13 décembre 2024
Paris - France
AFRIQUE INTERNATIONAL

Au Mozambique, l’inquiétant activisme de cellules affiliées à l’État islamique

Tout juste inscrite sur la liste des organisations terroristes des États-Unis, la filiale de Daesh au Mozambique multiplie les exactions dans la région nord-est, où les intérêts gaziers américains et français sont importants.

Les récits de massacres de la province de Cabo Delgado dans le nord-est du Mozambique prennent parfois temps pour redescendre jusqu’à Maputo, la capitale, mais quand ils parviennent aux oreilles des décideurs, ils font froid dans le dos. Le dernier en date : l’exécution et la décapitation d’enfant.

C’est l’ONG britannique Save the Children qui en a fait l’écho mardi 16 mars, attirant l’attention sur un conflit d’une violence extrême dans cette région gazière à la frontière de la Tanzanie. Depuis plus de trois ans, une insurrection djihadiste affiliée à l’État islamique a tué au moins 2600 personnes et forcé 670.000 autres à fuir.

Sur son site internet, Save the Children, a publié le témoignage d’une mère de famille de 28 ans qui raconte comment son fils de 12 ans a été décapité devant elle, alors qu’elle se cachait avec ses trois autres enfants. «Cette nuit-là, notre village a été attaqué et nos maisons ont été brûlées, raconte cette femme. Nous avons essayé de fuir dans les bois, mais ils ont pris mon fils aîné et l’ont décapité. Nous ne pouvions rien faire parce que nous aurions été tués aussi».

D’une dynamique locale à l’allégeance à Daesh

Actif depuis 2017, ce groupe armé qui prête allégeance à Daesh en 2019 n’a attiré l’attention du reste du monde que récemment, quand ses troupes prennent Mocimboa da Praia, un port minier important de la région, en août 2020.

En 2017, le groupe Ahlu Sunnah wal Jamaa (les «adeptes de la tradition du prophète», en arabe), plus connu localement sous le nom d’al-Shebab («les jeunes» en arabe) lance une rébellion dans le Cabo Delgado, province à majorité musulmane du nord-est du pays, éminemment stratégique pour le pays en raison de ses réserves gazières. À l’origine le groupe n’est qu’une petite secte islamiste dont la création remonterait à 2007. Elle prend les armes suite à une série d’arrestations, initiées par l’intelligentsia locale, qui ne supportait pas de voir la popularité de la secte grandir auprès des plus jeunes.

Rapidement le groupe multiplie les attaques, profitant du déni de la classe politique mozambicaine installée à Maputo, dans le sud du pays, qui n’y voit que des confits internes à la communauté musulmane. L’armée tarde à intervenir, et ne parvient pas à enrayer la menace.

En 2019, le groupe – qui n’a rien à voir avec son homonyme somalien affilié à al-Qaida – prête allégeance à l’État islamique, il est intégré à l’«État islamique d’Afrique centrale» (ISCAP), au côté de la branche de République démocratique du Congo. Les observateurs internationaux ont d’abord hésité à reconnaître les liens entre les Shebabs et l’EI, considérant insurrection uniquement dans sa dimension locale. «Cet argument apparaît cependant de plus en plus naïf», avance le chercheur Tore Hamming dans un article publié fin janvier. En décembre 2020, le Pentagone confirmait les liens entre le groupe et l’État islamique et le le 11 mars, il le plaçait officiellement sur sa liste des «groupes terroristes» affiliés au groupe Etat islamique.

Selon Matteo Puxton, qui tient Historicoblog et effectue une veille sur l’EI, ces liens ne font pas de doute, même s’il reconnaît qu’ils sont «encore difficiles à caractériser». «Pour la branche congolaise de l’EI en Afrique Centrale, ces liens sont étayés par des éléments solides, des transferts financiers par exemple, explique-t-il. Pour le Cabo Delgado, c’est plus compliqué, mais il y a des indices ».

Cependant, cet observateur des mouvements djihadistes souligne la dimension locale du groupe. Un avis que partage le journaliste portugais Nuno Rogeiro, auteur d’une enquête sur les Shebabs mozambicains. «Le siège est établi dans l’est de la République démocratique du Congo, avec des bases en Tanzanie, en Ouganda et au Puntland [en Somalie]. Seuls quelques commandants et instructeurs issus de ces régions ont été envoyés au Mozambique, explique-t-il dans un entretien à Courrier International. La majorité des effectifs qui sévissent dans le Cabo Delgado, toutefois, est composée d’autochtones», ajoute-t-il.

Intérêts gaziers

Le 15 mars, l’ambassade américaine à Maputo a annoncé l’envoi de forces spéciales américaines pour former les fusiliers marins mozambicains, en plus des formateurs américains déjà présents sur place. En France, le 18 janvier, Florence Parly, la ministre des Armées s’entretenait au téléphone avec son homologue mozambicain pour discuter d’un éventuel soutien militaire, selon le site spécialisé Opex360.

Car le Mozambique et ses réserves gazières off-shore présentent un intérêt majeur pour les compagnies pétrolières françaises et américaines Total et Exxon. Or, ces derniers mois, les attaques du groupe armé se rapprochent des installations gazières, notamment celles de Total à Afungi. Le 1er janvier, des combats ont eu lieu à l’entrée du site du géant pétrolier français, à un kilomètre environ de la piste d’aviation, sans que les combattants djihadistes ne parviennent à pénétrer dans le périmètre de sécurité qui englobe les installations industrielles et le village de Quitunda où résident les populations déplacées par les chantiers.

Aujourd’hui l’armée mozambicaine n’est pas en mesure de contrer cette menace, elle se repose sur des milices locales et des organisations mercenaires étrangères comme le russe Wagner ou le sud-africain Frontier Services Group. Il en résulte d’importantes exactions,dénoncées par Amnesty International.

L’information concernant ce conflit reste lacunaire. Dans son enquête, Nuno Rogeiro évoque un «silence officiel». Les soutiens de l’EI dans la population sont nombreux et gardent le silence, tandis que l’armée impose une forme de censure, rendant difficile le travail des quelques journalistes qui s’intéressent au conflit.

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