Depuis qu‘il a pris le pouvoir à Bamako, le colonel malien entretient des rapports
difficiles avec le président. Et l‘interpellation de 49 soldats ivoiriens par le Mali n‘a pas arrangé les choses, bien au contraire.
En ce 7 juin 2021, nul doute que les dirigeants de la Communauté économique des États de l‘Afrique de l‘Ouest (Cedeao) ont les yeux rivés sur Bamako. Sanglé dans son uniforme militaire, le colonel Assimi Goïta, qui, en moins
d‘un an, a successivement renversé Ibrahim Boubacar Keïta et Bah N‘Daw, prête serment.
Ce taciturne commandant des forces spéciales, désormais président, tient à adresser un message à la communauté internationale : « Le Mali honorera l‘ensemble de ses engagements. » Et de promettre l‘organisation d‘élections « aux échéances prévues ».
Mali: face à Assimi Goïta, les leaders politiques perdent patience
Une promesse rapidement balayée : le gouvernement malien veut d‘abord faire face aux défis sécuritaires du pays. La situation n‘a cessé de se dégrader et Bamako entend mettre en place les réformes qu‘il juge « indispensables » avant tout scrutin. Les mois passent et Koulouba ne suggère aucune date concernant de prochaines élections. Une partie des dirigeants de la Cedeao fulmine.
Délégation malienne à Abidjan
Parmi les plus inflexibles, aux côtés du Niger et du Sénégal, la Côte d‘Ivoire. Le président Alassane Ouattara s‘est prononcé, dès que les colonels ont pris le pouvoir, en faveur d‘une ligne ferme à l‘égard de la transition malienne. Alors que se prépare un double sommet extraordinaire de l‘Uemoa et de la Cedeao à Accra le 9 janvier, Assimi Goïta tente de convaincre ses homologues ouest–africains et envoie une délégation à Abidjan le 3 janvier.
Ses ministres des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, et de l‘Administration territoriale, Abdoulaye Maiga, sont chargés d‘exposer à Alassane Ouattara les conclusions des Assises nationales de la refondation qui viennent de se tenir à Bamako.
Ces concertations nationales, que certains soupçonnaient de n‘être qu‘un moyen destiné à faire gagner du temps à Assimi Gosta, consacrent un scénario redouté par la Cedeao : la transition pourra être prolongée jusqu‘à cinq ans, à partir de 2022.
« Malheureux d’avoir à imposer des sanctions »
Pour Alassane Ouattara, inquiet de voir s‘installer durablement des militaires au pouvoir, le chronogramme avancé par les Maliens est inacceptable. Le président oppose un « non » catégorique au plan de sortie de la transition proposé par la délégation malienne, qu‘il considère comme une « plaisanterie ».
Le chef de l‘État met en garde : le Mali s‘expose à de lourdes sanctions sur le plan international, Six jours plus tard, le couperet tombe : la Cedeao place le pays sous embargo économique et financier.
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Il n‘en démordra pas. « Nous avons tout fait pour que les autorités militaires du Mali organisent des élections dans des délais convenables. C‘est à notre corps défendant que nous avons mis ces sanctions en place. Mais il est inacceptable qu‘un régime militaire reste [au pouvoir] durant un quinquennat », tranche le dirigeant ivoirien, en visite à Libreville, au Gabon, quelques jours après l‘annonce des sanctions.
« Naïfs et ignorants »
S‘il confie être « très malheureux d‘avoir à imposer des sanctions » au Mali, Alassane Ouattara incarne, tout au long des négociations, le front le plus sévère à l‘égard de la transition malienne, aux côtés de son homologue nigérien, Mohamed Bazoum.
Mi–février, les relations entre Abidjan et Bamako, déjà passablement tendues, se compliquent un peu plus. Un enregistrement audio devenu viral sur les réseaux sociaux circule de la Côte d‘Ivoire au Mali. On y entend deux hommes critiquer vertement les autorités maliennes. L‘une des voix est attribuée à Boubou Cissé, ancien Premier ministre malien tombé en disgrâce à Bamako. L‘autre ressemble à s‘y méprendre à celle d‘Alassane Ouattara.
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« Tombés sur la tête », « naifs et ignorants » : les commentaires à l‘endroit de la junte malienne sont virulents. L‘affaire fait un tollé, la rue malienne crie à l‘ingérence et au complot et Bamako ouvre une enquête pour « atteinte ou tentative d‘atteinte et complicités à la sûreté intérieure et extérieure du Mali ».
Alassane Ouattara, lui, ne confirmera ni n‘infirmera jamais l‘authenticité de l‘enregistrement. « Je parle à tout le monde », se contente–t–il de répondre à un média français qui l‘interroge sur le sujet. Avare en déclarations publiques et fuyant les journalistes, Assimi Goïta ne s‘exprimera jamais officiellement sur le sujet. Mais, cinq mois plus tard, une nouvelle source de tensions apparaît, comme une riposte du président malien.
L‘affaire des 49 militaires ivoiriens
Également engagé dans un bras de fer avec la Minusma, la mission de stabilisation onusienne, Bamako fait coup double en interpellant, le 10 juillet, 49 militaires ivoiriens à l‘aéroport de la capitale malienne.
Toujours pas élucidée, l‘affaire s‘apparente avant tout à un imbroglio administratif. Abidjan assure avoir déployé ses soldats dans le cadre d‘une convention signée avec les Nations unies. L‘ONU contredit la version ivoirienne. Bamako, qui dénonce dans un premier temps une tentative de déstabilisation venue de l‘extérieure, exige des explications. Toujours détenus deux semaines après leur interpellation, les soldats se retrouvent au coeur d‘un bras de fer diplomatique géré en coulisses.
Une semaine plus tôt, pourtant, l‘heure semblait davantage tourner à l‘apaisement. Jusqu‘alors fermement opposé à une levée des sanctions, Alassane Ouattara avait néanmoins plaidé en ce sens, le 3 juillet, après que le Mali avait fixé au 24 février 2024 la date de la prochaine élection présidentielle.
Entre les leaders ivoirien et malien, la communication passe désormais par l‘entremise du Togo. Faure Essozimna Gnassingbé, qui s‘était déjà érigé en médiateur entre Bamako et la Cedeao, a cette fois-ci dépêché son chef de la diplomatie, Robert Dussey, afin qu‘il ménage une sortie à la crise en cours. Le 18 janvier, le ministre des Affaires étrangères s‘est entretenu avec Assimi Goïta avant de s‘envoler, le lendemain, pour Abidjan, afin d‘y rencontrer Alassane Ouattara. De quoi relancer le dialogue entre la Côte d‘Ivoire et le Mali?
JA