Côte d’Ivoire : 322 agents de la RTI licenciés en 2011 « Cela fait 14 ans et nos droits ne sont pas payés, nous sommes sans salaire, dans l’oubli total »
Licenciés depuis 2011 pour « raisons économiques », 322 ex-agents de la RTI vivent toujours dans la douleur et l’oubli. Quatorze ans plus tard, Éric Boly, leur porte-parole, revient sur ce drame social qui a bouleversé des vies. Il dénonce une injustice teintée d’ethnicisme et d’instrumentalisation politiques.
C’est une question à laquelle personne n’a jamais répondu clairement. On nous parle de licenciement économique, puis on découvre que plus de 500 nouveaux agents ont été recrutés. Où est la logique ?
Témoignage d’un homme en quête de justice et de dignité.

INTERVIEW : Éric Boly, porte-parole des ex-agents licenciés de la RTI
1. Pourquoi revenir sur ces licenciements quatorze ans après ?
Éric Boly :
Merci pour l’opportunité. Je suis Éric Boly, plus connu sous le nom d’Éric Dollar, porte-parole des déflatés de la RTI. Ce licenciement de novembre 2011 reste le plus grand traumatisme de notre vie. Un matin, sans alerte, nous avons été remerciés. Quatorze ans après ce que j’appelle le « premier drame après la guerre », les séquelles sont toujours vivaces. Des familles ont été brisées, des foyers disloqués, des enfants abandonnés à leur sort. Plus de 58 collègues sont morts, souvent sans soins, parfois avec des comptes gelés. D’autres, comme Jacques Zady ou Albéric Niangbo, sont aujourd’hui très malades. Et pendant que nous survivons, d’autres profitent des postes que nous occupions.
2. Comment les agents ont-ils été choisis pour être licenciés ?
Éric Boly :
Le choix était loin d’être objectif. Il visait surtout ceux perçus comme non originaires du Nord, ou jugés proches de l’ancien régime. C’était une forme de « chasse aux sorcières ». L’État est censé être une continuité, pas un outil de règlement de comptes.
3. Pourquoi précisément 322 agents ?
Éric Boly :
C’est une question à laquelle personne n’a jamais répondu clairement. On nous parle de licenciement économique, puis on découvre que plus de 500 nouveaux agents ont été recrutés. Où est la logique ?
4. Quels motifs officiels avaient été avancés ?
Éric Boly :
La direction parlait de difficultés économiques. Mais tout fonctionnait normalement : salaires versés, primes attribuées. Aucun signe avant-coureur. Et surtout, aujourd’hui, la RTI a dépassé les 1 000 agents. C’est donc un faux prétexte.
5. Y a-t-il eu dialogue ou concertation ?
Éric Boly :
Non. Le SYNINFO, notre syndicat, a tenté d’interpeller la direction. En vain. Tout était déjà décidé. Aucun dialogue, aucune alternative, aucun cadre de négociation.
6. Était-ce une manœuvre pour « nettoyer » la RTI ?
Éric Boly :
C’est clair. On a parlé de « rattrapage ethnique ». Cela a permis de faire place à des profils jugés plus loyaux au nouveau régime. La RTI, bras médiatique d’un pouvoir, a été transformée en instrument politique.
7. Les décisions étaient-elles influencées politiquement ?
Éric Boly :
Sans aucun doute. Ce fut une décision politique, prise unilatéralement par le DG de l’époque, Aka Sayé Lazare, avec la bénédiction silencieuse d’un Conseil d’administration aux ordres. C’est un abus de pouvoir.
8. Aucune autre option envisagée ?
Éric Boly :
Non. Il n’y a eu aucune volonté de chercher des alternatives. Tout était orchestré pour nous écarter.
9. Des recrutements ont-ils suivi ?
Éric Boly :
Oui, et en masse. La RTI comptait 864 agents avant notre départ. Aujourd’hui, elle en a près de 1 400. Depuis notre départ, environ 600 personnes ont été recrutées. Comment parler alors de réduction d’effectif ?
10. La RTI, un instrument politique ?
Éric Boly :
Oui, clairement. Le média public a été utilisé pour consolider un pouvoir, au mépris des droits de ses travailleurs. Des DG zélés ont exécuté un programme injuste.
11. Quelles sont vos actions aujourd’hui ?
Éric Boly :
Nous avons formé le collectif des déflatés de la RTI. Notre objectif est de faire entendre notre voix, d’alerter le président, de rappeler qu’il a oublié ses propres enfants. Nous ne cherchons ni vengeance, ni politique. Nous voulons que nos droits soient payés. Il ne faut pas attendre qu’on atteigne 100 morts ou qu’on enterre plus de familles. Aujourd’hui encore, on pleure la disparition de Jack Bahoua. Et pendant que certains vivent dignement, nous errons dans la misère.
12. Votre mot de fin ?
Les 322 ex-agents de la RTI attendent réparation. En cette année électorale, leur message est clair : qu’on ne parle pas de réconciliation sans justice. La balle est désormais dans le camp des autorités ivoiriennes.
Interview réalisée par Serge-Pacôme Abonga depuis Paris, France / Continent Media

Leave feedback about this