Sa première cliente est Christina Millian, mannequin et petite amie du rappeur Lil Wayne, puis les pop-stars Rihanna, Nicky Minaj et Lady Gaga. Elle fait aussi de la figuration dans les clips d’artistes comme Ludacris, 50Cents ou Chris Brown.

Mais traîner avec le gratin ne lui suffit pas : elle veut être LA photo sur la jaquette du CD. Pragmatique, elle achète une chanson ready made à un producteur et lance son premier single, « Beri Beri », en ciblant le continent africain. Son clip, où elle se présente dans des tenues excentriques et sexy, décolleté plongeant, tenue rose bonbon ou léopard, va faire un carton sur les télés du Nigeria, du Cameroun ou du Congo.

Symbolique de la pureté

Après deux ans de tournée et quelques singles à succès, Dencia veut entrer dans les affaires et songe à lancer son parfum. « Mais, honestly, pourquoi les gens achèteraient-ils le mien plutôt que celui de Beyoncé ? », se demande-t-elle. Le destin se présente sous la forme d’un chimiste helvétique assis à côté d’elle en première classe dans un vol entre la Suisse et les Etats-Unis. Il la complimente sur sa peau, lui dit qu’il a créé une ligne cosmétique et lui demande d’être son « visage ». Elle sera plus que ça. Dencia connaît les obsessions des femmes noires : les taches sur le visage (dark spots), la différence de teinte corps et visage, ou encore la couleur considérée trop foncée des genoux, des coudes ou des phalanges. Ils vont revoir ensemble la composition de la crème, recruter les premiers testeurs sur Facebook et lancer Whitenicious fin 2013, dont Dencia est la PDG et seule propriétaire affichée. Alors qu’elle n’a que cent flacons en stock, elle reçoit plus de 5 000 commandes. Le prix, entre 80 et 200 dollars (72 à 180 euros) l’unité, ne semble pas être un obstacle.

Très vite, les photos « avant-après » de Dencia font sensation et créent le scandale. Elle reçoit des tweets du type : « Qu’est-ce que ça fait d’éprouver de la répulsion devant sa propre mère parce qu’elle est noire ? » Et répond calmement qu’elle adore sa mère. La communication de Whitenicious est ambiguë : le slogan promet de faire disparaître les tâches de surpigmentation, mais quand la jeune femme exhibe son corps, on comprend vite qu’elle s’est appliqué le traitement de la tête aux pieds. Dencia joue sur les mots : selon elle, sa crème éclaircit (lightening) mais ne décolore pas (bleaching). Il n’empêche, alors que des dizaines de produits de dépigmentation existent sur le marché, la plupart non reconnus par les autorités sanitaires parce que contenant des composants dangereux comme du mercure ou de la cortisone, elle est accusée de favoriser la haine de soi des femmes noires en prônant le blanchiment.

« Quand une femme se marie, elle se marie en blanc », réplique Dencia, qui rappelle que le blanc est associé à la symbolique de la pureté. Quant à la composition de sa crème, elle affirme utiliser 80 % de produits bio et aucun toxique.

« Réminiscences de l’esclavagisme »

La campagne contre elle se poursuit, et le succès de ses crèmes aussi. En février 2014, l’actrice oscarisée mexicano-kényane Lupita Nyong’o prononce un discours engagé sur la beauté des femmes noires. Sa prise de parole commence par une lettre qu’une jeune fille lui aurait envoyée :

« Chère Lupita, je pense que tu as vraiment beaucoup de chance d’être aussi noire et d’avoir eu du succès à Hollywood malgré tout et en aussi peu de temps. Je m’apprêtais à acheter la crème éclaircissante Whitenicious de Dencia, jusqu’à ce que tu te révèles aux yeux du monde et m’en empêches. »

Dencia réplique en accusant Lupita de « se soumettre aux hommes blancs » en devenant l’égérie de Lancôme. La dispute entre la chanteuse pop scandaleuse et l’actrice vertueuse fait les choux gras de la presse people.

« On me reproche de proposer un produit qui pousse les femmes à se conformer à des standards de beauté blanche, plaide Dencia. Les Américains se sentent agressés. Honestly, ce sont juste des réminiscences de l’esclavagisme. » Elle prétend ne pas s’intéresser aux sources de ce malaise, mais en a fait un véritable business et met en avant un chiffre d’affaires de 20 millions de dollars par an. Dans un entretien accordé au magazine Ebony, Dencia argue que, pour être considérée comme belle, il faut être soit aussi noire que la mannequin sud-soudanaise Alek Wek, soit aussi « blanche » que l’Américaine Beyoncé.

Toujours dans l’ambiguïté, le dernier clip de Dencia, sorti il y a six mois et intitulé « African Energy », envoie un message plein de contradictions. Un hommage au continent, selon elle, où on la voit, toujours plus blanche, se trémousser entre l’apparition de Nelson Mandela et des joueurs de l’équipe de foot d’Afrique du Sud. « Comment oses-tu chanter une chanson sur l’African Pride en te blanchissant la peau comme ça ? », peut-on lire en commentaire sous la vidéo.

Chrétienne fervente

Dencia ne va pas s’arrêter là. L’un de ses projets fait déjà le buzz : une brosse électrique destinée à mieux laver les parties intimes féminines, témoignant d’une certaine obsession de la pureté. Dencia prépare aussi une boisson énergisante, une ligne de vêtements ainsi que son propre label, qui aura pour mission de dénicher le Justin Bieber africain. « J’espère être bientôt milliardaire pour pouvoir venir en aide à de nombreux orphelinats », ajoute la jeune femme, qui tient à rappeler qu’elle est une chrétienne fervente.

En attendant, Dencia continue dans la provocation avec une nouvelle ligne de produits cosmétiques intitulée Darklicious, qui aidera les peaux noires à bronzer davantage. Une nouveauté qui arrive comme une réponse aux critiques. Opportunisme ou flair commercial ? « Les gens peuvent dire du mal de moi, c’est leur problème. Honestly, c’est grâce à Dieu que j’en suis là. Il m’aide pour que je puisse en retour aider un jour les enfants d’Afrique », conclut-elle avant de raccrocher.

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