Au moins 22 personnes sont mortes, mardi 25 juin, lors d’une manifestation à Nairobi, la capitale kényane, selon un bilan de l’organisme officiel de défense des droits humains, la Kenya National Human Rights Commission (KNHRC). Le pays est secoué depuis plusieurs jours par une vague de protestation en réponse à un projet de budget prévoyant l’instauration de nouvelles taxes. Mardi, alors que le projet était débattu au Parlement, des manifestants ont pénétré dans l’enceinte du bâtiment. Mercredi, le président kényan, William Ruto, a annoncé le retrait du projet à l’origine de la contestation. Franceinfo fait le point sur la situation après ces manifestations meurtrières.
Un projet de nouvelles taxes impopulaires, finalement retiré
Le projet de budget pour l’année 2024-2025 examiné par le Parlement kényan prévoyait l’instauration de nouvelles taxes, dont une TVA de 16% sur le pain et une taxe annuelle de 2,5% sur les véhicules particuliers. Selon le gouvernement, ces taxes sont nécessaires pour redonner une marge de manœuvre au pays, lourdement endetté. Mais, pour les manifestants qui s’opposent à ce projet, elles sont insupportables.
Face à la contestation, le gouvernement kényan a promis, dès le 18 juin, de retirer la plupart des mesures impopulaires. Une réponse insatisfaisante alors que les manifestants demandaient le retrait intégral du texte et que le mouvement s’est transformé en une contestation plus large de la politique du président Ruto. Le 26 juin, ce dernier a finalement annoncé le retrait du texte controversé. Avec ou sans nouvelles taxes, le budget doit être voté d’ici le 30 juin.
Un mouvement lancé sur les réseaux sociaux
Les manifestations, baptisées « Occupy Parliament », ont été lancées sur les réseaux sociaux peu après la présentation du projet de budget au Parlement, le 13 juin. Dans ces manifestations, de nombreux jeunes kényans sont présents pour montrer leur opposition au gouvernement du président William Ruto et dénoncer le coût de la vie, le chômage, ou encore l’inexistence des services publics. « Ruto doit partir », scandent les manifestants, rapporte notamment RFI.
Pour l’heure, le réseau internet n’a pas été coupé au Kenya, mais celui-ci était fortement perturbé mardi, rapporte NetBlocks, un organisme de surveillance du réseau de télécommunications. Les autorités ont affirmé lundi qu’elles ne bloqueraient pas internet.
Au moins 22 morts et des dizaines d’arrestations
« Nous avons suivi ces manifestations » et « enregistré 22 décès », a déclaré, mercredi, la présidente de l’organisme officiel de défense des droits humains KNHRC, affirmant que son organisation, publique mais indépendante du pouvoir, avait « ouvert une enquête ». « Nous n’avons jamais vu ça auparavant. Nous avions vu des violences en 2007 à la suite des élections, mais jamais un tel niveau de violence contre des personnes non armées », a commenté la Kenya Medical Association, principale association professionnelle de médecins. Selon la KNHRC, au moins 31 autres manifestants ont été blessés mardi à Nairobi.
« Malgré l’assurance donnée par le gouvernement que le droit de se rassembler serait protégé et facilité, les manifestations d’aujourd’hui ont dégénéré en violence », déplorent plusieurs ONG dans un communiqué, dont Amnesty Kenya. Ces ONG avancent également avoir relevé 21 « enlèvements » de personnes par des « officiers en uniforme ou en civil » en 24 heures. Au moins 52 personnes ont aussi été arrêtées, selon cette même source.
Après de premiers heurts avec la police mardi à la mi-journée, des manifestants sont entrés dans le Parlement. La police a repris le contrôle des lieux après quelques dizaines de minutes, en faisant usage de balles réelles. Des images de la télévision montraient des salles saccagées, tables renversées, fenêtres brisées et du mobilier fumant jonchant des jardins. Avant la journée de mardi, cette mobilisation avait déjà été marquée par la mort de deux personnes à Nairobi, selon la commission des humains du Kenya et l’autorité indépendante de surveillance de la police qui évoque « supposément un tir de la police », à l’AFP.
L’armée est mobilisée depuis mardi
A la suite des affrontements entre la police et les manifestants mardi, le président kényan a pris la parole et s’est engagé à réprimer fermement la « violence et l’anarchie ». « Nous apporterons une réponse complète, efficace et rapide aux événements de trahison d’aujourd’hui », a déclaré William Ruto, affirmant que les manifestations avaient été « détournées par des personnes dangereuses ».
« Il n’est pas normal, ni même concevable, que des criminels se faisant passer pour des manifestants pacifiques puissent faire régner la terreur contre le peuple, ses représentants élus et les institutions établies par notre Constitution, et s’attendre à ne pas être inquiétés », a ajouté le président.
Le ministre de la Défense Aden Bare a par ailleurs annoncé dans la soirée avoir fait appel à l’armée pour soutenir la police « en réponse à l’urgence sécuritaire » et à ces « destructions et intrusions dans des infrastructures cruciales ».
Les Etats-Unis « surveillent la situation »
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est dit « profondément préoccupé » par les violences et « très attristé » par les morts et les blessés signalés, a déclaré son porte-parole Stéphane Dujarric. Le chef de la Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, a lui exprimé sur X sa « profonde inquiétude » et a appelé le pays à « faire preuve de calme et à s’abstenir de toute nouvelle violence ».
Les Etats-Unis et plus d’une dizaine de pays européens se sont dit « fortement préoccupés » par la situation kényane et ont appelé au calme. Dans un communiqué commun de leurs représentations diplomatiques, le Canada, le Danemark, la Finlande, l’Allemagne, l’Irlande, les Pays-Bas, l’Estonie, la Norvège, la Suède, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Belgique et les Etats-Unis déplorent notamment les morts et blessures par armes à feu. « Les Etats-Unis surveillent de près la situation à Nairobi », a ajouté la Maison Blanche.
Jean Moliere Source: AFP