L’Union économique et monétaire ouest- africaine se trouve paralysée par de graves tensions entre Alassane Ouattara et Ibrahim Traoré. Le président ivoirien refuse que le Burkina Faso prenne la tête du conseil des ministres de l’organisation qui doit se réunir le 11 juillet.
Le président ivoirien, Alassane Ouattara, et son homologue burkinabè, Ibrahim Traoré.
En plus d’une situation économique toujours volatile dans l’espace de l’Union économique et monétaire Ouest–africaine (Uemoa) – entre crise de liquidités,
envolée des taux d’intérêt et recul des investissements
, l’organisation doit faire face à une grave impasse politique interne. Elle est provoquée par un bras de fer entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso autour de la présidence du conseil des ministres.
Depuis plus d’un an, ce poste est occupé par le ministre ivoirien de l’économie et des finances, Adama Coulibaly. Or, selon la règle de rotation alphabétique qui s’applique à cette instance, distincte de celle régissant la présidence de la conférence des chefs d’État, c’est au tour du Burkina Faso d’en prendre désormais la tête. Un principe que Ouagadougou entend faire valoir, mais auquel le président ivoirien Alassane Ouattara, président par intérim de la conférence des chefs d’État de l’Uemoa.
Malgré les sollicitations répétées de la partie burkinabè, Alassane Ouattara campe sur sa position, invoquant un contexte sécuritaire et diplomatique incompatible avec une telle transition. Les relations entre Abidjan et Ouagadougou sont glaciales depuis plus d’un an, les deux pays s’accusant mutuellement d’opérations de déstabilisation sur leurs sols respectifs (AI du 06/03/25). La question devrait à nouveau être débattue lors de la prochaine réunion du conseil des ministres de l’Uemoa, programmée le 11 juillet.
Soutien de l’AES
Si le Burkina Faso a quitté la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), il demeure membre à part entière de l’Uemoa, sans suspension officielle. Selon Ouagadougou, aucun texte de l’organisation ne permet de justifier sa mise à l’écart de la présidence du conseil des ministres. C’est sur cette base que le chef de la junte burkinabè, Ibrahim Traoré, revendique la fonction, avec le soutien de ses homologues du Mali et du Niger au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES). Les trois pays ont fait savoir qu’en cas de non–respect du principe de rotation, ils boycotteraient les travaux de l’organisation. Le Mali, en particulier, s’est montré très engagé pour appuyer les positions burkinabè et accentuer la pression sur Alassane Ouattara.
En coulisses, le Togo et le Bénin ont tenté de promouvoir un compromis : maintenir Alassane Ouattara à la tête de la conférence des chefs d’État tout en laissant Ouagadougou prendre la présidence du conseil des ministres. Mais cette solution, jugée
équilibrée par Lomé et Cotonou, est catégoriquement rejetée par Abidjan, qui redoute l’agenda du Burkina Faso à la tête de l’instance.
Malaise croissant
Le blocage suscite un malaise croissant au sein de l’union monétaire alors que la Côte d’Ivoire cumule les deux présidences, fait rare dans l’histoire de l’organisation. Le bilan d’Adama Coulibaly à la tête du conseil des ministres est en outre critiqué par plusieurs de ses homologues. De son côté, Abidjan déplore l’attitude des pays de l’AES, dont le retrait progressif du système communautaire pèse sur la stabilité financière de la zone. Le niveau des investissements étrangers directs dans ces trois pays a fortement chuté depuis trois ans.
Par ailleurs, les transactions avec des fournisseurs étrangers, notamment en matière d’armement, ne sont pas systématiquement bancarisées, fragilisant un peu plus le système financier régional. Les États membres de l’AES rechignent à verser leurs contributions statutaires, calculées sur la base du PIB. Fin 2024, Niamey et Ouagadougou ont toutefois accepté de régler leur dû. Une opération facilitée par les accords que chacun des deux États a passés avec le Fonds monétaire international (FMI). Le Mali, seul pays de l’Uemoa à ne pas disposer de programme de long terme avec l’institution de Bretton Woods, a opposé plusieurs fins de non–recevoir à l’Uemoa, invoquant la priorité accordée aux dépenses militaires. La dette cumulée du pays vis–à–vis de l’organisation depuis 2020 pourrait atteindre 170 millions d’euros, selon certaines estimations internes.
Dans ce contexte explosif, la réunion du 11 juillet s’annonce donc décisive. Si aucun consensus n’émergeait, la paralysie institutionnelle pourrait encore s’aggraver, avec des conséquences directes sur la crédibilité de l’union monétaire sur les marchés financiers. À défaut d’un accord, une issue technique pourrait consister à confier temporairement la présidence du conseil des ministres au doyen des ministres des finances en exercice. Cette option verrait la fonction revenir au Béninois Romuald Wadagni, en poste depuis 2016.
Dans le même temps, Alassane Ouattara temporise pour organiser le prochain sommet de la conférence des chefs d’État. L’idée d’accueillir l’événement à Abidjan a un temps été envisagée, mais semble désormais improbable tant la perspective de voir les chefs des trois juntes se déplacer dans la capitale économique ivoirienne paraît peu réaliste. L’option d’un sommet à Abuja a également été brièvement évoquée, sans suites concrètes à ce stade.
Jean Moliere /AI
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