Un pont entre Yopougon et Adjamé, de nouveaux logements à loyer modéré, une voie réservée pour la future ligne de bus express… Après l’accueil réussi de la CAN, début 2024, les grands chantiers ont repris au pas de charge dans la capitale économique ivoirienne. Des travaux et des aménagements indispensables, mais qui, pour certains, ont nécessité des opérations complexes de déguerpissement.
sur le chantier de l’échangeur du carrefour Akwaba, dans la commune abidjanaise de Port–Bouët, le 5 novembre 2024.
Bingerville, 5 heures du matin. Comme chaque jour de la semaine, Hermann Kouassi se lève aux aurores pour rejoindre son lieu de travail, à Cocody. Résidant en grande banlieue d’Abidjan, il sait qu’il doit s’extirper rapidement de chez lui s’il veut avoir une chance d’arriver à l’heure. << Si je pars après 6 heures, je suis sûr de perdre une heure à une heure et demie dans les embouteillages et d’être en retard au travail », explique–t–il, résigné.
Pour rejoindre son bureau, Hermann doit emprunter l’ex- boulevard François–Mitterrand, désormais renommé boulevard Germain–Koffi–Gadeau, où plusieurs échangeurs sont en cours de construction. Celui de Faya sera opérationnel en avril 2025, et trois autres devraient être livrés d’ici à mars 2026… Des travaux «<< effrayants >>, qui vont rendre encore plus long le temps de trajet quotidien du cadre abidjanais pendant des mois, qui sont
<< un mal nécessaire >>.
Le 5 novembre, le Premier ministre, Robert Beugré Mambé, s’est rendu sur plusieurs chantiers stratégiques, dont celui de l’échangeur d’Awkaba (<«< bienvenue »>, en baoulé), à Port–Bouët. Chasuble orange et lunettes noires, casque blanc vissé sur la tête, il a écouté attentivement les explications de son ministre de l’Équipement et de l’Entretien routier, Amédé Koffi Kouakou, sur l’avancée des six échangeurs en cours de construction dans la capitale économique. Outre ceux du boulevard Germain- Koffi–Gadeau, celui du carrefour Akwaba est presque achevé et devrait être livré à la fin de l’année ou dans le
courant de janvier 2025. Quant à la mise en service de l’échangeur du grand carrefour de Koumassi, elle est programmée pour août 2025.
Avant la CAN, Abidjan en pleine métamorphose
À eux seuls, ces chantiers, inscrits dans le programme routier engagé par le président Alassane Ouattara pour renforcer et développer les infrastructures de transport à Abidjan, représentent un coût global de 145 milliards de F CFA (221 millions d’euros) hors taxes, mais ils devraient changer rapidement le quotidien des quelque 6,3 millions d’habitants du district autonome d’Abidjan (soit 21,5 % de la population de Côte d’Ivoire, selon le dernier recensement, en 2021).
Mobiliser le financement mixte pour développer des logements abordables en Afrique
L’énorme dossier du désengorgement routier
Depuis l’accueil de la Coupe d’Afrique des nations (CAN),
en janvier et février, de nouveaux ouvrages sont déjà opérationnels. À commencer par le << quatrième pont »>, mis en service en juillet (le « cinquième », le pont Alassane–Ouattara, entre Cocody et le Plateau, a déjà été inauguré en août 2023). D’un coût de 115 milliards de F
CFA, financé à 60 % par l’État et à 40 % par un prêt de la Banque africaine de développement (BAD), ce pont à péage de plus de 1 kilomètre de long sur la baie du Banco
permet de relier enfin directement les communes de Yopougon et d’Adjamé, moyennant tout de même un paiement, qui varie de 500 à 3 000 F CFA (de 0,76 à 4,6 euros) selon le type de véhicule.
En attendant le << métro », le long parcours d’Abidjan pour fluidifier le trafic
Dans le sud de la ville, après trois années de travaux, la phase 2 de l’échangeur de l’Amitié ivoiro–japonaise- Shinzo–Abe a quant à elle été livrée à la fin août. Cette
nouvelle voie de 760 mètres de long et surélevée à 17 mètres de hauteur (la plus haute d’Abidjan) relie le grand carrefour de Marcory au rond–point de Solibra, dans le
centre de Treichville, et réduit donc considérablement les embouteillages sur le boulevard Félix–Houphouët–Boigny (ex–VGE). Le coût total des deux phases, soit 50 milliards de F CFA, a été cofinancé par le Japon et par l’État.
AU PEACE DO 4EME PONT
Le pont entre les communes de Yopougon et d’Adjamé, sur la baie du Banco, à Abidjan, a été mis en service en juillet 2024. © Gouvernement de Côte d’Ivoire
Avec un investissement total de plus de 1 000 milliards de F CFA dans les infrastructures routières d’Abidjan depuis 2011, l’exécutif ivoirien s’est donc bien attelé à
l’énorme dossier du « désengorgement >> de la capitale économique. Cependant, beaucoup reste à faire et à financer, aussi l’État a–t–il pris l’option de faire participer
les usagers au coût de l’entretien routier, avec la mise en place de postes de péage, gérés par le Fonds d’entretien routier (FER).
Logement, assainissement, sécurité…
Une autre préoccupation majeure pour les habitants, les entreprises et les élus du district : le logement. En l’occurrence, un manque cruel de logements
<< accessibles », qui constitue l’un des dossiers chauds pour le gouvernement, malgré quelques programmes réalisés ces dernières années. En effet, leur production est bien en deçà du nombre d’unités escompté, après quarante années d’interruption dans la construction de logements
sociaux et << économiques >>.
Afin d’accélérer le mouvement, un programme d’urgence a été lancé par la présidence pour la construction de 25 000 logements sociaux et économiques à Yopougon, la commune la plus peuplée d’Abidjan. Le premier chantier a démarré début juillet à la Cité BAE, sur un site de 10 hectares : il porte sur la construction de 3 000
appartements, dans des immeubles de type Rez+9, qui seront livrés d’ici à deux ou trois ans pour être loués ou commercialisés sous forme de location–vente, à des
conditions abordables.
Côte d’Ivoire : Bingerville en plein boom
Pour Abidjan comme pour toutes les grandes métropoles du continent, dont la plupart sont elles aussi établies sur le littoral, les risques sécuritaires et sanitaires liés aux intempéries et au changement climatique doivent être pris en compte dans tous les projets d’aménagement, dont un certain nombre s’imposent d’ailleurs désormais, pour anticiper les risques d’inondation ou d’éboulement.
Pour ce faire, l’État a élaboré un programme transversal, fortement soutenu par le dispositif de << facilité pour la résilience et la durabilité » (FRD) du FMI, qui s’est traduit par, entre autres, d’importants travaux d’assainissement et de drainage, tels que le dragage du fond lagunaire et le remblaiement des berges de la baie
de Cocody, la construction de barrages écrêteurs de crue, la réhabilitation de barrages existants et l’aménagement de cuvettes de rétention dans la commune d’Abobo, ainsi que la réalisation de nouveaux branchements et la réhabilitation de stations de pompage. D’autres projets d’aménagement plus ciblés sont par ailleurs en cours dans le cadre d’un programme gouvernemental doté de 155 milliards de F CFA, en partenariat avec la Banque mondiale, pour réduire la vulnérabilité des populations aux inondations. À charge pour ces dernières, aussi, de cesser de jeter des déchets dans les caniveaux…
Légitime colère des déguerpis
Mais ce qui a marqué cette année de grands travaux à Abidjan, qu’ils aient été engagés pour renforcer l’assainissement ou pour tracer la voie du futur service de bus rapides, c’est qu’ils ont commencé dans la douleur, celle des déguerpissements. Passés la CAN et le sacre des Éléphants, Ibrahim Cissé Bacongo, le ministre- gouverneur du district autonome d’Abidjan, a ordonné, dès le 21 février, plusieurs opérations de déguerpissement à Yopougon, provoquant la colère des populations qui y résidaient et de vives critiques, y compris de la part des
élus locaux. Si ces derniers disent en effet bien comprendre que les infrastructures et les aménagements prévus sont nécessaires, indispensables et urgents, ils reprochent en revanche au district de ne pas les avoir prévenus, et de n’avoir pas proposé de plans de relogement ou de recasement pour les habitants et les commerçants concernés.
En Côte d’Ivoire, les déguerpissements à Abidjan réveillent les querelles politiques
Le 8 août, une réunion s’est tenue sous la présidence de Robert Beugré Mambé, qui connaît mieux que personne le sujet puisqu’il a été gouverneur du district autonome d’Abidjan de 2011 jusqu’à sa nomination à la tête du gouvernement, en octobre 2023, et qu’il dirige encore aujourd’hui le portefeuille du Cadre de vie. Au terme de cette rencontre, un comité de direction et de suivi des déguerpissements a été mis en place, et le gouvernement s’est engagé, par la voix de Vagondo Diomandé, le ministre de l’Intérieur, à faire en sorte que les déguerpissements se déroulent sans graves conséquences pour les populations impactées.
Dans le club des métropoles modernes
La transformation d’Abidjan passe également par la modernisation de la gestion urbaine, avec le programme de rénovation et d’adressage des rues, en cours depuis
2020 dans toutes les communes du district. Ce dispositif a pour objectif de fournir un système d’adressage complet afin d’améliorer «< la localisation et le référencement des
unités d’occupation», comprenez: afin que chaque logement particulier, commerce, entreprise, institution, ait une adresse précise qui permette de les localiser et,
encore mieux, de les géolocaliser. << Finie l’époque où, pour trouver une adresse, il fallait d’abord trouver ‘la dame qui vend de l’alloco au carrefour‘, puis ‘la maison avec des pigeons‘ et, enfin, la cour avec un gros manguier‘. Désormais, il suffira de taper l’adresse sur un GPS «<, se réjouit un chef d’entreprise, ajoutant qu’il était temps que le Grand Abidjan entre dans l’ère du numérique et dans le club des métropoles modernes.
Ouattara, Gbagbo, Drogba… À Abidjan, les rues << ivoirisées >>
Malgré les défis qui lui restent à relever, l’exécutif ivoirien semble déterminé à poursuivre à marche résolue, sinon forcée, la nécessaire transformation de sa capitale économique. Entre les investissements massifs dans les infrastructures, les efforts pour développer l’habitat et pour anticiper les aléas et risques climatiques, la capitale économique se dote de tous les attributs d’une métropole moderne et durable, c’est–à–dire adaptée aux besoins de ses habitants et de son économie aujourd’hui, mais, aussi, adaptables à ce qu’ils seront dans le futur.
Jean Moliere Source JA