L’élection à la présidence de la COP 15 de l‘ancien ministre des Eaux et Forêts avait créé la surprise. Malgré les soupçons qui pèsent sur sa gestion, Alassane Ouattara lui maintient sa confiance. Portrait d‘un « fils de » atyp
Vendredi 6 mai, c‘est la fête de l‘Europe dans les jardins de la résidence de l‘Union européenne (UE), une jolie villa du quartier huppé de Cocody à Abidjan. Les invités, diplomates, politiques, hommes d‘affaires, journalistes, profitent du cadre fort agréable. Un petit four par–ci, une coupe de champagne par–là. Proche de l‘ambassadeur Jobst von Kirchmann, Alain Richard Donwahi ne pouvait manquer l‘événement. Il est à son aise dans ces environnements mondains où son langage châtié, ses goûts raffinés, sa prestance et son humour font des ravages.
Trafic de bois en Côte d‘Ivoire : l‘affaire qui a précipité la chute d‘Alain–Richard Donwahi
Cette année, la fête se déroule dans un contexte un peu particulier. Le 20 avril, il a été remplacé à son poste de ministre des Eaux et Forêts et a été contraint de quitter le gouvernement. Quelques jours plus tard, Jeune Afrique révèlait qu‘un audit de sa gestion était en cours depuis le mois de février et que deux de ses proches collaborateurs étaient visés par une enquête menée par la Cour de cassation, ainsi qu‘un exploitant de bois réputé proche de lui. Celui–ci, poursuivi pour association de malfaiteurs, corruption, extorsion de fonds, déboisement sans autorisation du domaine forestier, blanchiment, enrichissement illicite et harcèlement moral, est à ce jour toujours en détention à la Maison d‘arrêt et de correction d‘Abidjan (Maca).
Dos rond
Alain–Richard Donwahi n‘est pas directement visé par les révélations de JA et pourtant, elles tombent très mal. Pour atténuer sa déception de quitter le gouvernement, Alassane Ouattara a promis de lui confier la présidence de la quinzième Conférence des parties (COP 15) sur la désertification qui doit se tenir du 9 au 20 mai à Abidjan. Un poste honorifique qui fait
figure de lot de consolation.
Problème, sa possible nomination fait grincer quelques dents au sein des Nations unies, et même du gouvernement. Gênées aux entournures, les autorités refusent de confirmer l’information. Donwahi doit faire le dos rond. Ce soir du 6 mai, il ne laisse rien paraître, pose sur un maximum de photos avec cette assurance à toute épreuve qui le caractérise.
Sans doute sait–il qu‘Alassane Ouattara n‘aime pas revenir sur une décision, quitte à en assumer les conséquences. Quand certains de ses collaborateurs tentent de conseiller au président de faire machine arrière, il fait bloc derrière son ancien ministre.
SA NOMINATION À LA COP 15 A TOUT D‘UNE SORTIE EN DOUCEUR
Le 11 mai, Donwahi prend officiellement ses fonctions et reçoit un soutien public d‘ADO. « Le ministre est familier des thématiques majeures de notre convention. Je sais qu‘il saura, par ses compétences et son expérience, conduire les échanges avec succès. Je remercie particulièrement le Premier ministre Patrick Achi de l‘avoir libéré du ministère des Eaux et Forêts à l‘occasion du dernier remaniement dans la perspective d‘occuper cette importante fonction », déclare-t–il. Alain–Richard Donwahi peut souffler.
Sa nomination à la COP 15 a tout d‘une sortie en douceur, même si elle représente un sérieux coup d‘arrêt pour celui dont le nom était jusque là le meilleur des garants. « Avec un tel scandale dans son ministère, il ne pouvait pas rester au gouvernement », explique un cadre du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP).
Grandes familles
Alain–Richard Donwahi est un personnage atypique, aussi charmant et charismatique qu‘il peut être solitaire et ne pas goûter le folklore de la vie politique. Y était–il vraiment destiné ? Certes, il y a été très tôt initié par son père Charles Bauza, membre de l‘aristocratie ivoirienne de la grande époque de Félix Houphouët–Boigny. Ingénieur, Donwahi père fut l‘un des pions de la géopolitique du père de la nation ivoirienne qui le fit président de l‘Assemblée nationale en 1994. Mais avant cela, il avait connu l‘autre face de la gouvernance d‘Houphouët : en 1963, alors qu‘il est ministre de l‘Agriculture, il fait partie des dizaines d‘hommes politiques et d‘intellectuels arrêtés par le Vieux, dans cet épisode aujourd‘hui bien connu des « faux complots« . À la clé, quatre ans d‘emprisonnement avant d‘être finalement gracié.
Alain n‘a qu‘un an au moment des faits, mais l‘épisode marque la famille, notamment sa soeur Illa de deux ans son aînée. À la prison de sûreté de Yamoussoukro, Charles Bauza partage la cellule de Seydou Elimane Diarra. Entre les deux hommes, naîtra une forte amitié. Ils scelleront même un pacte : chacun devra veiller sur la famille de l‘autre. Quand Charles Bauza décède en 1997, Seydou Diarra prend son fils sous son aile. Cet homme respecté et écouté par l‘ensemble de la classe politique sera le parrain et protecteur d‘Alain–Richard Donwahi qui lui doit une bonne partie de son parcours politique
Côte d‘Ivoire : une affaire de familles
À la fin des années 1990, Donwahi se lance dans les affaires. Après des études en France, il a poursuivi son cursus universitaire aux États–Unis. Il y a monté ses premières entreprises, avant de se lancer dans l‘agro–industrie en Côte d‘Ivoire (fruits, hévéa, café et cacao). Nommé Premier ministre en 2003, Seydou Diarra fait appel à lui pour en faire son conseiller spécial. En 2003, il prend la tête du Programme national de désarmement, démobilisation et réinsertion (PNDDR), poste qu‘il occupera jusqu‘à l‘arrivée de Guillaume Soro à la Primature, en 2007, fort d‘un bilan en demi–teinte. « Le PNDDR, c‘était de gros sous mobilisés sans aucun résultat, en dehors des contacts ou des rencontres entre officiers des deux armées », glisse un ancien cadre de la rébellion.
Cela ne lui portera pas préjudice. Au contraire, puisqu’Alain–Richard Donwahi devient conseiller spécial du nouveau Premier ministre mettant à profit les très bonnes relations tissées notamment avec l‘état–major des Forces armées des forces nouvelles (FAFN). Sous les ordres de Paul Koffi Koffi, alors directeur de cabinet adjoint chargé des questions de la sortie de crise, Donwahi sera chargé de superviser l‘élaboration de la liste électorale et des cartes nationales d‘identité.
Un parrain nommé Seydou Diarra
Une fois encore, il va pouvoir compter sur l‘appui de son parrain : lorsqu‘Alassane Ouattara accède enfin à la magistrature suprême en avril 2011, Seydou Diarra demande au nouveau maître des lieux de veiller sur son « fils et protégé ». Ouattara, qui a croisé Donwahi pour la première fois à la fin des années 1990, en fera son conseiller spécial chargé des questions de défense et de sécurité de juillet 2012 à janvier 2016. En parallèle, il officiera en tant que secrétaire exécutif du Conseil national de sécurité (CNS). Il forme avec le préfet Vassiriki Traoré, coordonnateur des Services de renseignements, un duo chargé de la sécurité du pays.
Donwahi pilote l‘ardue réforme du secteur de sécurité après dix ans de crise politico–militaire. Il est également impliqué dans l‘acquisition de matériel militaire. « Au sein du CNS, chargé
d‘assurer une partie des dépenses militaires et sécuritaires, c‘est lui qui transmettait le montant des commissions et mettait la pression aux vendeurs de canons », explique une source proche des services de renseignement français.
Après cette expérience, sa nomination comme ministre de la Défense en janvier 2016 ne fait l‘ombre d‘aucune contestation, d‘autant qu‘il a pour mission de poursuivre la réforme de l‘armée, véritable serpent de mer du premier mandat d‘ADO. Après une visite en Israël mi novembre 2016, Donwahi deviendra assez rapidement l‘un des interlocuteurs privilégiés des intérêts israéliens à Abidjan, où il introduit le courtier en armement Gaby Peretz et se rapproche de la représentante du conglomérat privé Mitrelli, Eva Peled.
LA SITUATION SE TEND BRUSQUEMENT. DES COUPS DE FEU SONT TIRÉS À L‘EXTÉRIEUR DE LA RÉSIDENCE. « NOUS AVONS ÉTÉ TOUT BONNEMENT PRIS EN OTAGE »
Mais l‘expérience de Donwahi à la Défense va tourner court. « Il n‘était pas assez politique. Il n‘est parvenu à se mettre dans la poche nila hiérarchie militaire, ni les hommes des troupes », résume un de ses anciens collaborateurs. Car dans les casernes, la grogne monte. En janvier 2017, des mutineries éclatent. Les armes crépitent à Bouaké, Korhogo, Daloa et Abidjan, au point d‘ébranler le régime d‘Alassane Ouattara.
Le ministre doit monter au front pour mener les négociations avec les mutins, principalement des anciens membres de la rébellion des Forces nouvelles (FN) intégrés dans l‘armée après la crise qui réclament désormais d‘importantes primes. Elles ont pour théâtre le salon de la résidence du sous–préfet de Bouaké, rideaux tirés. Donwahi, le sous–préfet et le maire de la ville, Nicolas Djibo, font face à une dizaine de militaires en colère. À sa gauche, le colonel Issiaka Ouattara, surnommé Wattao. La situation se tend brusquement. Des coups de feu sont tirés à l‘extérieur de la résidence, dont l‘accès est bloqué. « Nous avons été tout bonnement pris en otage. Le ministre a gardé son calme. Il a été mis en lieu sûr dans une autre pièce par sa garde rapprochée pendant trois à quatre heures avant que les négociations ne reprennent et qu‘un accord soit trouvé », raconte l‘un des participants.
Renseignement, écoutes et armement... Comment Israël tisse sa toile en Afrique
Un trou de 5 milliards à la Défense
Alain–Richard Donwahi quittera finalement ce poste quelques mois plus tard après une nouvelle mutinerie. Hamed Bakayoko lui succède en juillet 2017, lance rapidement un audit de la gestion de son prédécesseur et fait fuiter l‘information dans la presse. L‘utilisation du budget du ministère, l‘achat de plusieurs hélicoptères russes d‘occasion en Roumanie et la passation de certains marchés à des sociétés détenues par des personnes proches de la Grande loge de Côte d‘Ivoire (GLCI) ou de son épouse Laure Baflan–Donwahi, furent notamment scrutés par l‘Inspection générale d‘Etat (IGE) qui, selon nos sources, fera état d‘un trou de 5 milliards de francs CFA. Donwahi, qui s‘est toujours défendu de toute irrégularité, ne sera jamais directement mis en cause.
À LIRE
Côte d‘Ivoire : l‘ex–ministre de la Défense Alain Richard Donwahi épinglé pour sa gestion
L‘épisode créera cependant un sérieux froid entre les deux hommes qui se connaissent bien. Entre Donwahi le fils de bonne famille et Bakayoko le gamin d‘Adjamé, il y a un monde. Le premier est un amateur de musique classique, d‘opéra particulièrement, qu‘il écoute dans son bureau. Il aime également le reggae et Cesaria Evora. Plus proche du peuple, le second, décédé en juillet 2021, était un autoditacte, adepte des musiques urbaines.
LE WEEK–END, IL LUI ARRIVE DE CHEVAUCHER SON HARLEY DAVIDSON EN COMPAGNIE DU FILS D‘HENRI KONAN BÉDIÉ, OU DU PATRON D‘ORANGE CÔTE D‘IVOIRE
Mais comme Hamed, Donwahi apprécie les belles choses. Les belles voitures, le bon vin, les bons cigares. Le week–end, il lui arrive de chevaucher son Harley Davidson en compagnie du fils d‘Henri Konan Bédié, Jean–Luc, ou du patron d‘Orange Côte d‘Ivoire, Mamadou Bamba.
Hamed Bakayoko et Alain–Richard Donwahi avaient un autre point commun, leur appartenance à la franc–maçonnerie. Proche de Clotaire Magloire Coffie, le fondateur de la Grande loge de Côte d‘Ivoire (GLCI), Donwahi est depuis longtemps très impliqué dans la vie de la loge dont il a été récemment fait député Grand maître, autrement dit numéro deux. Sa superbe résidence familiale en bord de lagune accueille souvent des activités maçonniques. Il dirige également la loge des princes d‘Assinie, à laquelle il a, selon nos informations, initié l‘ambassadeur de l‘Union européenne (UE).
À LIRE
Franc–maçonnerie en Côte d‘Ivoire : au coeur du réseau de Sylvère Koyo, Grand maître de la GLCI
La Grande loge
Régulièrement présent lors des réunions à l’international, Alain–Richard Donwahi y a construit un solide réseau qu‘il a notamment mis à contribution pour favoriser l‘élection
d‘Hamed Bakayoko comme Grand maître. La GLCI fait toujours corps pour défendre l‘un de ses frères. Alors quand la gestion de Donwahi est épinglée dans la presse, ils sont nombreux à s‘en émouvoir auprès d‘Hamed. Une médiation sera nécessaire pour régler le différend.
« Donwahi possède une grande intelligence situationnelle. Il est conscient qu‘en politique, on ne maîtrise pas tout et qu‘il faut s‘adapter. Quand il est arrivé aux Eaux et Forêts, on disait de lui qu‘il était fini. Or, en cinq ans, il a réussi à faire augmenter le budget du ministère et en faire un maroquin envié », estime un de ses proches.
Lorsqu‘il prend ses fonctions, le ministère de la Défense est sclérosé, miné par la corruption. Les agents sont en grève. Donwahi comprend rapidement que l‘administration est contre lui et que le directeur général de la Sodefor, la société d‘État chargée de la gestion des forêts, lorgne sur son poste. Tout est donc fait pour lui mettre des bâtons dans les roues. Peu à peu, le ministre reprend la main, avec le soutien du chef de l‘État qui lui octroie une importante rallonge budgétaire.
En Côte d‘Ivoire, le mystérieux temple des francs–maçons
Que retenir de son action pendant cinq ans ? Les soupçons de mauvaise gouvernance ou un volontarisme inédit sur des questions jusque–là rarement mises en avant ?
Une mesure résume bien l‘ambivalence de son bilan : la création de la Brigade spéciale de surveillance et d‘intervention (BSSI), en janvier 2018. Forte de ses 600 éléments, l‘unité fut présentée comme le dernier outil de la lutte contre les coupes de bois et l‘orpaillage illégaux. Depuis sa mise en place en août 2020, elle multiplie les opérations à grands renforts de
communication. Mais la réalité du terrain est tout autre. De nombreux acteurs locaux mettent en doute son efficacité. Pire, elle aurait servi de bras armé à un vaste système de racket des industriels du bois, principalement libanais, dirigé par un homme, Ibrahim Lakiss, dont la proximité avec le ministre ne fait l‘ombre d‘un doute.
TOUT EST FAIT POUR LUI METTRE DES BÂTONS DANS LES ROUES
L‘audit diligenté par l‘IGE et l‘instruction devant la Cour de cassation permettront–ils d‘établir le degré d‘implication de l‘ancien ministre dans ces agissements ? Selon nos informations, les deux enquêtes ont été mises entre parenthèse. « Sa responsabilité est évidente mais sera difficile à prouver. Lors des interrogatoires, il a été préservé par les membres de son cabinet », estime une source proche de l‘enquête.
Et puis Donwahi est un poids lourd de la vie politique ivoirienne dont Alassane Ouattara peut difficilement se passer. Président du conseil régional de la Nawa, une région du sud–ouest de la Côte d‘Ivoire première productrice de cacao, il fut l‘un des derniers cadres du Parti démocratique de Côte d‘Ivoire (PDCI) à rejoindre le RHDP. Il a conservé de très bonnes relations au PDCI, notamment avec l‘ancien président Henri Konan Bédié qu‘il continue à voir.
COP 15
Contacté par Jeune Afrique, l‘ancien ministre n‘a pas donné suite à nos sollicitations. Il travaille actuellement à peaufiner la stratégie de son mandat de président de la COP 15, qui court pour les deux prochaines années. Il a gardé une partie de son équipe des Eaux et Forêts, notamment son directeur de cabinet, et a été contraint de céder ses bureaux à la tour administrative du Plateau.
Poste opérationnel sans véritable budget, la présidence de la COP 15 est avant tout chargée de suivre la mise en oeuvre des décisions prises lors des travaux à Abidjan. Selon nos sources, Donwahi souhaite surtout récupérer la gestion de l‘ambitieuse « Initiative d‘Abidjan », qui vise à donner un second souffle aux sols ivoiriens et à l‘économie nationale, basée sur l‘agriculture, et pour laquelle les autorités ivoiriennes sont parvenues à récolter 2,5 milliards de dollars (sur dix ans). L‘initiative est pour le moment pilotée par le président du comité d‘organisation de la COP, Abou Bamba. Mais Alassane Ouattara pourrait décider de la confier à Donwahi. À moins qu‘il ne préfère qu‘elle soit directement supervisée par son Premier ministre Patrick Achi
JA