27 juillet 2024
Paris - France
POLITIQUE

Henri Konan Bédié: le «sphinx de Daoukro», Président (1993 -1999),géant de la politique ivoirienne, est décédé

 Henri Konan Bédié meurt le 1er août 2023 à 89 ans, après avoir été victime d’un malaise à Daoukro et transporté en urgence à la polyclinique internationale Sainte-Anne-Marie d’Abidjan.

Né prince

Né le 5 mai 1934 dans le village de Dadiékro, dans la région de Daoukro dans le centre-est du pays, Henri Konan Bédié, de sang royal et issu d’une fratrie de neuf enfants, est le fils d’un cultivateur de cacao. Dans son autobiographie intitulé Les chemins de ma vie : entretiens avec Éric Laurent, il explique avoir « été élevé dans les principes de cette noblesse: l’honneur, le sens du commandement, mais aussi l’obéissance. L’éducation que j’ai reçue ne m’a pas inculqué l’idée que je devais un jour me préparer à gouverner les Ivoiriens. On naît prince de sang sans être nécessairement prince héritier. »

Son engagement politique ne vient pas directement de cet héritage, mais de sa volonté à combattre la domination coloniale. Dès 1947, alors qu’il entre au collège moderne de Guiglo, dans l’ouest du pays, apparaissent les premiers journaux libres d’opposition, principalement communistes, comme Le Démocrate qu’il distribue clandestinement au collège. L’intéressé affirme pourtant n’avoir jamais été communiste : « J’ai lu et j’ai jonglé avec la dialectique marxiste, parce que c’était un mode de raisonnement, mais en réalité je me battais exclusivement pour l’émancipation de l’homme noir et je ne voyais pas son avenir en tant que français « assimilé« . »

Après l’obtention de ses deux baccalauréats à Dabou, et compte tenu de ses activités politiques, on lui refuse l’accès à l’université de Dakar, symbole de l’enseignement colonial. Sa famille se cotise pour l’envoyer en France où il étudie à l’université de Poitiers. Il y obtient plusieurs diplômes en droit, en économie politique et en sciences économiques, en parallèle de ses activités au sein de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF).

Un fidèle de Félix Houphouët-Boigny, le premier président de la Côte d’Ivoire indépendante

En 1958, alors que la Côte d’Ivoire a obtenu un statut d’autonomie interne, il rentre au pays pour travailler à la Caisse d’allocation familiale. Repéré par Félix Houphouët-Boigny, alors Premier ministre, il est affecté à l’ambassade de France à Washington en mai 1959. C’est son premier contact avec le futur et iconique premier président de la nation ivoirienne, qui lui confie : « Je vous ai nommé sans vous avoir rencontré, mais vos amis m’ont dit tellement de bien de vous que j’ai cru bien faire en vous retenant sur-le-champ. », raconte HKB dans ses mémoires. L’indépendance acquise le 7 août 1960, le nouveau diplomate est nommé ambassadeur aux États-Unis et ouvre la première représentation diplomatique de Côte d’Ivoire à Washington. Il y côtoie les présidents Eisenhower et Kennedy.

Six ans plus tard, « le Vieux » le porte au ministère des Finances, qu’il occupe 11 ans durant. C’est la période du « miracle ivoirien » : les cours des matières premières, comme le café et le cacao, flambent et deviennent l’or vert de la Côte d’Ivoire. HKB multiplie les relations extérieures sur le plan économique et financier, crée des sociétés d’État, diversifie les productions agricoles et engage des grands travaux.

Mais cette conjoncture favorable porte aussi en elle les germes d’autres difficultés. C’est aussi une période où le président et son ministre ont un premier différend sur un projet de développement sucrier. L’affaire va s’envenimer et, ajoutée à d’autres, amènera le président à réaliser un remaniement ministériel qui expulse son ancien protégé du gouvernement.

Une rivalité avec Alassane Ouattara datant des années 1990

Le noble baoulé rebondit à la Banque mondiale à Washington d’où il gère les investissements privés en Afrique pour la Société financière internationale (SFI). Il revient dans le champ politique ivoirien trois ans plus tard, à la suite de sa nomination à la tête de l’Assemblée nationale.

Le 7 décembre 1993 décède Félix Houphouët-Boigny. Suivant la Constitution ivoirienne, il devient président par intérim jusqu’à l’organisation de la présidentielle de 1995. Son concurrent est déjà Alassane Dramane Ouattara, Premier ministre depuis 1990 et chargé de sortir le pays d’une grave crise économique. C’est le début d’une grande rivalité qui façonnera l’avenir de la Côte d’Ivoire.

Poussé à l’exil par un putsch

Bien qu’héritier et président du PDCI, Henri Konan Bédié ne jouit pas aux yeux de la population du même crédit que « le Bélier » Houphouët. Sans compter que la Côte d’Ivoire s’enlise dans la crise. À la veille de Noël 1999, une mutinerie se mue en coup d’État. Les soldats révoltés portent le général Robert Guéï au pouvoir. Exfiltré vers le Togo par l’armée française, HKB, contraint à l’exil, atterrit le 3 janvier chez l’ancienne puissance coloniale.

Un mandat d’arrêt international pour « détournement de fonds publics » est alors émis contre lui et sa candidature à la présidentielle d’octobre 2000 est également rejetée par la junte : le chef d’État déchu appelle alors au boycott de « cette tricherie » électorale dont sort victorieux le socialiste Laurent Gbagbo, rebaptisé pour l’occasion « le boulanger d’Abidjan » pour avoir roulé dans la farine le « Père Noël en treillis » – Robert Gueï, le général-président putschiste, également candidat à la fonction suprême.

Le Président Henri Konan Bédié a su rassembler les Ivoiriens dans l`unité, en insistant sur l`identité nationale, en renforçant la conscience d`appartenance non seulement á un Etat national mais aussi á une communauté soudée par une culture et une histoire.
Il leur a donné l’espérance en les conduisant sur les voies de la croissance et du renouveau et en leur montrant l`avenir jusqu`à l`horizon 2025. Cet avenir se lisait déjà dans les dix grands chantiers de réforme et d’action mis en œuvre et qui devraient conduire à un développement durable au service d`un progrès social hardi.

Homme de paix et de dialogue, Henri Konan Bédié est un des rares présidents africains à avoir à plusieurs reprises pardonné à ses ennemis et à ses adversaires potentiels et surtout à avoir gouverné sans verser le sang de ses concitoyens.

Sur le plan international, il a assuré une présence rayonnante à la Côte d`Ivoire en élargissant le cercle de ses relations extérieures, en contribuant activement à la sauvegarde et au maintien de la paix en Afrique et dans le monde. Henri Konan Bédié est aussi un penseur.

Il a consigné ses idées et ses réflexions dans ses discours réunis en volumes et dans trois ouvrages : Paroles et La nouvelle société aux frontières du développement publiés en 1995, Les chemins de ma vie en 1999.

De l`ivoirité, conceptualisation de la quête culturelle et identitaire des Ivoiriens à l`échange inégal entre pays développés et sous-développés, de l`unité africaine aux problèmes de développement, de l`analyse historique de nos société traditionnelles aux problèmes de l`Etat et de la démocratie, il existe peu de sujets dont il n`ait tiré une philosophie générale et une politique. Il est permis de discuter ses idées.

Il est difficile de contester qu`il en a. Et la politique, ce sont d`abord des idées. Ainsi, c`est un homme de pensée et d`action, un démocrate épris de dialogue et de paix, un nationaliste soucieux du progrès et du rayonnement de son pays, pour tout dire un homme d`Etat moderne qui sollicite à nouveau le suffrage des Ivoiriens, sous la bannière du Parti démocratique de la Côte d`Ivoire (PDCI-RDA), parti de l`expérience et de l`espérance.
Il faut à la Côte d`Ivoire un Président moderne pour réaliser son grand rêve de progrès continu et de bonheur partagé.

Impénétrable comme un roi akan (le groupe ethnique dont il est issu), Bédié n’affiche pas ses ambitions.
Mais il pourrait diriger le probable parti unifié des houphouétistes. Pour l’heure, son domicile de Daoukro est devenu le passage obligé des ambitieux de tout bord. Ainsi, c’est après lui avoir rendu visite que certains ont vu leur nom disparaître de la liste noire du procureur Simplice Kouadio Koffi, qui enquête sur les événements postélectoraux. Le troisième pont d’Abidjan, en construction, porte le nom de l’ancien chef de l’État (1993-1999), selon la volonté de Ouattara. Passage à la postérité garanti. Quoi qu’il en dise, le « Sphinx de Daoukro » n’est pas loin de devenir le « Sage de Côte d’Ivoire ».

Soutien à Ouattara lors de la grave crise de 2011

La grave crise politique qui a conduit à la partition du pays depuis la tentative de renversement du régime de Laurent Gbagbo en septembre 2002, empêche la tenue du scrutin présidentiel de 2005 et offre au fondateur du FPI un bail de cinq ans supplémentaires. Ce n’est qu’en novembre 2010 que le RHDP fait ses preuves. Candidat malheureux au premier tour, Henri Konan Bédié tient sa promesse et soutient Alassane Ouattara au second tour face au sortant.

Les deux finalistes revendiquant chacun la victoire, débute alors l’épisode le plus violent de l’histoire du pays. Henri Konan Bédié et son allié restent retranchés à l’hôtel du Golf pendant des mois, jusqu’au 11 avril 2011 quand Gbagbo est arrêté dans sa résidence par les Forces nouvelles, assistées par l’armée onusienne et la Force Licorne française.

Bédié se tourne vers les partisans de Gbagbo contre Ouattara

En 2011,quand on demande à Henri Konan Bédié (77 ans) s’il est le nouveau sage de Côte d’Ivoire, il botte en touche. Mais une chose est sûre : le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et de la conférence des présidents du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP, mouvance présidentielle) profite d’une nouvelle jeunesse.

Enfin à la tête du pays, le nouveau chef d’État Alassane Ouattara accorde une place importante aux hommes de Bédié dans la gestion des affaires. En 2014, Alassane Ouattara rejoint HKB en pays baoulé, dans son fief de Daoukro. À l’issue de leur entrevue, le « Sphinx » annonce que son parti s’écartera de la présidentielle de 2015 au profit de son allié, candidat à sa propre succession. C’est le fameux « appel de Daoukro » : cette union permet à la Côte d’Ivoire de renouer avec la stabilité politique et la croissance économique après plus d’une décennie de malheurs.

Mais les choses se gâtent courant 2018, justement sur la base de « l’appel ». Selon Henri Konan Bédié, le pacte conclu à Daoukro stipule qu’Alassane Ouattara renvoie l’ascenseur au PDCI, en soutenant une candidature unique issue de ses rangs en 2020. Mais le chef de l’État refuse de reconnaître.

Le chef baoulé prend la tête de la Coalition pour la démocratie, la réconciliation et la paix (CDRP), groupe hétéroclite de partis qui rassemble tous les mécontents du régime Ouattara, dont les partisans de Laurent Gbagbo, acquitté quelques mois plus tôt en première instance à la Cour pénale internationale des accusations de crimes contre l’humanité, en raison des violences post-électorales de 2011.

Lancement du CNT et nouvelles violences

À l’approche de la présidentielle d’octobre 2020, et à défaut d’avoir une véritable stratégie, le CDRP appelle au boycott et à la désobéissance civile. La Côte d’Ivoire renoue avec les violences politiques, qui causeront un peu moins d’une centaine de morts.

Alassane Ouattara est lui réélu avec 94,27 % des voix pour un troisième mandat très critiqué. En guise de contestation, Henri Konan Bédié lance un Conseil national de transition (CNT), vu comme un gouvernement parallèle par les autorités, qui arrêtent plusieurs figures de l’opposition et installent un blocus autour de la résidence du « Sphinx » au quartier Cocody-Ambassades.

La tension baisse lorsque les deux adversaires renouent le dialogue au symbolique hôtel du Golf une douzaine de jours après le scrutin.

Après cette nouvelle défaite, les langues se délient au PDCI. Une guerre de clans et la contestation de plus en plus explicite de la jeunesse du parti laissent entrevoir le début d’une guerre de succession, alors que des figures du parti ont déjà abandonné le navire.

Nouvel accord avec Gbagbo et attendu en tant que candidat à la présidentielle

Pour afficher une cohésion et solidités trouvées, en octobre 2022, le numéro 2 du PDCI Kakou Guikahué numéro 2 du parti, propose la candidature unique d’Henri Konan Bédié lors du prochain congrès, qui était prévu en 2023. Sans suspense, ce 13e congrès de la formation, aurait conduit l’ancien président Bédié vers la présidentielle de 2025 : il aurait alors 91 ans.

Une décision qui a poussé une frange réformatrice de la jeunesse du parti à lever sa voix, voyant dans cette proposition un déni de démocratie. D’autant que, à l’occasion du 75e anniversaire de la formation politique un an plus tôt, HKB avait appelé à « moderniser le parti ».

En 2021, avec le retour triomphal de Laurent Gbagbo au pays, HKB forge une nouvelle alliance d’opposition avec l’ex-chef d’État totalement blanchi par la CPI. Une alliance qui voulait se prolonger pour les élections municipales et régionales de septembre 2023.

Avec la disparition d’Henri Konan Bédié, c’est un imposant chapitre de l’histoire ivoirienne qui s’achève. S’il n’a pas su garder intact l’héritage du PDCI que lui a légué Félix Houphouët-Boigny, il y aura laissé une empreinte indélébile. Quelle que soit la personne qui reprendra le flambeau, elle aura grand mal à marquer les esprits à la même hauteur.

Amateur du football 

Henri Konan Bedié et le football :

 Des stades à son nom à Dimbokro et à Grand-Lahou ;
 1998, il honore l’Asec Mimosas vainqueur de la Ligue des champions. 3 ans avant, il était au stade pour Asec – Orlando Pirates ;
 2015, le trophée de la CAN remportée par les Éléphants lui est présenté ;
 2015, il reçoit l’AS Tanda, championne de Côte d’Ivoire ;
 Selon la légende, il serait un fan de l’Africa Sports d’Abidjan.
Après la mort d’Henri Konan Bédié, la Côte d’Ivoire pleure son « vieux père »

Un deuil national de dix jours a été décrété, pendant lequel les drapeaux seront en berne. A Daoukro, fief de l’ancien président, c’est toute la ville qui semble écrasée par le recueillement.

 

 

JM

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