Après avoir acté la fin des accords de défense avec la France, Mahamat Idriss Déby se rend en Centrafrique pour s’entretenir avec son homologue Faustin–Archange Touadéra. Des officiels de Moscou cherchent à profiter de cette visite pour s’entretenir avec le Tchadien et sceller un partenariat.
L’ombre de Moscou plane sur la visite officielle en Centrafrique du chef de l’État tchadien, Mahamat Idriss Déby, les 5 et 6 décembre, qui concernera autant les dossiers bilatéraux que la situation régionale, et tout particulièrement le cas du Soudan voisin. Le président centrafricain, Faustin–Archange Touadéra, compte profiter de cette rencontre pour affaiblir l’alliance de circonstance entre son homologue tchadien et le chef de guerre soudanais Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemeti« . Les troupes placées sous le commandement de ce dernier, les Rapid Support Forces (RSF), opèrent dans le nord–est de la Centrafrique, notamment à travers des groupes rebelles transfrontaliers.
De son côté, Mahamat Idriss Déby souhaite bénéficier d’un « retour d’expérience » de la diplomatie d’équilibriste mise en place par le président centrafricain (AI du 02/07/24). Laboratoire d’une stratégie hybride avec la Russie (le groupe paramilitaire Wagner continue de disposer d’un important
contingent de paramilitaires dans le pays), la Centrafrique a renoué depuis un an avec la France et des bailleurs occidentaux, tout en renforçant un
partenariat stratégique avec le Rwanda de Paul Kagame (AI du 17/09/24). Une approche qui suscite l’intérêt de N’Djamena, en quête de nouvelles alliances et d’une doctrine diplomatique privilégiant un « multilatéralisme » qui permettrait de réduire la dépendance à l’égard de Paris.
Réceptif aux avances russes
En amont de la dernière visite à Bangui du ministre tchadien des affaires étrangères, Abderaman Koulamallah, en octobre, des cadres du renseignement avaient été dépêchés de N’Djamena pour s’entretenir en toute discrétion avec l’ambassadeur russe, Alexander Bikantov, ainsi qu’avec le ministre de l’élevage, Hassan Bouba. Fin novembre, un discret contingent de fonctionnaires russes a rallié la capitale centrafricaine. Et plusieurs responsables politiques devraient s’y rendre pour s’entretenir avec le président tchadien. La délégation pourrait être menée par le vice–ministre russe de la défense, Iounous–bek Evkourov.
Figure influente de la stratégie africaine de Moscou, ce dernier était à Bamako fin novembre, aux côtés de plusieurs personnalités politiques et sécuritaires. Parmi elles, le général Andreï Averianov, cacique du renseignement militaire (GRU, désormais GU), un temps chargé de ses opérations clandestines. À Bangui, les stratèges du président Vladimir Poutine tâcheront de tirer profit de cette visite pour formuler au chef de l’État tchadien une proposition de partenariat militaire et diplomatique inspiré du modèle centrafricain.
S’il n’a pas, à ce jour, noué de partenariat stratégique avec Moscou, Mahamat Idriss Déby, qui s’est rendu en visite officielle dans la capitale russe en janvier (AI du 26/01/24), s’est montré réceptif aux avances russes. En mai, il a ainsi laissé circuler plusieurs éléments de Wagner le long de sa frontière avec la Centrafrique. Dans le même temps, il a pu faire preuve d’une certaine fermeté à l’égard d’agents d’influence, dont Maxim Chougaleï, un collaborateur de feu Evgueni Prigozhin qui avait agi en Centrafrique en 2020. Arrêté à N’Djamena mi–septembre, il a été libéré un mois plus tard.
Faire monter les enchères
Sur un plan plus stratégique, Mahamat Idriss Déby a limogé en septembre son directeur de cabinet civil, Idriss Youssouf Boy. Cet ami d’enfance du président entretenait des relations étroites avec des partenaires russes ainsi qu’avec Hemeti, au Soudan. Le commandant des RSF a bénéficié de l’appui de la nébuleuse Wagner, mais aussi du soutien militaire et financier considérable des Émirats arabes unis à partir du Tchad, où Abu Dhabi opère l’aéroport d’Amdjarass. Idriss Youssouf Boy est suspecté d’avoir bénéficié à titre personnel de sa position d’intermédiaire entre le Tchad et les Émirats, tout en orchestrant divers trafics dans la zone (AI du 16/10/23). Sa mise à l’écart a été interprétée par plusieurs partenaires occidentaux du Tchad comme un signal rassurant, bien qu’il conserve une influence discrète sur le chef de l’État.
Sur le volet sécuritaire, l’offre formulée par la Russie en janvier avait été considérée comme insuffisante par le président Déby. Le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avait renouvelé cette proposition lors de sa visite à N’Djamena en juin. Pendant plusieurs mois, Mahamat Idriss Déby a fait monter les enchères en vue d’un partenariat éventuel. Il a d’abord feint de songer à bouleverser son jeu d’alliance, avant de rassurer son homologue français, Emmanuel Macron, en sollicitant le renforcement de la coopération.
De son côté, Paris, qui a longtemps tergiversé sur l’avenir de sa présence militaire au Tchad, avait proposé à N’Djamena d’augmenter le nombre de soldats français dans le pays. Avant d’opter pour un maintien des effectifs en l’état. Quelques heures après avoir reçu le ministre français des affaires étrangères, Jean–Noël Barrot, le président tchadien a finalement annoncé, le 28 novembre, la fin des accords de défense négociés avec la France en 2019. Cette décision suscite des
tensions au sein de l’establishment militaire tchadien, préoccupé par le risque de déstabilisation par le Nord en provenance de la Libye. Ce revirement pourrait par ailleurs profiter à l’offre que les émissaires russes souhaitent soumettre à Mahamat Idriss Déby à Bangui.
Constitution d’une force mixte
Sur le volet bilatéral, la rencontre entre Mahamat Idriss Déby et Faustin–Archange Touadéra doit permettre la poursuite d’une décrispation entre les deux pays. La mise en place de mécanismes de coopération en vue de réduire les soupçons de déstabilisation à travers des
groupes armés est ainsi à l’agenda. Après avoir rouvert en mai le point de passage de Sido (préfecture d’Ouham), fermé depuis une décennie, les deux présidents s’accordent sur la constitution d’une force mixte pour sécuriser la frontière commune. Celle–ci sera composée de troupes des deux armées, sous commandement tchadien pour commencer.
Un protocole d’accord avait été signé fin octobre à Bangui lors de la venue du ministre des affaires étrangères, Abderaman Koulamallah. Outre la création d’une commission ad hoc, le document prévoit la signature de textes juridiques clarifiant et encadrant des points sensibles, tels que le droit de poursuite. Faustin–Archange Touadéra y voit un moyen de réduire l’influence des groupes armés sur cette zone difficilement sécurisée par son armée et les paramilitaires de Wagner. Le président tchadien, lui, est particulièrement pressé de voir ce dispositif se concrétiser. Et de dupliquer le modèle de coopération militaire à la frontière avec le Soudan, où une force mixte a été mise en place en 2010 par son défunt père, Idriss Déby Itno.
Les intérêts russes apparaissent, là encore, particulièrement forts. À travers la Centrafrique et le Tchad, Moscou compte étendre son influence sur le Soudan et ainsi disposer d’une véritable plateforme régionale. De son côté, Faustin–Archange Touadéra, qui tente un rapprochement avec le général Abdel Fattah al–Burhan, chef des Sudanese Armed Forces (SAF, AI du 13/11/24), compte mettre en garde le président Déby sur l’impact de sa collaboration avec Hemeti, ancien
allié de N’Djamena qui a longtemps bénéficié de soutiens tchadiens dans la livraison d’équipements militaires. Dans le nord–est de la Centrafrique, autour de Birao (Vakaga), les paramilitaires russes renforcent actuellement leur dispositif de manière significative.
Nébuleuse politico–militaire
Ces dernières semaines, Hemeti a mis à disposition de groupes rebelles centrafricains des centaines de pickups sur un lot de 1 000 véhicules promis. Parmi les bénéficiaires se trouve la Coalition militaire de salut du peuple et de redressement (CMSPR). Ce mouvement politico–militaire récemment créé est dirigé par Armel Sayo, un ancien colonel des Forces armées centrafricaines (FACA), qui a également été rebelle, puis ministre sous la présidence de Catherine Samba–Panza. Après avoir vainement tenté d’obtenir du président Touadéra des fonds et une fonction officielle, comme celle d’envoyé spécial en Arabie saoudite, il envisage désormais de le renverser.
Le chef de l’État centrafricain a ramené dans son giron plusieurs caciques des rébellions par la négociation plutôt que par la force. Il négocie toutefois avec le général soudanais Abdel Fattah al–Burhan afin d’obtenir l’arrestation et la livraison à Bangui du rebelle Noureddine Adam. Celui–ci, visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), bénéficie d’une forme de bienveillance de la part du
président du Conseil de souveraineté de transition du Soudan. Noureddine Adam, qui exerce toujours une influence sur d’autres chefs de groupes armés tels qu’Ali Darass, semble cependant utilisé par le général Burhan pour la fourniture de combattants.
Autrefois figure active de cette nébuleuse politico- militaire, Mahamat Al–Khatim reste incarcéré dans les geôles tchadiennes, et espère que son cas sera abordé lors de l’entretien entre Mahamat Idriss Déby et Faustin–Archange Touadéra. Sauf que N’Djamena ne compte aucunement le libérer pour l’instant. Et pour le pouvoir de Bangui, ce rebelle à l’influence aussi déclinante que sa capacité d’action militaire n’est plus ni considéré, ni craint.
Jean Moliere .Source AI
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