26 janvier 2025
Paris - France
AFRIQUE

Afrique-France: comment  Emmanuel Macron et Jean-Marie Bockel ont été pris de vitesse 

FILE PHOTO: France’s President Emmanuel Macron addresses mayors of cities affected by the violent clashes that erupted after a teen was shot dead by police last week, during a meeting at the presidential Elysee Palace in Paris, France on July 4, 2023. LUDOVIC MARIN/Pool via REUTERS/File Photo

Fin novembre, Paris a été prié de préparer le rapatriement de ses soldats basés au Sénégal, tandis que le Tchad décidait de rompre les accords de coopération militaire avec la France. Un revers pour Emmanuel Macron et sa diplomatie, qui ont perdu le contrôle du calendrier de la reconfiguration de la relation entre l’ancienne puissance coloniale et le continent

Neuf mois de consultations et de visites sur le continent pour mettre sur pied un rapport finalement déposé sur le bureau d’Emmanuel Macron le 25 novembre. Depuis sa nomination en tant qu’envoyé spécial du président français pour l’Afrique, en février, JeanMarie Bockel a multiplié les audiences et les tractations afin d’esquisser 

une nouvelle stratégie pour le partenariat militaire entre Paris et le continent

Chargé de réinventer un partenariat parfois vieux de plusieurs siècles entre la France, le Tchad, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Gabon, l’ancien secrétaire d’État à la Défense de Nicolas Sarkozy visait un «< remodelage >>, passant par un changement de «<statut, de format et de missions >> pour les bases françaises en Afrique. Dans un contexte de désamour de l’Hexagone grandissant sur le continent, Paris n’a eu de cesse de répéter que son dispositif dépendrait des besoins exprimés par ses partenaires, en matière de coopération, de formation et d’équipement

Mais, à peine trois jours après la remise dudit rapport au chef de l’État français, une double annonce du Tchad et du Sénégal a pris de vitesse les sphères diplomatique et sécuritaire françaises. Paris désirait «< réduire la voilure», Bassirou Diomaye Faye a assuré, au cours d’un entretien quotidien Le Monde, qu« il n’y [aurait] bientôt plus de soldats français au Sénégal ». Le chef de l’État sénégalais estime que la présence de troupes étrangères est incompatible avec la souveraineté du pays

 Départ de l’armée française du Tchad et du Sénégal : une rupture historique et salutaire L’édito de François Soudan 

Dans la foulée, les autorités tchadiennes ont annoncé la rupture des accords de défense les liant à la France. Une déflagration pour Paris, qui, chassé du Mali, du Burkina Faso et du Niger, avait fait de N’Djamena un allié stratégique au Sahel, et en Afrique en général. Au ministère des Armées, pourtant, on tente de minimiser 

l’incidence de ces annonces. << Nous avons interrogé nos partenaires quant à leurs besoins, ils nous ont répondu. La forme peut surprendre, mais c’est ce que nous attendions d’eux », glisse un responsable à Balard

Mobiliser le financement mixte pour développer des logements abordables en Afrique 

Un scénario sénégalais attendu 

<< L’idée était de travailler sur plusieurs scenarios, y compris celui d’un départ complet. C’était attendu »>, insiste la source militaire précitée au sujet de la décision sénégalaise. Difficile, pourtant, de croire que l’exécutif français qui n’a pas réagi publiquement aux propos du président sénégalais , n’a pas été pris de court, et ce, même si l’arrivée au pouvoir du parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) d’Ousmane Sonko et de Bassirou Diomaye Faye augurait une rupture avec l’ancienne puissance coloniale. JeanMarie Bockel n’avait d’ailleurs pas été reçu à Dakar, officiellement en raison d’un agenda politique interne une présidentielle puis des législatives incompatible

Quel pays peut avoir des militaires étrangers sur son sol et revendiquer son indépendance

Bassirou Diomaye Faye Président sénégalais 

JeanMarie Bockel aurait préconisé dans son rapport pour le cas sénégalais le maintien d’une centaine d’éléments, contre environ 350 aujourd’hui. Une 

recommandation inconciliable avec le cap souverainiste imprimé par Bassirou Diomaye Faye, dont la récente 

majorité obtenue à l’Assemblée nationale a certainement précipité l’annonce. «Quel pays peut avoir des militaires étrangers sur son sol et revendiquer son indépendance? La France ne l’accepte pas, elle ne doit donc pas l’imposer à d’autres pays. Nous travaillons sur une doctrine de coopération militaire qui ne s’accommodera pas de présences russe, française, américaine ou émiratie », atil déclaré

Après près de deux siècles de présence militaire au Sénégal, Paris disposera de six mois, à partir de la notification officielle d’une rupture des accords de défense, pour remballer son paquetage. «Nous le ferons avec le respect qu’il faut, sans précipitation ni aucune pression »>, ajoutait Bassirou Diomaye Faye lors de son interview. À ce jour, Dakar n’a pas encore formellement dénoncé les accords de défense qui le lie à Paris. Le compte à rebours n’a donc pas commencé

Au Tchad de Déby Itno, le grand flou 

Si la ligne défendue par Pastef au Sénégal a pu préparer le terrain, l’annonce du Tchad, elle, a pris de court une partie des diplomates et des militaires français. Certes, la relation jusqu’alors privilégiée entre Paris et N’Djamena s’est heurtée, ces derniers mois, à plusieurs points d’achoppement. Mais, face aux craintes exprimées par certains de voir le dispositif au Tchad démantelé, Jean- Marie Bockel s’était voulu rassurant. << Ce n’est pas seulement la question du nombre, il faut rester et bien 

sûr nous resterons », avaitil ainsi déclaré en mars 2024 lors d’une visite à N’Djamena

S’il a dénoncé les accords de défense liant le Tchad à la France, Mahamat Idriss Déby Itno (Midi) n’a pour 

l’instant pas rendu public les contours de cette renégociation. Dénonçant un «< accord complètement obsolète qui ne correspondait [ni] aux réalités sécuritaires, géopolitiques et stratégiques [actuelles], ni [aux] attentes légitimes [du Tchad] quant à la pleine expression de [sa] souveraineté », le chef de l’État a néanmoins tenu à «<lever toute ambiguïté», assurant que << cette décision de rupture ne [constituait] en aucun cas 

un rejet de la coopération internationale ni une remise en  question [des] relations diplomatiques avec la France>>

Interrogées par Jeune Afrique, plusieurs sources militaires françaises disent ne pas savoir, à ce stade, si la rupture des accords de défense s’accompagnera nécessairement du départ de la totalité du millier de soldats français présents dans le pays, ou s’il s’agira simplement d’une renégociation. << Un dialogue de niveau 

politique doit d’abord s’ouvrir, afin de savoir ce que les autorités tchadiennes attendent ou n’attendent plus de nous», résume un responsable au ministère des Armées. Le 3 décembre, le président tchadien réunissait un conseil extraordinaire de cabinet à ce sujet. Dans la foulée, N’Djamena mettait sur pied une commission spéciale chargée de la résiliation des accords militaires avec Paris

 Entre Déby Itno et Macron, comment la guerre au Soudan a provoqué la rupture 

Si, du côté de l’armée française, on affirme qu’il n’y a << pas d’affect» autour de la question, plusieurs employés de l’ambassade de France à N’Djamena confiaient, il y a quelques mois encore, qu’un départ des troupes françaises serait vécu comme «< une catastrophe». Dans l’entourage du président tchadien aussi, certains confessent avoir été tout aussi stupéfaits de l’annonce

<< Je pense que ça a été une surprise pour beaucoup. Il n’empêche que, depuis longtemps, les Tchadiens estiment que le partenariat militaire avec Paris n’est pas équilibré, et depuis longtemps aussi, le président parle de revoir la coopération. Peutêtre que la partie française n’a pas su lire entre les lignes », confie un proche du chef de l’État

JeanNoël Barrot, en visite à N’Djamena, atil eu vent qu’une telle annonce tomberait au moment même son avion quitterait le territoire tchadien? Contacté par Jeune Afrique, le Quai d’Orsay n’a pas donné suite. Son porte- parole, Christophe Lemoine, s’est contenté d’annoncer, le 29 novembre, que la France << prenait acte» de la résiliation de l’accord de coopération militaire. Bien 

qu’elle << résulte d’une réflexion approfondie et d’une évaluation minutieuse», comme l’a formulé le président tchadien, cette décision pourrait avoir été précipitée par plusieurs événements récents. À commencer par ladite visite du chef de la diplomatie française, qui aurait eu un entretien houleux avec le président tchadien

Tous les jours des avions français décollent de N’Djamena. Si la présence française consiste à  faire du renseignement uniquement 

dans son intérêt et non dans celui du Tchad, la coopération n’est pas bonne

Un proche de Mahamat Idriss Déby Itno 

Certains proches de Mahamat Idriss Déby Itno croient ainsi savoir que le ministre français aurait adopté << un ton condescendant » à l’égard du président tchadien, auprès de qui il se serait montré offensif, accusant notamment N’Djamena de faire transiter des armes vers le Soudan. S’y ajoute la sanglante attaque lancée par Boko 

Haram contre une base de l’armée dans la région du lac Tchad en octobre. Alors qu’entre quarante et une centaine de soldats tchadiens y auraient trouvé la mort, selon les sources, N’Djamena se serait irrité du manque de coopération de son partenaire français. Selon un proche du chef de l’État, l’exécutif tchadien reprocherait à l’armée française d’avoir disposé de renseignements qu’elle n’aurait pas partagés. Un reproche lancinant entre Paris et N’Djamena, le Tchad déplorant, de longue date, le manque de partage des Français en matière de renseignemenT satéllitaire notamment

Paris n’aurait, de même source, pas voulu apporter de soutien aérien. << Tous les jours des avions français décollent de N’Djamena. Si la présence française consiste à faire du renseignement uniquement dans son intérêt et non dans celui du Tchad, la coopération n’est pas bonne »>

cingle notre interlocuteur. En outre, ces dernières années, les points de friction se sont multipliés entre les deux pays. Entre autres choses, Mahamat Idriss Déby Itno aurait peu apprécié l’ouverture, par le Parquet national financier de Paris, d’une enquête pour << biens mal acquis», après l’acquisition, en France, de quelque 900 

000 euros de costumes

Restructuration douce au Gabon et en Côte d’Ivoire 

Alors que Paris entre dans une zone de turbulence au Tchad et au Sénégal, les relations avec la Côte d’Ivoire, elles, sont au beau fixe. Paris et Abidjan ont ainsi convenu d’un maintien de leur partenariat militaire opérationnel. La base militaire des Forces françaises de Côte d’Ivoire (FFCI), située dans la commune abidjanaise de Port- Bouët, ne fermera pas ses portes mais fera l’objet d’une réduction progressive et drastique du personnel et du matériel français. Selon nos informations, la rétrocession de la base aux Ivoiriens devrait intervenir en juillet ou en 

août 

  1. À cette occasion, elle sera rebaptisée camp Thomasd’AquinOuattara, nom du premier chef d’état- 

major de l’armée ivoirienne

Il abritera le premier bataillon des commandos et des parachutistes, ainsi qu’un centre de formation logistique. En septembre, la France avait déjà rétrocédé à l’armée ivoirienne son champ de tir et d’entraînement de Lomo- Sud, situé près de la ville de Toumodi. Ce site était au 

cœur de tensions avec la population locale, qui manifestait pour le départ de Paris après la survenue de plusieurs incidents, dont le décès d’un bouvier et de son troupeau lié à des éclats d’explosifs. Les discussions entre les étatsmajors des deux pays, se poursuivent. Le 

7 octobre, le Français Pascal Ianni, le chef du commandement pour l’Afrique (CPA), se rendait à Abidjan pour rencontrer le général de division Lassina Doumbia, chef d’étatmajor des armées

 [Exclusif] Téné Birahima Ouattara : << La Côte  d’Ivoire n’a jamais cherché à déstabiliser le Burkina Faso >>> 

Les deux hommes ont travaillé conjointement afin de définir les modalités et le calendrier du désengagement français du 43e bataillon d’infanterie de la marine française (Bima), mais aussi sur les moyens de renforcer la future coopération militaire. Un remodelage de la 

présence française salué par le ministre ivoirien de la Défense, Téné Birahima Ouattara, lequel assurait à Jeune Afrique, en juillet, que les discussions avec Paris se déroulaient << très bien ». Si les conclusions de son rapport ne sont pas encore rendues publiques et pourraient être suspendues après les annonces sénégalaise et tchadienne, JeanMarie Bockel assurait minovembre sur le plateau de France 24 qu’aucune « demande de départ» n’avait été formulée par la Côte d’Ivoire

À l’époque, le Tchad n’avait toutefois pas non plus montrer de telles intentions, tout comme le Gabon, est située une autre des bases historiques de l’armée française sur le continent africain. À Libreville, le contingent de quelque 350 éléments français stationnés sur le camp de Gaulle devrait également être revu à la baisse, tandis que sa mission se concentrera sur la formation militaire aux armées africaines

L’exception djiboutienne 

Dans ce vaste contexte de restructuration à la baisse de la présence militaire française sur le continent, un pays africain fait figure d’exception: Djibouti. Le pays, saturé 

de troupes militaires étrangères (américaines, françaises, italiennes, japonaises, chinoises), œuvre au contraire au renforcement de son partenariat avec Paris. L’État dirigé Ismaïl Omar Guelleh avait été volontairement exclu par des concertations menées par JeanMarie Bockel, des discussions ayant lieu en marge de ce processus depuis 2022 avec Emmanuel Macron luimême. En juillet 2024les deux homologues avaient renouvelé le partenariat de 

défense entre les deux pays, liés par des accords signés en 1977, puis révisés en 2011

Colonna et Lecornu à Djibouti: les dessous des négociations du traité de coopération militaire 

Si les contours du dispositif français en Afrique restent à préciser, son historique présence militaire en Afrique de l’Ouest pourrait bien se réduire à quelques centaines d’hommes, , rien qu’au Mali, elle en comptait plus de 5000 au plus fort de l’opération Barkhane. À l’heure où flotte un parfum de guerre froide sur la géopolitique 

globale, le continent n’échappe pas aux grands bouleversements. Et l’Afrique francophone en particulier, dont la trajectoire souverainiste va de pair avec une 

redéfinition drastique du partenariat avec l’ancienne puissance coloniale

Lors de son arrivée au pouvoir en 2017, Emmanuel 

Macron n’avait ménagé aucun effet d’annonce pour faire savoir qu’il souhaitait insuffler une nouvelle dynamique entre Paris et le continent, évoquant une rupture avec 

une Françafrique d’un autre temps à laquelle toutefois  ses prédécesseurs Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient déjà promis de s’attaquer. Sept ans après ses premiers pas à l’Élysée en tant que chef de l’État, cette redéfinition aura effectivement pris la forme de divorces 

fracassants, mais dans un calendrier dont Paris a quelque peu perdu le contrôle.

Jean Moliere  Source JA

Leave feedback about this

  • Quality
  • Price
  • Service

PROS

+
Add Field

CONS

+
Add Field
Choose Image
Choose Video