Depuis leur première poignée de main dans les salons du palais présidentiel en 2000, l’ancienne première dame et l’ex–ministre sont des alliés revendiqués. Mais le duo politique, sur lequel plane l’ombre de Laurent Gbagbo, saura–t–il manœuvrer pour rester uni d’ici au scrutin de 2025 ?
C’est dans son fief de Moossou, le 30 novembre dernier, que Simone Ehivet Gbagbo a été désignée candidate du Mouvement des générations capables (MGC) à la présidentielle de 2025. Des milliers de sympathisants s’étaient rassemblés sous les grandes tonnelles blanches dressées sur l’esplanade du village. Dans l’assistance, un visage familier: Charles Blé Goudé. Comme à chacun des meetings de l’ancienne première dame. Une proximité de plus en plus affichée, mais qui risque de se heurter à leurs ambitions personnelles.
Simone Ehivet Gbagbo refuse d’aborder la question d’une candidature unique de l’opposition et dit mener pour l’instant une seule bataille, celle de la réforme de la
Commission électorale indépendante (CEI). De son côté, tout en confirmant son «<envie d’être candidat » et ce, même s’il demeure inéligible, Charles Blé Goudé se dit quant à lui ouvert à toutes les possibilités. <«< Aucune aspiration politique ne peut affaiblir ma relation avec Maman Simone», dit–il à Jeune Afrique.
<<< C’était notre Margaret Thatcher», se remémore Charles
Blé Goudé. En 1990, lui est élève en classe de première au lycée classique d’Abidjan et elle, candidate aux élections législatives et municipales dans la commune d’Abobo. <<< Elle n’était pas dans le « sois belle et tais–toi« , mais elle se battait »>, se souvient–il avec admiration.
Des retrouvailles au sommet de l’État
Leur première vraie rencontre a lieu en 2000, après l’élection de Laurent Gbagbo à la tête du pays. Leader de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire
(Fesci), aujourd’hui dissoute, il obtient une audience avec la nouvelle première dame. Tous deux, assurent–ils, partagent la même vision de la Côte d’Ivoire. Leur lien se consolide, notamment après le retour de Charles Blé Goudé du Royaume–Uni en 2002, en pleine crise, et la création du mouvement des Jeunes patriotes. Face aux << jalousies >> et aux «< tentatives de déstabilisation >> de certains barons au sein même du Front populaire ivoirien (FPI), créé par le couple Gbagbo, Simone prend
systématiquement sa défense.
Charles Blé Goudé soigne son image en Europe Mobiliser le financement mixte pour développer des logements abordables
en Afrique
Mais c’est la détention de Blé Goudé à La Haye, où il a été transféré en 2014, qui marque un tournant. Alors que beaucoup d’anciens compagnons de route, y compris des ministres, l’abandonnent, Simone Ehivet Gbagbo maintient le contact. Elle l’appelle régulièrement pour prendre de ses nouvelles, particulièrement après le départ de son codétenu Laurent Gbagbo, quand la solitude se fait pesante. Elle est aussi l’une des rares à réclamer publiquement qu’on lui accorde un passeport pour
rentrer au pays.
Alors, le 26 novembre 2022, jour de son retour en Côte d’Ivoire, elle fut là pour l’accueillir à l’aéroport. Depuis, leurs rencontres suivent le même rituel. Les entretiens
commencent toujours en tête–à–tête, avant de s’élargir à leurs équipes respectives. Blé Goudé est également présent aux évènements privés, comme le 20 juin dernier
lors des 74 ans de Simone ou lorsqu’elle a organisé une petite fête pour la validation de son MBA en gouvernance et relations internationales, obtenu en Tunisie.
Séparations avec Laurent Gbagbo
Un lien personnel et politique donc, qui s’est renforcé indépendamment de Laurent Gbagbo, affirme un proche du président du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep). L’ancien chef de l’État << n’a
joué aucun rôle »>, poursuit la même source, arguant que cette relation s’est particulièrement affirmée après leur séparation respective avec l’ancien président – Simone a officiellement divorcé d’avec ce dernier, qui s’est remarié en août dernier avec sa compagne de longue date, Hadia Nadiany Bamba.
Les premières divergences entre Charles Blé Goudé et Laurent Gbagbo remontent à l’époque du Congrès national de la résistance pour la démocratie (CNRD), créé en 2006 à Abidjan. Face aux réticences de ce dernier pour nommer Simone secrétaire générale de cette fédération de partis et d’organisations de la société civile, engagés << dans la lutte de résistance pour la libération nationale»>, Blé Goudé avait pris fermement position, révèle un témoin de l’époque.
Koné Katinan à Blé Goudé : «< Ton erreur, c’est que tu veux avoir raison face à Gbagbo ! >>
Depuis leurs retours respectifs en Côte d’Ivoire, Blé Goudé n’a toujours pas revu son ancien << père politique >>. Les deux hommes n’ont plus de contact. Lors de la deuxième édition de la Fête de la renaissance, à Agboville en avril 2024, Laurent Gbagbo a ouvertement critiqué son ancien ministre de la Jeunesse devant des milliers de militants. Des attaques qui ont suscité une polémique et l’incompréhension de plusieurs observateurs. Un proche de l’ancien général de la rue parle de << gâchis de tant d’années de sacrifice» pour Blé Goudé.
L’ancien président a également dévoilé ses intentions pour la présidentielle de 2025, bien que lui aussi demeure radié des listes électorales en raison d’une condamnation par la justice ivoirienne dans l’affaire dite du casse de la BCEAO. Il a lancé, tout comme son ex–épouse, un appel à l’opposition. Blé Goudé, lui, précise qu’un éventuel soutien à une candidature de Simone Gbagbo dépendra <<< des idées et programmes partagés ». Son parti tiendra un conseil politique début février 2025, lequel annoncera la date d’une convention pour désigner son candidat.
Jean Moliere / JA