Après avoir fondé le FPI ensemble dans les années 1990, chacun des membres de ce couple mythique de la scène politique ivoirienne est désormais à la tête de son propre parti. Et pourrait affronter l‘autre lors des élections à venir.
C‘est dans une ambiance festive, au rythme d‘une chanson diffusée en son honneur, que Simone Ehivet Gbagbo fait son entrée. À 73 ans, elle conserve son dynamisme et n‘hésite pas à esquisser quelques pas de danse, sous les applaudissements d‘un public conquis. Ce 20 août après midi, des centaines de partisans et d‘organisations proches de l‘ancienne première dame participent au lancement officiel de son parti, près d‘un an après le lancement de son Mouvement des générations capables (MGC). Et, sans surprise, Simone Gbagbo en prend la tête. Elle est ici dans son élément, et ne manque pas de le rappeler. Dans le discours qu‘elle livre après son investiture, elle souligne son combat « trois décennies plus tôt » pour la démocratie et le multipartisme : « Oser défier les braises ardentes du parti unique pour revendiquer la liberté d‘expression et d‘obédience politique relevait de l‘utopie. Cependant, nous, camarades, amis, frères et soeurs de cette époque-là, venus d‘horizons divers, même en nombre réduit, nous y avons cru ! »
Humiliée devant les caméras
Après une décennie de démêlés judiciaires, humiliée depuis le retour de Gbagbo à Abidjan en juin 2021, se sentant marginalisée, Simone Gbagbo a décidé de riposter en faisant ce qu‘elle sait faire le mieux : de la politique. À Abidjan, la transformation de MGC en parti politique était un secret de polichinelle. Si elle a préféré un temps créer un mouvement pour agir au sein de la société civile, certains membres de son entourage, eux, trépignaient d‘impatience d‘en faire un parti politique en bonne et due forme. Ce n‘était qu‘une question de temps avant que celle qui a longtemps été qualifiée de « conseillère de l‘ombre » de son époux Laurent Gbagbo – tout en ayant un réel poids sur l‘échiquier politique -, ne franchisse le pas pour, cette fois, tenter d‘occuper la première place.
Simone Gbagbo esquiss..
SIMONE GBAGBO ESQUISSE DES PAS DE DANSE À LA CÉRÉMONIE DE LANCEMENT DE SON PARTI POLITIQUE, LE MGC « MOUVEMENT DES GENERATIONS CAPABLES »
Le couple Gbagbo allait mal depuis plusieurs années déjà. Laurent Gbagbo a refait sa vie avec Nady Bamba, surnommée sa « petite femme », ce que personne, sur les bords de la lagune Ébrié, n‘ignore. Mais le point de non–retour a été atteint le jour où l‘ancien président a foulé le sol ivoirien, le jeudi 17 juin 2021. Alors que son arrivée à Abidjan après plus d‘une décennie hors du pays devait être une célébration, un moment de retrouvailles, sous l‘oeil des caméras du monde entier, Simone a été priée de ne pas se joindre aux festivités et de se faire discrète.
Côte d‘Ivoire : quel avenir pour Simone sans Gbagbo?
Une gifle, pour l‘ancienne première dame. Elle riposte en se présentant à l‘aéroport où elle se fraye un chemin jusqu‘à Laurent Gbagbo qui descend d‘avion pour le serrer dans ses bras. À peine a-t–elle le temps de lui chuchoter quelque chose à l‘oreille que l‘ex–président lui demande de s‘écarter d‘un geste de la main. L‘instant n‘échappe pas aux dizaines de caméras et de téléphones portables dont les objectifs sont braqués sur ce couple qui a symbolisé un tandem de pouvoir, avant la chute, et son arrestation, le 11 avril 2011 dans un bunker, au terme de la « bataille d‘Abidjan ».
L‘un des premiers actes de Laurent Gbagbo, une fois rentré en Côte d‘Ivoire, est de demander le divorce. Depuis, la procédure suit son cours. Simone Gbagbo, elle, a publié quelques jours plus tard une vidéo dans laquelle elle remerciait les autorités d‘avoir facilité le retour de son époux. Un acte qui a touché beaucoup d‘Ivoiriens, quand une bonne partie des soutiens de ce qui fut un couple disent leur déception à mots couverts. Laurent Gbagbo, empêtré dans des soucis personnels, longtemps privé de ses privilèges d‘ancien chef de l‘État et d‘accès à ses comptes, obligé de créer un nouveau parti faute d‘être parvenu à s‘entendre avec Pascal Affi N‘Guessan, qui a conservé les rênes du Front populaire ivoirien (FPI), peine à rassurer ses affidés. Il faudra attendre la fin de juillet 2021, une rencontre avec Henri Konan Bédié et un entretien avec Alassane Ouattara pour qu‘il s‘exprime sur la libération des prisonniers et sur les questions de réconciliation. Trop tard pour rassurer les déçus ?
Lorsqu‘il a lancé son Parti des peuples africains – Côte d‘Ivoire (PPA–CI), Laurent Gbagbo a bien tenté de recoller les morceaux, et a invité Simone à se joindre à lui. Peine perdue. Pour elle, qui a tenu les rênes d‘un FPI encore clandestin lorsque son époux était en exil en France de 1982 à 1986, qui a connu les arrestations et la prison et a mobilisé les foules lors des campagnes électorales, se retrouver ainsi reléguée au second plan de cette nouvelle aventure politique est l‘affront de trop. Les tentatives de médiation de Hubert Oulaye, directeur exécutif du PPA–CI, n‘y ont rien fait. Simone a refusé de s‘associer au nouveau projet de son mari. « Je mérite un minimum de respect et de considération », a–t–elle tenu à préciser dans un communiqué, le 8 septembre dernier.
Rupture politique
Si, sur le plan civil, le divorce n‘est pas encore prononcé, la rupture politique, elle, est indéniable. Et dans ce duel qui l‘oppose à celui avec lequel elle a partagé sa vie autant que ses combats politiques, l‘image de la femme loyale bafouée attire de nombreuses sympathies à « maman Simone ». Elle est en outre parvenue à emmener avec elle plusieurs anciens cadres du FPI, qui n‘ont pas trouvé leur place au sein du PPA-CI. Depuis son amnistie, en 2018, l‘ex première dame s‘est en effet entourée d‘un cabinet et de conseillers politiques dont plusieurs sont d‘anciens caciques du FPI, certains ayant été des ministres de Laurent Gbagbo. La transformation du MGC en parti politique n‘est, à cet aune, qu‘un aboutissement logique.
Certes, elle a fait en sorte de ménager le camp d‘en face, en tenant un discours rassembleur. Elle a notamment regretté que « la grâce présidentielle accordée à Laurent Gbagbo, en lieu et place d‘une amnistie, alourdit davantage l‘atmosphère sociopolitique du pays ». || n‘empêche, il faudra désormais bel et bien compter avec elle lors des prochaines échéances électorales. « Quand une organisation se proclame parti, c‘est qu‘elle a l‘intention de mener le combat pour accéder au pouvoir. Nous souhaitons avoir des candidats pour les municipales à venir, pour les présidentielles à venir », a–t–elle déclaré le 20 août, après avoir été investie à la tête de sa formation.
Côte d‘Ivoire : le cercle des fidèles de Simone Gbagbo
« Alors vous vous demandez : “Est-ce que j‘accepterais de me retrouver confrontée au président Gbagbo ? » a–t–elle continué. Une fois que le parti aura décidé qui va être candidat, celui–ci se battra pour gagner les élections quels que soient les candidats qui seront en face. » Le message est clair. Et il s‘adresse en particulier au PPA–CI, dont aucun représentant n‘est présent ce jour–là, bien que la formation ait été invitée. « Chacun trace son chemin. Chacun trace son sillon. Mais nous souhaitons que ce sillon ne se trace pas dans l‘adversité et les palabres inutiles. [...] Nous travaillons tous pour bâtir une nation prospère, développée et respectée par tout le monde », prend–elle soin de préciser.
En quête d‘alliés
Dans l‘entourage de l‘ancien président, on préfère ne pas commenter la création du MGC. Le risque de dispersion de l‘électorat fidèle aux Gbagbo et d‘un émiettement encore plus grand de la gauche ivoirienne ? Même chose. Laurent Gbagbo et ceux qui lui sont restés fidèles le savent pourtant : il faudra se battre pour conquérir les cours, et les bulletins, des mêmes électeurs. Tandis que l‘ex–chef d‘État s‘est retiré, depuis le 25 août dernier, à Mama, son village natal, les cadres de son parti, eux, sillonnent le pays. Il s‘agit désormais de remobiliser les militants et d‘implanter les structures de base du PPA–CI. Sur ce plan, ce dernier, né il y a un an, a une petite longueur d‘avance sur le MGC. Mais le parti de Simone Gbagbo devrait pouvoir capitaliser sur les fiefs réputés acquis à l‘ancienne première dame et à ses proches, en particulier dans la région de Bassam, dont elle est originaire, ou à Guiglo et Bangolo, dans l‘Ouest.
Pour le MGC, le défi sera double : parvenir à transformer le capital sympathie dont elle semble bénéficier, ainsi que ses soutiens dans les milieux évangéliques, en électeurs; et nouer des alliances avec d‘autres partis pour afficher une assise le plus large possible aux prochaines élections locales. Sur ce dernier point, plusieurs pistes s‘offrent à elle. Le FPI, représenté en grand nombre lors du lancement du MGC, ainsi que le Cojep de Charles Blé Goudé, représenté par son secrétaire général, Patrice Saraka. « C‘est la symbolique de la solidarité militante entre partis de gauche », résume Bly Roselin, premier vice–président du Cojep. Quant au rapprochement, ces derniers mois, entre celui que l‘on surnommait le « général de la rue », qui a obtenu son passeport fin mai, et l‘ancienne première dame, Bly Roselin explique que c‘est sur la base « des valeurs de paix qu‘ils partagent » et au nom de la volonté de voir « le dialogue prévaloir dans toute situation de crise ».
Côte d‘Ivoire : le nouveau parti de Laurent Gbagbo à l’épreuve du terrain
De son côté, le PPA–CI martèle à l‘envi sa volonté de reconquérir le pouvoir, et insiste sur son alliance avec le Parti démocratique de Côte d‘Ivoire (PDCI)–RDA d‘Henri Konan Bédié. Mais les leaders du vieux parti, avec lesquels les cadres du PPA–CI avaient noué des alliances pour les législatives de 2020, ne semblent pour l’heure pas répondre aux appels du pied. Le PDCI doit tenir un bureau politique le 15 septembre prochain, qui pourrait donner des orientations sur les prochaines élections. De plus, un comité interne chargé de présélectionner des candidats du parti est déjà à l‘oeuvre. Mais l’heure des discussions concrètes entre les deux formations n‘a pas encore sonné.
JA