Deux ans après la mort du patron du groupe Wagner, plusieurs projets du Kremlin sur le continent ont fait long feu
Benoit Faucon et Nicholas Bariyo
Selon un haut responsable militaire américain, les juntes militaires du Mali, du Niger et du Burkina Faso regrettent aujourd’hui d’avoir accepté l’aide de Moscou pour lutter contre les insurgés d’Al–Qaïda et de l’Etat islamique. – La Russie était encore récemment une puissance militaire grandissante en Afrique. Aujourd’hui, elle peine à
préserver son influence sur le continent.
La nouvelle organisation paramilitaire officielle du Kremlin, l’Africa Corps, n’a pas réussi à reproduire le succès financier et l’influence politique de son prédécesseur,
Wagner. Certaines activités africaines du groupe de mercenaires privé ont pris fin en 2023, lorsque son fondateur, Evgueni Prigojine, s’est rebellé contre Vladimir
Poutine, puis est mort lorsqu’un engin explosif a détruit une aile de son avion à 28000 pieds d’altitude.
Selon un haut responsable militaire américain, les juntes militaires du Mali, du Niger et du Burkina Faso regrettent aujourd’hui leur décision d’avoir chassé les troupes
américaines et françaises au cours des trois dernières années et d’avoir, à des degrés divers, accepté le concours de Moscou pour lutter contre les insurgés d’Al-
Qaïda et de l’Etat islamique.
<< Ils commencent à demander de l’aide, en particulier les Maliens », a précisé le haut responsable militaire américain, ajoutant que tout soutien prendrait très
probablement la forme d’une formation des troupes.
Les stratèges du Pentagone, contraints par les lois et politiques américaines limitant l’aide sécuritaire aux gouvernements militaires, espèrent mettre les Russes sur
la touche et revenir dans le business de la sécurité en Afrique de l’Ouest. L’une des options envisagées par les Etats–Unis consiste à demander à des pays tiers, en
particulier le Maroc, d’entraîner les armées locales à la lutte contre les extrémistes.
« Les difficultés rencontrées par Moscou
en Afrique illustrent les limites de sa puissance, en particulier lorsque ses meilleures unités militaires combattent >> en Ukraine
Parallèlement, Erik Prince, un sous–traitant américain du secteur de la défense disposant d’un réseau important, est en pourparlers pour fournir des services de sécurité aux gouvernements africains, selon des sources proches du dossier.
Ce revirement montre à quel point l’influence de la Russie dans le Sahel, une bande semi–désertique qui s’étend du Mali au Burkina Faso, au Niger et au–delà, est en perte de vitesse après des années durant lesquelles Prigojine était l’un des personnages les plus puissants de la région. Les spécialistes des questions sécuritaires et les responsables occidentaux de la défense affirment aujourd’hui que l’implication de Moscou aurait plutôt contribué à aggraver la situation dans la région, à tel point que le Sahel est peut–être la zone de conflit la plus intense dans le combat mondial qui oppose les combattants islamistes à l’Occident et à ses alliés.
Au cours de l’année écoulée, près de 11000 personnes ont trouvé la mort dans le cadre de l’insurrection islamiste au Sahel, selon les données analysées par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique financé par le Pentagone, dont environ la moitié ont été tuées lors d’affrontements directs.
Le soulèvement a commencé au Mali il y a plus de dix ans, mais la plupart des attaques ont désormais lieu au Burkina Faso, les insurgés étendant leurs ambitions vers le sud, en direction des Etats côtiers du golfe de Guinée.
Le gouvernement russe et son ministère de la Défense n’ont pas répondu aux demandes de commentaires. Les porte–parole de l’Africa Corps et du groupe Wagner n’ont pas donné suite non plus.
Les difficultés rencontrées par Moscou en Afrique illustrent les limites de sa puissance, en particulier lorsque ses meilleures unités militaires combattent en Ukraine,
selon des responsables sécuritaires européens.
Un millier de mercenaires Wagner sont arrivés pour la première fois au Mali fin 2021, moyennant un versement mensuel de 10 millions de dollars du gouvernement local
en échange de leur aide pour combattre les insurgés. Il s’agissait d’une bataille que les troupes françaises et américaines, ainsi que les conseillers américains, n’avaient pas réussi à gagner malgré des années d’efforts.
La mission des mercenaires Wagner avait déjà tourné au fiasco lorsque les renforts de l’Africa Corps sont arrivés, selon une enquête publiée en août par The Sentry, une organisation à but non lucratif cofondée par l’acteur George Clooney qui lutte contre la corruption et les flux financiers illicites.
Certaines des difficultés rencontrées par Wagner étaient dues à ses propres erreurs. Au Mali, les raids brutaux et désordonnés menés par les mercenaires contre des
villages civils << ont semé le chaos et la peur au sein de la hiérarchie militaire malienne », dissuadant les informateurs de collaborer et créant des opportunités de recrutement pour les djihadistes, selon le rapport de Sentry.
Les mercenaires de Wagner espéraient tirer profit de leurs aventures africaines. Mais ils se sont retrouvés dans l’impossibilité d’atteindre un gigantesque gisement d’or
malien qu’ils prévoyaient d’exploiter, car la région n’était pas suffisamment sûre pour s’y rendre, toujours selon le rapport. << Wagner semble ne pas avoir été payé depuis des mois et n’avoir pas réussi à accéder à des ressources naturelles lucratives »>, ont conclu les analystes de The Sentry. Le rapport indique que son déploiement au Mali n’était << un investissement rentable pour aucune des parties concernées ».
En juin, les mercenaires de Wagner ont quitté le Mali, avec une réputation entachée par leur incapacité à freiner l’avancée des insurgés et leur passif en matière de
massacres de civils au nom de la sécurité. << Les échecs de Wagner au Mali devraient servir d’avertissement aux autres régimes africains : la Russie
n’est ni un partenaire fiable, ni une solution miracle à vos problèmes », a souligné Justyna Gudzowska, directrice
exécutive de Sentry.
Le Kremlin a envoyé son Africa Corps, directement affilié au ministère russe de la Défense, pour rétablir les liens avec les autorités de Bamako, la capitale malienne.
<< La Russie ne perd pas de terrain », a affirmé l’Africa Corps dans un message publié sur les réseaux sociaux en juin.
<< Au contraire, elle continue de soutenir Bamako de manière plus fondamentale. >>
(( Les défis auxquels est confrontée
Moscou offrent aux puissances occidentales une nouvelle occasion de regagner l’accès et l’influence qu’elles avaient perdus au Sahel après les coups ))
d’Etat militaires
Un peu plus d’une semaine plus tard, cependant, un convoi de l’Africa Corps et de forces maliennes est tombé dans une embuscade dans le nord saharien du pays. Les
rebelles touaregs, qui combattent parfois aux côtés des insurgés islamistes, ont détruit la moitié des 40 véhicules blindés du convoi et tué des dizaines de combattants,
selon des responsables européens. La Russie est également confrontée à de nouveaux défis
ailleurs sur le continent.
En République centrafricaine, où le gouvernement tente de réprimer une insurrection persistante, les mercenaires de Wagner ont participé à diverses activités commerciales, de l’exploitation minière de l’or à la fourniture de gardes du corps présidentiels. Aujourd’hui, Moscou fait pression sur le président Faustin–Archange Touadéra pour qu’il troque l’accord existant conclu avec les mercenaires contre un contrat payé en espèces avec l’Africa Corps, affirment des responsables européens.
Les nouveaux paramilitaires russes restent principalement dans leurs casernes pour se concentrer sur la formation de l’armée locale, selon les responsables européens, ce qui limite la portée de leur action.
Les tentatives russes pour s’enraciner solidement au Soudan dans un contexte de guerre civile ont échoué.
Sous la direction de Prigojine, Wagner s’était associé à Mohamed Hamdane Daglo, le chef rebelle accusé de génocide par les Etats–Unis, pour extraire de l’or. Après la
mort de Prigojine, Moscou a envoyé du nouveau personnel pour garder les mines et manier les armes antiaériennes qui les protégeaient, selon des militants et des habitants locaux.
Cette initiative a fait long feu. Des hommes armés ont mené des attaques autour des mines, bloquant l’approvisionnement en carburant et empêchant les
travailleurs locaux d’atteindre les sites, selon les dires de ces derniers. Les avions de guerre du gouvernement soudanais ont frappé les mines à plusieurs reprises, et les gardes russes ont quitté les lieux en mai, selon les militants et les habitants.
Un porte–parole de Daglo n’a pas répondu à une demande de commentaires.
Des projets russes similaires visant à s’implanter solidement dans de nouvelles régions d’Afrique ont également été contrecarrés. Au Burkina Faso, dans le
Sahel, une troupe de mercenaires russes forte de 300 hommes appartenant à une société appelée Bear est arrivée en mai 2024, mais a été rappelée trois mois plus
tard pour combattre en Ukraine.
Un petit contingent de l’Africa Corps est présent dans le pays pour former l’armée à l’utilisation de drones et protéger le chef de la junte, Ibrahim Traoré, selon des
responsables sécuritaires européens. Mais le régime militaire au pouvoir a clairement indiqué qu’il souhaitait que la présence russe reste limitée, ont précisé ces
responsables européens.
L’armée burkinabé n’a pas répondu à notre demande de commentaires.
Les défis auxquels est confrontée Moscou offrent aux puissances occidentales une nouvelle occasion de regagner l’accès et l’influence qu’elles avaient perdus au
Sahel après les coups d’Etat militaires. Au Niger, où le président pro–occidental a été renversé en 2023, des instructeurs militaires russes ont d’abord été déployés
dans une base aérienne l’année dernière, alors que les forces antiterroristes françaises et américaines ont été contraintes de quitter le pays.
Prince, un allié du président Trump, s’est récemment rendu dans la capitale du pays, Niamey, et a ensuite proposé des services de lutte contre le terrorisme, selon
des sources proches du dossier.
En juillet, Rudolph Atallah, conseiller antiterroriste de l’administration Trump, s’est rendu au Mali pour proposer l’aide des Etats–Unis. Il n’a pas répondu à notre demande
de commentaires.
Le même mois, le général Pascal lanni, qui est à la tête du commandement de l’armée française en Afrique, s’est rendu en République centrafricaine pour parler de la
reprise de la formation militaire. Depuis, des membres des forces de sécurité du pays ont été envoyés en France pour suivre une formation, d’après l’ambassade française en Centrafrique.
L’Opinion
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