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Comment la Côte d’Ivoire se rêve en star de la production de films 

La Côte d’Ivoire se rêve en capitale du 7e art .
A une centaine de kilomètres au nord d’Abidjan, près du village de Rubino, au milieu d’une végétation luxuriante, des techniciens s’activent pour le tournage du long-métrage « Le Testament », comédie coproduite par la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso et le Sénégal.

Musique, cinéma, audiovisuel, mais aussi mode et design: Abidjan mobilise des financements pour structurer un secteur culturel encore largement marqué par l’informel. Avec l’ambition de se positionner en plaque tournante régionale, notamment dans l’industrie cinématographique

Atelier dans le cadre de la 2e édition du Bushman Film Festival, axé sur le tournage cinématographique avec un smartphone, à Abidjan, le 30 mars 2019.

Dans l’une des salles du Pathé d’Abidjan, quelques cinéphiles assistent à la projection du dernier film du réalisateur français d’origine ivoirienne Jean Pascal Zadi, Le Grand Déplacement. Tourné en grande partie en Côte d’Ivoire, le film en porte l’empreinte. De l’assistant vocal qui s’exprime en nouchi à la Fondation Félix HouphouëtBoigny pour la paix transformée en centre spatial à la périphérie d’Abidjan comme décor pour la planète Nardal, les spectateurs redécouvrent, amusés, leur pays

Pour Boris Van Gils, installé en Côte d’Ivoire depuis 2009 et producteur délégué sur le film, les quatre semaines de tournage ont été une aubaine. «Plus d’une centaine de personnes ont travaillé sur le projet et nous avons dépensé près de 1 milliard de F CFA [1,5 million d’euros]. L’industrie du cinéma crée de l’emploi, de la richesse, et bénéficie au tourisme et à l’hôtellerie »>, metil en avant, se félicitant de l’effervescence observée ces dernières années dans le secteur

En 2024, le ministère de la Culture et de la Francophonie a comptabilisé 50 productions au total, dont 18 étrangères. À Abidjan, l’ambition est claire : s’imposer 

comme une terre de tournages, même si de nombreux défis demeurent pour rattraper les mastodontes anglophones sur le continent, à savoir le Nigeria et l’Afrique du Sud

143 milliards de francs CFA de recettes 

Cet essor de la filière cinématographique s’inscrit dans une stratégie globale visant à faire des industries culturelles et créatives (ICC) un moteur de croissance pour le pays. << Les ICC représentent 4,3 % du PIB et mobilisent plus de 630 000 emplois directs, soit 7,4 % de la population active. Elles sont considérées comme un 

levier de croissance durable et inclusive dans le Plan stratégique Côte d’Ivoire 2030», explique la ministre de la Culture et de la Francophonie, Françoise Remarck, précisant que le secteur a rapporté 143 milliards de F CFA à la Côte d’Ivoire en 2023

<<< L’organisation d’un concert, par exemple, donne du travail à près de 100 personnes. Cela conduit les décideurs politiques à reconsidérer la culture, perçue non plus comme du folklore mais comme un moyen de résoudre des problèmes économiques, dont le chômage »>, analyse Mamby Diomandé, fondateur et commissaire général du Salon des industries musicales de l’Afrique francophone (Sima). << Pour le moment, en Afrique francophone, et en Côte d’Ivoire en particulier, nous n’avons pas encore atteint la taille d’une industrie. Mais nous sommes en train de poser les bases de son essor. » 

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Pour réussir ce pari, Abidjan mise sur la structuration de trois filières, la musique, le cinéma et l’audiovisuel, en parallèle d’efforts déployés à destination de la mode et du design. << Plusieurs projets structurants sont en cours >>, souligne la ministre Françoise Remarck, citant notamment la Cité de l’innovation et de la culture, à 

Abidjan, qui doit abriter des studios, des incubateurs et des fablabs, et le Centre culturel Jacques Aka, à Bouaké, dédié à la formation dans le domaine culturel, de la mode à l’audiovisuel en passant par le cinéma et le numérique

« Sur le plan musical, il faut noter que les trois grandes majors Universal, Warner et Sony ont choisi la Côte d’Ivoire pour s’implanter dans la région »>, note Annie Kouame Lawson, responsable croissance et partenariats au sein du cabinet de conseil et d’investissement 

Entrepreneurial Solutions Partners (ESP), un gage de dynamisme pour le secteur. Quant à la mode et au textile, ajoutetelle, ils assurent déjà la moitié des emplois des ICC, selon les données gouvernementales

Mobiliser les financements 

Tous ces projets nécessitent la mobilisation de financements. Si le ministère de la Culture est en première ligne via notamment le Fonds de soutien à la culture et à la création artistique (FSCCA) et le Fonds soutien à l’industrie cinématographique (Fonsic) , d’autres départements sont mis à contribution, ainsi que le secteur privé et l’ensemble des partenaires de la Côte 

d’Ivoire. En avril 2024, les ministères de la Culture et de la Jeunesse ont signé un accord avec Orange Bank Africa pour une enveloppe de 1 milliard de F CFA destinée aux ICC lors de la clôture du Marché des arts et du spectacle africain (Masa) d’Abidjan. « Les opérateurs de télécommunications, par exemple, sont des sponsors pour les concerts et offrent des solutions de paiement qui permettent de consommer la culture autrement »>, met en 

avant Annie Kouame Lawson

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En 2024 également, le contrat de désendettement entre la France et la Côte d’Ivoire prévoyait, pour la première fois, un budget dédié au secteur d’un montant de 11,3 milliards de F CFA. Les mécanismes sousrégionaux comme le fonds d’investissement crédit cultureUEMOA ou encore ceux de la Cedeao pour des projets transnationaux sont d’autres outils sur lesquels compte la Côte d’Ivoire, sachant que la CAN, organisée début 2024 dans le pays, a joué un rôle d’accélérateur des ICC en mettant en avant des acteurs de l’événementiel et de la mode

Création du statut d’artiste 

Cependant, beaucoup reste à faire. Début août, le cabinet ESP a publié une étude sur les acteurs des ICC, en grande majorité des jeunes autodidactes, qui à «<71 % réalisent un chiffre d’affaires annuel inférieur à 5 millions de CFA >> et ont << un besoin massif d’assistance technique>>. Parmi les leviers proposés par l’étude pour développer des chaînes de valeur dans la musique, notamment, on peut retenir les points suivants : «<favoriser la collecte de données statistiques, le développement du streaming payant ou encore la professionnalisation des métiers d’organisateurs de concerts ». En écho à ce constat, pour le producteur Boris Van Gils, l’un des défis majeurs dans le cinéma reste la formation de techniciens locaux et «<des incitations fiscales afin d’attirer des tournages de films étrangers >>

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Dans ce cadre, les différents entrepreneurs s’organisent en faîtières et tentent d’instaurer un dialogue avec les autorités pour faire aboutir des réformes dans leurs secteurs respectifs. Parmi les chantiers en cours figurent la protection du droit d’auteur et la création du statut 

d’artiste afin de garantir l’accès à la sécurité sociale et à une retraite, mais aussi de sortir de l’informel, qui concerne près de 80 % des acteurs du secteur aujourd’hui. Un dossier suivi de près par les ministères de la Culture et de l’Emploi. La restructuration des industries du livre, du spectacle et des quelque 600 

festivals qui existent en Côte d’Ivoire constitue également un point d’attention

S’il se réjouit de l’engouement autour des ICC, Teddy Roux, directeur du cabinet ESP, met en garde contre le risque de dispersion des financements et d’un effet de mode passager. << Il y a un fantasme autour des ICC. La réalité, c’est que ce sont surtout des PME et des acteurs de l’informel. Mon combat, c’est de réussir à mettre le ‘ï’ d’industrie devant la culture pour opérer un changement de paradigme en Côte d’Ivoire, insistetil. Si l’élan est , il faut le poursuivre, car construire des industries ne se fait pas en un claquement de doigts. >> 

Jean Moliere /Source JA

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