Hissène Habré est décédé, mardi, 24 août, à l’âge de 79 ans, au Sénégal. Poursuivi et condamné à la prison à perpétuité pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de torture, il était emprisonné à Dakar. Le président sénégalais, Macky Sall, peut pousser un ouf de soulagement, non parce qu’il serait content de la mort de cet homme, mais, parce que les pressions venant de l’épouse de Habré d’un côté et des victimes de sa dictature de l’autre, devenaient intenables. Il était impossible pour le président sénégalais de garder sa neutralité dans ce dossier sans qu’il ne soit suspecté de favoritisme par un camp. Cela dit, les plus gros perdants sont les victimes qui attendaient un dédommagement suite au préjudice subi. Non seulement, elles n’ont rien obtenu depuis la condamnation d’Hissène Habré (qui s’était déclaré en faillite personnelle), mais, il est très probable qu’elles n’obtiendront plus rien, la mort du bourreau provoquant, pour certains, l’extinction de son dossier judiciaire.
L’ancien président tchadien avait été condamné à la prison à perpétuité pour des crimes commis alors qu’il était à la tête de l’État, entre 1982 et 1990.
L’information de son décès a été confirmée par le ministre sénégalais de la Justice, Malick Sall. « Habré a été remis entre les mains de son Seigneur », a déclaré le ministre sur la chaîne TFM. Les médias sénégalais ont rapporté qu’il avait succombé au Covid-19, un décès que son épouse voulait éviter quand elle avait alerté la presse dont Afrique Education, il y a quelques semaines.
Etudiant en droit à Paris
« Combattant du désert », « homme des maquis », « chef de guerre » : les qualificatifs abondent pour exalter les qualités militaires de Hissène Habré du temps de sa superbe. François Mitterrand le prit en estime quand il infligea plusieurs défaites militaires à la redoutable et très équipée armée du colonel Kadhafi (qui n’avait pas encore revêtu son manteau de panafricaniste).
Son parcours dans les années 1970 et 1980 s’inscrit dans l’histoire agitée du Tchad indépendant dont il a été le troisième président.
Né en 1942 à Faya-Largeau, dans le Nord du pays, il grandit dans le désert du Djourab, au milieu de bergers nomades. Intelligent, il est remarqué par ses maîtres.
Devenu sous-préfet, il part étudier en France en 1963, à l’Institut des hautes études d’Outre-mer. Il étudie ensuite le droit à Paris, y fréquente l’Institut d’études politiques et fait son éducation politique en dévorant Frantz Fanon, Ernesto « Che » Guevara, Raymond Aron.
De retour au Tchad en 1971, il rejoint le Front de libération nationale du Tchad (FROLINAT) dont il prend la tête, avant de fonder, avec un autre nordiste, Goukouni Weddeye, le conseil des Forces armées du Nord (FAN).
A partir de 1974, il se fait connaître à l’étranger en retenant en otage – durant trois ans – l’ethnologue française, Françoise Claustre, obligeant la France à négocier avec la rébellion.
Il sera ensuite premier ministre du président, Félix Malloum, avec qui il rompra, puis, ministre de la Défense de Goukouni Weddeye, président du gouvernement d’union nationale créé en 1979.
Soutenu par Paris et Washington face à Kadhafi
Nationaliste convaincu et farouchement opposé au dirigeant libyen de l’époque, Mouammar Kadhafi, qui a les sympathies de Weddeye, il rompt peu après avec son ancien allié, déclenchant une guerre civile à N’Djamena, qu’il doit évacuer fin 1980.
A partir de l’Est du Tchad, où il a repris le maquis, il combat Goukouni Weddeye soutenu par Tripoli, pour rentrer victorieusement à N’Djamena en 1982.
Son régime, soutenu face à Kadhafi par la France et les Etats-Unis, durera huit ans.
Cette période est marquée par une terrible répression : les opposants – réels ou supposés – sont arrêtés par la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS, police politique), torturés, souvent exécutés.
Une commission d’enquête estimera à plus de 40 000 le nombre de personnes mortes en détention ou exécutées sous son règne, dont 4 000 identifiées nommément.
En décembre 1990, Habré quitte précipitamment N’Djamena, fuyant l’attaque éclair des rebelles d’Idriss Déby Itno, un de ses généraux qui a fait défection 18 mois plus tôt et a envahi le pays depuis le Soudan. Le président Déby, tué en avril 2021, par des rebelles venus de Libye, dirigera le Tchad d’une main de fer pendant 30 ans.
Chassé du pouvoir, Habré trouve refuge à Dakar pour un exil qui sera paisible pendant plus de vingt ans.
Au Sénégal, il troque treillis et casquette kaki pour un grand boubou et un calot blanc. Musulman pratiquant, il se fait apprécier de ses voisins, avec lesquels il prie lors des fêtes religieuses, se montre aussi discret que généreux, participant à la construction de mosquées ou au financement du club de foot…
Un tribunal spécial pour le juger
En 2011, quand le président sénégalais, Abdoulaye Wade, sous pression, crée la surprise en voulant l’expulser, des habitants du quartier de Ouakam manifestent leur soutien à Hissène Habré, soulignant qu’il a une femme et des enfants sénégalais.
Il est finalement arrêté le 30 juin 2013 à Dakar puis inculpé par un tribunal spécial créé en vertu d’un accord entre l’Union africaine et le Sénégal.
Son procès, le premier au monde dans lequel un ancien chef d’Etat est traduit devant une juridiction d’un autre pays pour violations présumées des droits de l’Homme, s’ouvre le 20 juillet 2015.
Le 30 mai 2016, il est condamné à la prison à perpétuité pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité, tortures et viols.