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Retour de Gbagbo en Côte d’Ivoire : on attendait Laurent, on a eu Simone

Tant attendu par ses partisans, et craint par une partie de ses adversaires, le retour de Laurent Gbagbo à Abidjan naura finalement pas eu la portée politique annoncée. Dans le théâtre dombres quest la Côte d‘Ivoire aujourdhui, Simone Gbagbo pourrait en revanche être appelée à jouer un rôle majeur

Laurent Gbagbo est donc rentré au bercail après dix ans dexil. Accueil triomphal dès le salon d’honneur de laéroport, foule de partisans en liesse sur la route dAbidjan, quelques mots pour exprimer sa joie de retrouver enfin la terre dÉburnie, mais pas un seul pour remercier Alassane Ouattara, ni pour appeler à la réconciliation ou expliquer son projet politique. La séquence, hautement symbolique, se prêtait pourtant à un signal fort, un message clair, une ligne directrice, un cap, bref de quoi se projeter sur lavenir. Mais il nen a rien é

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Demande de divorce Premier « acte » posé : une demande de divorce davec Simone Ehivet Gbagbo, qui a écrit lhistoire du Front populaire ivoirien (FPI) avec lui. Après avoir loué publiquement les mérites de sa « petite femme », Nady Bamba, à ses côtés en permanence pendant son incarcération. Simone aurait été bien en peine den faire autant : elle même était incarcérée en Côte dIvoire

Ensuite un petit tour dans son village de Mama, puis un crochet par Kinshasa, à linvitation de son ex codétenu de Scheveningen JeanPierre Bemba, avant de prendre la direction de Daoukro, le 10 juillet, pour sceller son alliance, incongrue sur le fond, avec Henri Konan Bédié. Heureusement, la rencontre avec lactuel chef de lÉtat, qui s‘est tenue le 27 juillet, est arrivée à point nommé pour donner un peu plus de consistance à ce retour tant attendu et délivrer un message d’apaisement. Pas de quoi se lever la nuit toutefois, ni même regretter labsence de Gbagbo du débat politique ivoirien depuis une décennie

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Pendant ce temps, Simone, elle, a mis en ligne une vidéo sur les réseaux sociaux. Le message envoyé aux militants du FPI, comme aux autres 

Ivoiriens, est aux antipodes. Plus intéressant, disons. Chaque mot est pe. Elle dit tout ce que son futur ex mari a omis de dire. Évidemment, pour qui connaît sa ferveur religieuse, elle loue le Seigneur davoir ramené lancien président parmi les siens. Elle remercie les Ivoiriens pour laccueil quils lui ont réservé, ainsi que le président Alassane Ouattara pour avoir permis ce retour tant attendu, l’exhortant à poursuivre sur la voie de la réconciliation et de lapaisement

EN QUELQUE SIX MINUTES, ELLE A FAIT PLUS ET MIEUX QUE CELUI DONT CERTAINS ATTENDAIENT 

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Surtout, elle appelle ses concitoyens à dépasser leurs clivages pour soutenir le rêve « d’une nation véritablement réconciliée, développée, modernisée », loin des « ethnies, des religions ou des obédiences politiques ». Elle veut que les Ivoiriens ne laissent «aucune place à lamertume, à la rancune, à la douleur, à la déception et à la colère »

« Il faut garder le cap, les yeux fixés sur la vision. Tout va bien », conclut elle, sans évoquer une seule fois les avanies quelle doit subir, la demande publique de divorce comme la remise en question de son statut de première viceprésidente du FPI, le parti quelle a cofondé avec Laurent il y a près de quarante ans et auquel elle a consacré toute sa vie. En quelque six minutes, elle a fait plus et mieux que celui dont certains attendaient tant. Quon laime ou quon la déteste, et Dieu sait quil y a beaucoup à lui reprocher, difficile de ne pas éprouver un respect certain pour son parcours et sa persévérance

Lourd tribut De toutes les « femmes de », Simone est la plus politique, la seule qui aurait fait carrière dans cette arène impitoyable, avec ou sans son époux. Elle est aussi, parmi tous les acteurs politiques, celle qui a payé le tribut le plus lourd pour son engagement. Arrêtée et tabassée en 1992, elle sera maltraitée en prison mais restera toujours discrète sur les sévices quelle a subis. Autre drame, cette fois en 1996, quand, avec son époux, elle est victime dun accident de voiture qui a failli lui coûter la vie. Elle en sortira plus forte, convaincue quon a voulu les assassiner

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Rarement parcours aura été aussi contrasté que le sien. Autant lexercice du pouvoir par lépouse de Laurent Gbagbo fut calamiteux et, en définitive, fatal, y compris pour lhomme de sa vie, autant les cinquante et une premières années de son existence ne peuvent que susciter lestime. Car il y a du Winnie Mandela dans litinéraire passionnément militant de cette fille de gendarme, née un jour de juin 1949 non loin de GrandBassam

SIMONE NA QUE 17 ANS LORSQU’ELLE MÈNE SA PREMIÈRE GRÈVE 

Très tôt politisée, au sein de la Jeunesse estudiantine catholique, puis dans le cadre des mouvements en faveur de l« ivoirisation » des programmes d‘enseignement, Simone, alors élève au lycée classique dAbidjan, na que 17 ans lorsquelle mène sa première grève et est interpellée pour la première fois. Elle ne sarrêtera plus

Étudiante en lettres modernes, elle est recrutée en 1972 par lenseignant marxiste Zadi Zaourou au sein de la cellule Lumumba, un groupe détudes révolutionnaires clandestin. Simone Ehivet fait la connaissance, chez Zaourou, dun certain Laurent Gbagbo. De quatre ans son aîné, ce fils d‘un ancien sergent de larmée française, professeur dhistoire révoqué du lycée classique dAbidjan pour « convictions communistes », sort tout juste d‘une longue période dinternement dans les camps militaires de Séguéla et de Bouaké, où Félix HouphouëtBoigny expédiait les récalcitrants

Ardoise sur la poitrine 

Au début de 1982, le noyau de ce qui allait constituer le FPI est formé: outre Gbagbo, y figurent notamment Aboudramane Sangaré, Émile Boga Doudou, Assoa Adou, Pascal Kokora, Pierre Kipré, et bien sûr Simone Ehivet, omniprésente. La même année, Laurent Gbagbo, poursuivi par la police dHouphouët, quitte clandestinement la Côte dIvoire pour la France. Son exil durera près de six ans, jusquen septembre 1988

Simone, qui a tenu la baraque pendant son absence, est partie prenante du congrès constitutif du FPI, qui se tient en novembre dans la discrète villa dun sympathisant, au coeur de la palmeraie de Dabou. Jusquà linstauration du multipartisme, en avril 1990, tous deux sont régulièrement arrêtés par la Direction de la surveillance du territoire (DST). Une décennie plus tard, parvenue au sommet du pouvoir, Simone fera encadrer leurs photos didentité judiciaire respectives, avec ardoise sur la poitrine, puis les apposera audessus du lit de leur chambre de la résidence présidentielle de Cocody. Histoire, dit-elle, de ne «jamais oublier dnous venons »

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Dans le théâtre dombres quest la Côte dIvoire aujourdhui, ceux qui se détestaient hier, Gbagbo et Bédié, sallient contre leur ancien partenaire, Alassane Ouattara, les ego et les ambitions personnelles des politiques lemportent le plus souvent sur lintérêt général, sans doute Simone Gbagbo atelle un rôle à jouer. Plus responsable que Laurent, plus rassembleuse aussi, elle mérite en tout cas dêtre écoutée. Son proverbe fétiche, tout droit sorti de la culture des Abourés, son ethnie d’origine ? « Ce que dit ma bouche, mon bras le fait toujours. » Qui peut en dire autant

JA

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