En Côte d’Ivoire, l’ancien président est déterminé à se présenter à la présidentielle d’octobre, malgré son inéligibilité, engageant ainsi un dernier bras de fer avec son successeur et grand rival depuis plus de trente ans.
Ce 27 juillet 2021, les Ivoiriens assistent à des retrouvailles qu’ils pensaient impossibles. Sur le perron du Palais présidentiel, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, qui ne s’étaient pas revus depuis dix ans, donnent une conférence de presse commune après un entretien privé d’une trentaine de minutes.
Les deux grands rivaux de la politique ivoirienne se tutoient, une familiarité qu’ils ont conservée de décennies à se côtoyer, mais aussi à se combattre. << Laurent est mon jeune frère. Les gens ne savent pas que nous sommes des amis depuis des décennies. Bien sûr, il y a eu des crises qui ont créé des divergences, mais tout cela est derrière nous »>, assure le chef de l’État, réélu un an plus tôt à un troisième mandat au terme d’un scrutin boycotté par l’opposition et marqué par des violences.
La colère de Gbagbo
À ses côtés, Laurent Gbagbo, qui vient de rentrer à Abidjan après son procès à La Haye devant la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité, au terme duquel il a été acquitté, renchérit : «Nous avons parlé fraternellement, amicalement et j’en suis très heureux. Je suis fier de cela». Et pourquoi ne pas se rencontrer à un rythme régulier? suggère–t–il.
Près de quatre ans plus tard, les deux hommes ne se sont revus qu’à deux reprises, en 2022 et 2023. La mise en scène au Palais n’aura pas masqué très longtemps les rancœurs, ni dissipé les haines tenaces. L’illusion de la réconciliation aura été de courte durée.
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Laurent Gbagbo, 80 ans ce mois–ci, a depuis engagé un bras de fer avec les autorités pour obtenir sa réinscription sur la liste électorale et ainsi pouvoir se présenter à la présidentielle d’octobre prochain. Son parti a annoncé son retrait de la Commission électorale indépendante (CEI) et une réflexion sur des «<actions >> à venir.
Condamné en 2018 par la justice ivoirienne dans une affaire liée à la crise post–électorale 2010-2011, l’ancien président a été gracié en 2022 par le président Ouattara, mais non amnistié, ce qui lui aurait permis de se représenter.
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Une décision qui a provoqué l’ire de Gbagbo. Dans cette affaire, certains de ses co–accusés comme Justin Koné
Katinan ont bien, eux, bénéficié d’une amnistie, alors pourquoi pas lui? << Pour le parti au pouvoir, Laurent Gbagbo fait preuve d’entêtement politique, mais pour les pro–Gbagbo, il est victime d’un harcèlement judiciaire et revendique, comme Ouattara dans le passé, sa
réhabilitation pour ses droits civils et politiques. Pour eux, c’est une injustice intolérable», analyse l’historien ivoirien Laurent Assouanga.
Dîners entre alliés
Il est loin le temps où leurs femmes Simone Ehivet
Gbagbo et Dominique Ouattara partageaient des dîners et de longues conversations dans la résidence des Ouattara à Mougins, dans le sud de la France, quand leurs époux étaient alliés au sein du Front républicain.
Dans ce milieu des années 1990 qui a vu la disparation du père de l’indépendance, Félix Houphouët–Boigny, et le début des hostilités pour son héritage politique, les deux hommes que tout oppose ont mis de côté leurs divergences pour affronter l’ennemi commun: Henri Konan Bédié (décédé en août 2023), deuxième personnage de l’État et successeur constitutionnel.
Laurent Gbagbo, à la tête de son Front populaire ivoirien (FPI), décide de soutenir Alassane Ouattara, Premier ministre exclu du jeu politique, écarté de la présidentielle
de 1995 à la suite de l’adoption par Bédié d’un nouveau code électoral restreignant le droit d’élection aux citoyens nés de parents ivoiriens – un soutien que ne manque
jamais de rappeler, 30 ans plus tard, Laurent Gbagbo. Leurs partis (le FPI et le Rassemblement des républicains, RDR) multiplient conjointement les défilés et les réunions de protestation et boycottent le scrutin
présidentiel. Ensemble, ils applaudissent le putsch de 1999 qui voit l’effondrement du régime de Bédié et portera le général Robert Gueï à la tête de la junte.
« J’ai compris ce jour–là que je serai président… »
Mais l’alliance de l’homme de l’Ouest et de celui du Nord, du chrétien et du musulman, du socialiste et du libéral, de l’historien et de l’économiste, ne résiste pas à la disparition politique de l’ennemi commun. «Chaque pôle de cette alliance avait une revendication principale et différente. Alassane Ouattara luttait pour sa réhabilitation politique, la reconnaissance de sa nationalité, pour son droit d’illégitimité. Laurent Gbagbo, lui, n’avait pas ces problèmes, mais un unique but, combattre le système politique mis en place par le PDCI », explique Laurent Assouanga.
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Il faut, en réalité, remonter à 1992 pour découvrir les prémices de l’affrontement entre les deux hommes. En février de cette année, Laurent Gbagbo, qui osa affronter Félix Houphouët–Boigny dans les urnes dès 1990 lors de la première élection multipartite, est arrêté lors d’une manifestation pacifique, en vertu d’une nouvelle loi <<< anticasseurs » élaborée par le gouvernement Ouattara, Premier ministre depuis 1990. Pendant six mois, l’opposant est emprisonné, frappé, humilié.
L’ancienne première dame Simone Ehivet Gbagbo (divorcée depuis de Laurent Gbagbo), elle aussi placée en détention, s’ouvrira sur les mauvais traitements subis et
conservera, dès lors, une animosité contre celui qui deviendra l’allié, puis le grand rival de son mari d’alors.
Dans un documentaire intitulé «Laurent Gbagbo, la force d’un destin, 1945-2000 », l’ancien président dira de cet épisode : «J’étais convaincu que c’était le prix à payer pour que nous ayons la démocratie et le pouvoir. J’ai compris ce jour–là que je serai président de la République et que plus rien ne pouvait m’arrêter >>.
<< Mythe de l’invincibilité »
Les élections de 2000, dont sont exclus Ouattara et Bédié,
sont remportées de haute lutte par Laurent Gbagbo dans des conditions qu’il qualifiera lui–même de << calamiteuses ». L’opposant nourri au socialisme agite à son tour des concepts xénophobes pour discrétiser son ancien allié et s’attirer les faveurs des partisans de l’ancien parti unique. Cinglant, Alassane Ouattara dira de lui qu’il a été un «<accident de l’histoire »>, quand ce dernier accusera le premier d’avoir «< amené la guerre civile » en Côte d’Ivoire.
En septembre 2002, des rebelles venus du nord de la Côte d’Ivoire échouent à le faire tomber. Le pays est coupé en deux. Les haines s’exacerbent. «<Aucun pouvoir ne mérite une guerre civile », dira alors Laurent Gbagbo qui pourtant s’accroche coûte que coûte.
Malgré la fin de son mandat en 2005, il restera au pouvoir et parviendra à faire reporter six fois l’élection présidentielle, jusqu’en 2010. « Qu’est–ce qui a amené les problèmes en 2010? En 2010 […] les gens ne voulaient pas respecter la loi. En 2010, le Conseil constitutionnel a proclamé Laurent Gbagbo élu. Mais non, ça ne convenait pas à certains ici et à certains dehors >>, s’interroge en privé l’ancien président qui sera arrêté le 11 avril 2011 avec son épouse et une quarantaine de proches par les forces fidèles à Alassane Ouattara.
Un épisode qui marquera la fin de <«< la bataille d’Abidjan », avec comme arbitre la communauté internationale, la France en tête. Au terme de plusieurs mois de crise post–électorale, Alassane Ouattara, qui s’est allié à Henri Konan Bédié, sera porté au pouvoir qu’il ne
quittera plus – le chef de l’État n’a pas annoncé s’il comptait se représenter à un quatrième mandat en octobre prochain.
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<< C’est pendant que Gbagbo se trouvait à La Haye que la Côte d’Ivoire a pu se redresser, se construire, glaner des lauriers dans presque tous les domaines, gagner deux fois la Coupe d’Afrique des nations et reprendre sa place de leader en Afrique de l’Ouest. C’était trop beau de croire que revenu au pays, Laurent Gbagbo allait le laisser continuer tranquillement sur sa lancée»>, estime l’éditorialiste ivoirien renommé, proche du parti présidentiel, Venance Konan.
<<Entre Bédié, Gbagbo et Ouattara, il n’a jamais été question d’une bataille à la loyale dans les urnes pour les départir, c’est d’abord et avant tout une guerre de leadership qui a pour dynamique des règlements de comptes, des revanches, des querelles, explique Laurent Assouanga. Quand l’un d’entre eux accède au pouvoir, il va le verrouiller en mettant en place un harcèlement judiciaire ou des modifications constitutionnelles pour empêcher les autres d’avoir droit au chapitre. C’est un duel à mort. C’est que l’on appelle ‘le mythe de l’invincibilité. Il s’agit pour eux de répondre à une question : qui triomphera de l’après–Houphouët?»>
Jean Moliere Source JA

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