Depuis le début de la récolte 2023-2024, le gouvernement estime que 100 000 tonnes de cacao ont quitté frauduleusement le territoire national. Ce trafic, alimenté par les écarts de prix et les différences de systèmes de vente entre les pays, n’est pas nouveau, mais il est exacerbé par l’envolée des cours.
Des tonnes de cacao n’en finissent pas de disparaître, alors que la Côte d’Ivoire fait déjà face à une baisse des récoltes. Entre spéculation et trafic illicite, le régulateur de la profession tente de panser les plaies.
Devant une peinture d’une cabosse de cacao à Chocovi, la chocolaterie de Viviane Kouame, un artisan chocolatier ivoirien, à Abidjan, en Côte d’Ivoire, en mai 2024.
Premier producteur mondial de cacao avec en moyenne deux millions de tonnes par an, la Côte d’Ivoire peine pourtant à honorer ses commandes. La raison principale ? Une baisse de 30 % des récoltes, causée essentiellement
par des conditions climatiques défavorables. La réduction de l’offre, face à une demande internationale constante, a
propulsé les cours de l’or brun à la hausse depuis mi- 2023, enregistrant une augmentation avoisinant les 130 % en un an sur les bourses de Londres et de New York.
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Dans ce contexte, la quantité de cacao vendue officiellement depuis le pays ouest–africain est inférieure aux prévisions. Les causes de ce chamboulement sont nombreuses.
Spéculations à tout va
Selon le Conseil café cacao (CCC), l’organe de régulation de la filière, environ 40 000 tonnes de fèves de cacao sont actuellement retenues dans des entrepôts par des intermédiaires, qui exigent un prix de vente allant jusqu’à 1800 francs CFA (2,64 euros) par kilo, malgré un prix officiel fixé à 1 500 francs CFA (2,20 euros). Pour rappel,
ces intermédiaires achètent les fèves directement aux producteurs locaux, souvent en zones rurales. Ils regroupent, inspectent, et classifient les fèves avant d’en négocier le prix de vente auprès de leurs clients : les exportateurs et transformateurs. Ce sont eux qui dominent la majeure partie du marché d’exploitation des ports d’Abidjan et de San Pedro, puisqu’ils représentent 80% des achats de cacao aux producteurs, tandis que les coopératives n’en représentent que 20%.
Cacao: la Côte d’Ivoire face à la flambée des cours
Pour Ziad Hamaoui, directeur exécutif de Tarzan, une entreprise de transport et logistique spécialisée dans le cacao, << certains de ces acheteurs indépendants stockent les fèves tout en prétendant avoir épuisé leurs réserves. Leur objectif est de les revendre aux plus offrants, lorsque les cours atteignent des sommets >>.
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Cette pratique alimente la spéculation et met les stocks sous pression, ralentissant l’approvisionnement des exportateurs. << D’autant plus que souvent, les fèves sont mal stockées et finissent par pourrir, devenant invendables, car impropres à la consommation. C’est du gâchis…», déplore l’expert. Bien que l’entreposage des fèves ne soit pas illégal, le faire pour manipuler artificiellement les prix l’est.
Suspension et interdiction
En réponse à cela, le CCC a suspendu, en mai dernier, une quarantaine d’acheteurs soupçonnés de spéculer sur les prix.
Le régulateur ne compte pas s’arrêter là et prévoit d’interdire les acheteurs intermédiaires d’ici à la fin de l’année 2025. Cette initiative s’appuie sur le nouveau système national de traçabilité du café–cacao, lancée en septembre 2023. Selon Arsène Dadié, directeur chargé des délégations régionales et de la commercialisation intérieure du café–cacao au sein du CCC, l’objectif est de retracer le parcours des denrées, depuis le producteur jusqu’au consommateur final, grâce à un système informatique d’enregistrement des transactions commerciales et un étiquetage précis sur les sacs de café et de cacao. Le régulateur a indiqué que 580 coopératives, sur près de 2 000, ainsi que 22 des 100 exportateurs participent au déploiement test de ce nouveau système.
Pourquoi les cours du cacao flambent sans que l’Afrique n’en profite
En parallèle, l’organisation étatique a gelé les exportations de cacao depuis le 7 juin, jusqu’à nouvel ordre, afin de prioriser l’approvisionnement des broyeurs locaux. Car ces derniers souffrent également d’un manque de matière première, ce qui les empêche de faire tourner leurs usines à plein régime. Précisément, selon le Groupement professionnel des exportateurs de café et de cacao (Gepex), moins de 430 000 tonnes de cacao ont été broyées en terre d’Éburnie depuis le début de la campagne 2023-2024, marquant une diminution d’environ 12% par rapport à la même période de l’année précédente.
Trafic illicite vers les pays frontaliers
Un autre problème persiste et joue sur la quantité de cacao disponible en Côte d’Ivoire : l’évasion de fèves vers le Liberia, la Guinée et le Togo. Depuis le début de la récolte 2023-2024, le gouvernement estime que 100 000 de cacao ont quitté frauduleusement le territoire national. Ce trafic, alimenté par les écarts de prix et les tonnes différences de systèmes de vente entre les pays, n’est pas nouveau, mais il est exacerbé par l’envolée des cours. Pour mémoire, les pays de l‘ << Opep du cacao >> (Ghana et Côte d’Ivoire) fixent les prix du kilo de cacao à l’avance pour chaque campagne, tandis que d’autres pays, se soumettent aux fluctuations du marché, et ajustent leur prix en fonction.
<<< Une quantité croissante de cacao est détournée de son trajet initial pour être vendue sur les marchés libéraux des pays limitrophes, compromettant ainsi la traçabilité et la capacité du plus grand producteur mondial de respecter ses engagements contractuels,» relève Bakary Traoré, directeur exécutif de l’Initiative pour le développement communautaire et la conservation de la forêt (IDF). Avant d’alerter sur l’effet boule de neige d’une demande inférieure à l’offre, «<en plus de détourner les stocks, et face au manque de terres arables encore disponibles en Côte d’Ivoire, certains producteurs s’installent dans des pays comme le Liberia, qui abrite plus de la moitié des dernières forêts tropicales d’Afrique de l’Ouest, pour développer des plantations de cacao, exacerbant ainsi la déforestation »>.
C’est dans ce contexte que l’Union européenne (UE) imposera, en décembre 2024, un nouveau règlement pour renforcer la traçabilité et lutter contre la déforestation. Ce cadre réglementaire interdira l’importation de produits tels que le cacao, l’huile de
palme, le soja, le bois, l’hévéa et le café, provenant de zones déboisées après 2020. «Grâce au nouveau système de traçabilité mis en place, nous serons à la hauteur des attentes de l’UE, notre principal client, >> conclut avec optimisme Arsène Dadié.
Jean Moliere Source :JA