26 avril 2024
Paris - France
SOCIETE

Mory Kanté, le « griot électrique », est mort

Avec « Yéké Yéké », en 1987, l’artiste avait offert à l’Afrique l’un de ses plus grands succès internationaux. Il est décédé vendredi, à l’âge de 70 ans.

Deux mois après le saxophoniste camerounais Manu Dibango, « un autre baobab est tombé », peut-on lire parmi les commentaires qui accompagnent l’annonce de la mort, des suites d’une longue maladie, du chanteur et musicien guinéen Mory Kanté, le vendredi 22 mai, dans un hôpital de Conakry, capitale de la Guinée. Il était âgé de 70 ans. Surnommé « le griot électrique », il a donné à l’Afrique, avec Yéké Yéké, en 1987, l’un de ses plus grands succès internationaux, comme le furent Pata Pata (Miriam Makeba, en 1967), Soul Makossa (Manu Dibango) et A Vava Inouva (Idir) dans les années 1970, Didi (Khaled) et Sodade (Cesaria Evora), deux décennies plus tard.

« J’ai perdu un frère. C’était un musicien exigeant et un compagnon de bonne compagnie, avec un vrai sens de l’humour », déplore le claviériste et compositeur malien Cheick Tidiane Seck, qui joua avec Mory Kanté au sein du Rail Band de Bamako dans les années 1970, puis à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Il l’avait convié à La Nuit du Mali, le 21 septembre 2019, à l’AccorHotels Arena, à Paris. « Mory était un très bon chanteur, un vrai talent », ajoute Christian Mousset, créateur du festival Musiques métisses d’Angoulême, où il l’avait invité à plusieurs reprises. Un talent peut-être un peu occulté par le succès de Yéké Yéké. »

Cette adaptation d’une mélodie mandingue traditionnelle, à l’origine chantée pendant la cueillette du mil, comme le rappelle Frank Tenaille, dans son livre Le Swing du caméléon (Actes Sud, 2000), fera un tabac après avoir été boostée aux boîtes à rythmes et sons électroniques, de même que l’album dont elle est extraite, Akwaba Beach (1987), produit par le Britannique Nick Patrick. Le grand public découvre alors la kora, une harpe-luth à 21 cordes, l’un des instruments-clés des griots d’Afrique de l’Ouest (appelés djélis en pays mandingue), les maîtres de la parole et de la mémoire, caste à laquelle Mory Kanté se rattache.

De Bamako à Paris

Né d’une mère malienne et d’un père guinéen en 1950, à Albadaria (près de Kissidougou, en Guinée), il grandit à partir de ses 7 ans auprès de sa tante, la griotte Maman Ba Kamissoko, à Bamako, capitale du Mali voisin, où il s’initie au chant et au balafon (vibraphone en bois), avant de jouer dans des fêtes familiales et des cérémonies. Le jeune homme entre à l’Institut des arts de Bamako et commence à faire danser dans les bals.

Sa carrière décolle quand il intègre en 1971 le Rail Band de Bamako, l’orchestre qui anime le buffet de la gare

Sa carrière décolle quand il intègre en 1971 le Rail Band de Bamako, l’orchestre qui anime le buffet de la gare, où il va bientôt remplacer au chant la future star malienne Salif Keïta, parti pour Abidjan, épicentre de la vie musicale en Afrique de l’Ouest à l’époque. Mory Kanté s’y rendra lui-même en 1978, après avoir reçu au Nigéria le trophée de la Voix d’or et commencé à apprendre la kora, qui deviendra son instrument de prédilection.

En 1984, il décide de prendre la direction de Paris, où il s’installe comme d’autres artistes de l’Afrique francophone dans cette décennie. Les sons, les voix, les mélodies et les rythmes issus du continent africain y connaissent alors un engouement. Mory Kanté donne son premier concert au palais de la Mutualité avant d’être convié par Jacques Higelin au Palais omnisports de Paris-Bercy. C’est pour le label discographique Barclay qu’il enregistre 10 Cola Nuts en 1986, avant que Yeké Yeké ne fasse de lui une star planétaire, affublée du surnom de « griot électrique » – ou « griot rock ».

Enregistré dans son studio à Conakry, l’album La Guinéenne (2012) avait rompu huit années de silence discographique. Six ans plus tard, Mory Kanté était invité à participer au projet Las Maravillas de Mali, un orchestre réuni autour du directeur musical malien Boncana Maïga pour faire revivre le nom et l’esprit de ce groupe défunt, formé dans les années 1960 à La Havane par des musiciens maliens que le président Modibo Keïta avait envoyé à Cuba pour se perfectionner en musique. Ambassadeur de bonne volonté de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation (FAO), Mory Kanté avait aussi participé, en 1984-1985, à l’opération Tam Tam pour l’Ethiopie, lancée par Manu Dibango, et s’était engagé dans différentes actions de sensibilisation, notamment dans la lutte contre le virus Ebola.

Source : Le Monde.fr

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