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Pétrole : le Maroc va-t-il vraiment toucher le jackpot ?

Perspectives prometteuses, incitations fiscales attractives, avalanche de permis de prospection… Caressant toujours l’ambition de devenir une puissance pétrolière, le royaume met les bouchées doubles pour développer l’exploration de l’or noir.

« Le Maroc a un potentiel en hydrocarbures […] Les bassins marocains sont sous-explorés […] Maintenant, il faut des investissements importants pour pouvoir déterminer l’importance économique et mettre en évidence le potentiel ce que nous pressentons » affirmait, en 2019, Amina Benkhadra, la directrice de l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM).

Depuis, plusieurs programmes onshore et offshore ont été mis en place avec des entreprises étrangères, lesquelles bénéficient de nombreux avantages fiscaux : exonération totale de l’impôt pendant dix ans, exemption des frais de douane sur tous les équipements et part de l’État limitée à 25 %.

Un potentiel à confirmer

Le 13 avril, face à la Commission parlementaire des infrastructures, de l’énergie, des mines et de l’environnement, Amina Benkhadra est revenue sur les activités de prospection des hydrocarbures dans le royaume, où onze sociétés, dont Eni (Rome), Qatar Petroleum International (Doha) et Europa Oil & Gas (Londres) opèrent. Le jour même, la société britannique, active sur les côtes atlantiques, s’est vue propulsée sur le devant de la scène par son annonce :  un volume important de ressources pétrolières, supérieur à 1 milliard de barils, récupérable sans risque, a été identifié au large d’Agadir.

DES FORAGES DOIVENT MAINTENANT DÉTERMINER L’EXISTENCE EFFECTIVE DE RESSOURCES PÉTROLIÈRES

Alors que les prix à la pompe connaissent une hausse sensible, cette nouvelle constitue une lueur d’espoir pour les Marocains, et particulièrement pour Aziz Akhannouch. Le Premier ministre – actionnaire principal d’Afriquia, leader local de la distribution de carburants – est pris en grippe pour conflit d’intérêts après la flambée des prix.

Si les médias marocains évoquent « une découverte importante », les données avancées par Europa Oil & Gas sont à prendre avec prudence – loin de l’euphorie médiatique ou de tout optimisme à tous crins. « Maintenant, cette évaluation, fondée sur des données géologiques, doit être prouvée par des forages pour déterminer l’existence effective de ressources pétrolières », précise Francis Perrin, directeur de recherche à l’Iris (Paris) et chercheur associé au Policy Center for the New South (Rabat).

Le spectre de l’affaire Talsint

En août 2021, Europa Oil & Gas estimait le potentiel de cette zone offshore supérieur à deux milliards de barils, avant de revoir ses ambitions à la baisse au début de 2022. Dans un communiqué rendu public le 24 avril, l’Association des géologues et géophysiciens pétroliers espagnols (AGGEP) évoque « une découverte fantôme de pétrole » et dénonce un coup de bluff pour promouvoir le secteur des hydrocarbures au Maroc et susciter l’intérêt des majors pétrolières.

L’ONHYM TRAITE LE SUJET AVEC BEAUCOUP DE PRUDENCE

« Europa Oil & Gas est une petite société pétrolière. Elle a besoin d’attirer des financements pour pouvoir entamer le forage et continuer ses activités sur ce permis en mer. Ainsi, la compagnie insiste sur le grand potentiel de cette zone, mais à ce jour, il n’y a pas un milliard de barils de pétrole découvert », affirme Francis Perrin. Ces incertitudes peuvent rappeler le scandale du gisement imaginaire de Talsint qui a secoué le royaume au début des années 2000. À l’époque, Lone Star Energy Corporation avait annoncé une découverte majeure de plusieurs milliards de barils à Talsint (région de l’Oriental) avant que l’État, au départ pris au piège, ne découvre le pot aux roses.

« Les erreurs sont toujours possibles mais, contrairement aux informations relayées, l’Office national des hydrocarbures et des mines n’évoque pas le terme de « découverte » et traite le sujet avec beaucoup de prudence car les mots doivent être pesés. C’est la garantie pour éviter une affaire Talsint bis », estime le chercheur associé au Policy Center for the New South (Rabat).

Casse-tête en perspective

Cependant, une éventuelle manne d’or noir soulèverait un problème de taille : le raffinement des ressources extraitesSituée à Mohammedia, la Samir, unique raffinerie du Royaume, est à l’arrêt depuis 2015, et le feuilleton de sa liquidation, entamé en 2016, n’est toujours pas terminé.

En cas de jackpot, le Maroc exporterait ses ressources brutes sur le marché mondial pour générer des recettes en devises. « C’est une option intéressante au vu de la volatilité des cours. Néanmoins, avoir une raffinerie augmenterait évidemment les options », explique l’expert pétrolier.

Le royaume pourrait également être confronté à la fâcheuse expérience connue par le Nigeria, premier producteur de pétrole sur le continent. Miné par la vulnérabilité de ses infrastructures de raffinement, le pays importe 90 % de son carburant aux prix du marché mondial et subit une pénurie chronique de produits raffinés en raison des conséquences de la guerre en Ukraine.

Mais, avant d’établir des projections, des investissements substantiels doivent être réalisés pour confirmer le potentiel des bassins marocains, déterminer son importance économique et convertir les « perspectives prometteuses » en barils de pétrole. « Faute de découverte majeure sur son territoire, le Maroc restera un pays massivement importateur de pétrole et de produits raffinés », conclut Francis Perrin.

Source : Jeune Afrique

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