Armand Djiré noue une relation de confiance avec la mère d’Ousmane durant plusieurs années. Joël Huard, responsable de la zone Normandie pour le SRFC, débarque trois ans plus tard. « Des gamins, j’en ai vu des milliers mais aucun comme lui, se souvient-il. Au bout de cinq minutes, j’avais compris. Il était tout maigre, il n’avait pas de muscle, rien. Mais dès les premiers ballons, c’était un enchantement. Pied droit, pied gauche et ce côté félin…«
Pour le Stade Rennais, il n’y a plus de questions à se poser. Mais la famille et les oncles, tous supporters fanatiques de l’OL, poussent pour qu’ils choisissent Lyon. Lui ne rêve alors que du FC Barcelone. Mais c’est encore trop tôt. Seuls le Havre, Caen et Rennes se manifestent. Dembélé signe au Havre mais, une semaine plus tard, regrette son choix. Machine arrière : ce sera le Stade Rennais
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OUSMANE N’EST PAS LE GAMIN QUI M’A COÛTÉ LE PLUS CHER…
Pourquoi ? « Jusqu’ici, la famille vivait dans une région avec des moyens limités, se souvient Patrick Rampillon, directeur du centre de formation du SRFC qui a convaincu les Dembélé. Au club, on était en relation avec Samsic (ndlr : groupe de service aux entreprises), partenaire du club et on a trouvé un travail à sa maman. Ce qui comptait, ce n’était pas l’aspect financier mais le bien-être du gamin et je peux vous dire qu’Ousmane n’est pas le gamin qui m’a coûté le plus cher…«
Le club breton fait du sur-mesure pour un jeune garçon dont les qualités sont évidentes et met tout en œuvre pour le convaincre. Tout le monde met la main à la pâte. Armand Djiré et Philippe Barraud, le directeur du recrutement, vont même jusqu’à faire et transporter les cartons de la famille Dembélé à Rennes. « Croyez-moi, on ne fait pas les déménagements de tous les gamins« , s’amuse 15 ans plus tard Armand Djiré. C’est que Dembélé est unique.
Il atterrit avec son football instinctif dans une grande institution qui prépare au professionnalisme. Le cheval fou débarque dans un jeu de quilles : « On apportait une forme de rigidité qui ne lui correspondait pas, se souvient Mathieu Le Scornet qui s’est occupé pendant 13 ans de la formation rennaise. Donc j’apprends à le connaître et je lui dis : ‘éclate-toi dans ce que tu aimes faire’ et on essaie de le stabiliser au niveau émotionnel. » Le deal est simple alors que Dembélé rencontre de très grosses difficultés scolaires : le Stade Rennais n’entravera pas sa progression malgré ses résultats à l’école mais, sur le terrain, il doit être irréprochable.
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Difficultés scolaires et vol de vélos
À Rennes, il apprend la discipline. « Il a pris des claques chez nous, on n’a pas été gentil avec lui« , rembobine encore Rampillon. Dembélé, même en formation, est encore un gamin qui se trimballe partout avec son gros sac à dos Puma sur le dos. Tous les jours dans le bus numéro 9 qui l’amène au Stade Rennais, il se marre avec sa bande de potes et les journées s’achèvent très souvent au Leclerc du coin à manger tout et surtout n’importe quoi. « C’était un jeune difficile à gérer parce qu’il vivait chez sa maman et qu’on ne pouvait pas le maîtriser de A à Z, nous confie Aziz Mady-Mogne qui supervisait alors la vie des jeunes au centre. Il testait le système et ses limites. »
« Un jour, le club m’appelle : ‘viens chercher ton fils sinon on le vire.’ Je dois le prendre en vacances chez moi, nous renseigne Armand Djiré qui joue les grands frères du petit Ousmane. Mais on ne peut pas demander à un gamin livré à lui-même à Évreux de venir dans un centre et de s’adapter aux codes. C’est normal qu’il ne puisse pas faire face. » Un jour de 2012, Dembélé et ses potes de la Piverdière font une sortie dans le centre de Rennes et volent des vélos. Mais ils se font choper par la patrouille. La sanction tombe : pendant trois semaines, ils ne toucheront plus le ballon. À la place, les formateurs leur préparent un programme physique militaire.
« Tous les garçons étaient en souffrance, ils venaient dans les bureaux pour nous dire d’arrêter, se souvient Mady-Mogne. Tous sauf un : Ousmane. Les gamins faisaient des exercices en rampant sur le synthétique devant les bureaux administratifs. Ils n’en pouvaient plus. Ousmane, lui, nous regardait avec un sourire rageur, l’air de dire : ‘Continuez, ce n’est pas grave, vous ne m’aurez pas, j’y arriverai.’ Il avait une force de caractère et une capacité de rebond hors du commun.’ »
JE ME SUIS PRIS LE BOUILLON CONTRE UN GOSSE DE 17 ANS
Depuis Évreux, Dembélé est animé par une conviction folle. Il sait, qu’un jour, il sera professionnel. Il rêve du Barça. Avec Rafik Guitane et Dayot Upamecano, ses potes d’alors devenus joueurs professionnels, ils se promettent de se retrouver au plus haut niveau. Toutes leurs conversations tournent autour de cette même obsession. Si Dembélé semble ne se soucier de rien et aborde la vie avec désinvolture et insouciance, ce qui a pu parfois lui jouer des tours, il sait ce qui compte pour lui.
« Quand il s’agissait de montrer qui est le meilleur ou de construire sa réussite dans le foot, il n’y avait pas de sujet. Il était focus« , tranche Mady-Mogne. C’est ainsi qu’avant même de signer un premier contrat pro, il lance son site internet. Extrait : « Ousmane est un joueur technique, rapide et très à l’aise en un contre un. Pas étonnant que son joueur préféré soit Neymar du club de Barcelone… même s’il entend mener son propre parcours. » Le gamin a alors 16 ans…
Ousmane Dembélé sous le maillot de Rennes
En Bretagne, malgré des résultats scolaires catastrophiques, Dembélé n’a jamais cessé d’être une évidence. Il aura simplement fait plus de tours de terrain que les autres, notamment sous les ordres de Régis Le Bris, pour payer ses incartades sur les bancs du collège. En réserve, à 16 et 17 ans, il fait tomber de leurs chaises les habitués de la National 3 qui ont pourtant vu passer quelques talents. Il reste à ce jour le seul joueur de la réserve rennaise à tirer les corners rentrant des deux côtés : du pied gauche côté droit et du pied droit côté gauche. En 2014/2015, il marque 13 buts en 18 matches.
Mayeul Durand, défenseur droit du TA Rennes, l’a joué à deux reprises lors de cette fameuse saison de CFA2 dont Dembélé est élu meilleur joueur alors qu’il y est resté six mois de moins que tous les autres. Il se souvient du phénomène : « C’était un calvaire de jouer contre lui. Première action : je l’oblige à jouer sur son pied gauche pour ne pas lui ouvrir le but. Il pousse le ballon, je me jette, crochet, centre du droit pour son attaquant qui fait poteau. Deuxième action, je me dis que je vais l’obliger à jouer sur son pied droit car les gauchers n’ont jamais de pied droit. Crochet, frappe du droit sur la transversale. À la fin du match, je me dis que je me suis pris le bouillon contre un gosse de 17 ans. Quelques mois après, je le vois jouer en L1 et je me dis que, finalement, je ne m’en suis pas si mal sorti (rires). »
C’EST LE MEILLEUR ATTAQUANT DU CLUB ET IL JOUE EN RÉSERVE…
« Les joueurs et coach adverses venaient me voir après le match : ‘c’est quoi ton joueur Laurent ?’ », se souvient Laurent Huard alors coach de la réserve de Rennes. Un jour de 2015, la star du Stade Rennais, Paul-George Ntep, alors attaquant de l’équipe de France, vient voir Huard, estomaqué par ce qu’il voit sur le terrain de la réserve et lui lâche en parlant de Dembélé : « C’est le meilleur attaquant du club et il joue en réserve…«
Du côté de la formation et de certains joueurs pros, on ne comprend pas pourquoi Dembélé n’a pas déjà pris l’ascenseur. Philippe Montanier, le coach des grands, le juge trop frêle selon plusieurs sources. Il se justifie aujourd’hui : « Je ne voulais pas l’exposer trop jeune aux recruteurs« , nous confie-t-il. Dembélé a le soutien du centre mais se heurte au refus de la cellule professionnelle, les deux mondes se fracturent à son sujet. Et le joueur perd patience. Alors même qu’il s’est assagi et a mûri avec la réserve, il décide de claquer la porte et s’envole pour Salzbourg qui lui fait les yeux doux. Il zappe le stage de pré-saison : Dembélé est à deux doigts de filer entre les doigts de son club formateur.
Mais Mickaël Sylvestre joue les médiateurs et le convainc. Après cet épisode, il passe pour un gamin capricieux, manipulé par un entourage avide d’argent. Loin de la vérité que nous raconte ceux qui l’ont côtoyé à l’époque : « Il était simplement dans sa logique : ‘vous ne me faites pas jouer et bien, je m’en vais.’ Il était sûr de lui, il savait. Et puis, il a assumé sur le terrain« , nous éclaire Aziz Mady-Mogne. Quand il intègre le groupe professionnel, il doit faire ses excuses auprès du vestiaire.
DEMBÉLÉ NOUS DIT : ‘JE M’EXCUSE AUPRÈS DE VOUS, MAIS PAS AUPRÈS DE L’ENTRAÎNEUR’
Tout juste arrivé à Rennes, le Colombien Juan Fernando Quintero raconte l’épisode au micro de la chaîne Youtube JF10TV : « Dembélé nous dit : ‘je m’excuse auprès de vous, mais pas auprès de l’entraîneur’. Tout le monde se met à rire, tandis qu’Ousmane continue : ‘je m’excuse auprès de vous, mais pas auprès de l’entraîneur, parce que je voulais partir, j’ai déjà prolongé, mais je sais que dans un an, je partirai. J’ai une clause jusqu’au 20 juin, donc avant le 20 juin je pars.' » Encore une fois, Dembélé croit en son destin. Même face à un vestiaire rempli d’internationaux, il ne se démonte pas.
Et Quintero de poursuivre : « Je n’ai jamais vu un homme aussi talentueux de ma vie. À l’entraînement, il volait. J’ai vu Messi et il est au top, mais Ousmane… À 17 ans, il est impossible de frapper comme ça avec les deux jambes (…). Je suis rentré à la maison et j’ai dit : « Incroyable, je n’ai jamais vu quelqu’un comme ça et avec cette personnalité : ce type est fou. » Du futsal d’Évreux au groupe pro de Rennes, le petit garçon est devenu un jeune homme. Mais il n’a jamais quitté son ballon et son gros sac Puma. Son talent insolent a fini par mettre tout le monde d’accord et, à ce moment-là, il le sait mieux que tout le monde : ce n’est que le début d’une grande histoire.
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Jean Moliere. AFP