Le destin présidentiel contrarié de Tidjane Thiam
Au pays de Félix Houhouët-Boigny, la guerre de succession est relancée à la faveur de l’immixtion dans l’arène politique de l’ancien patron du Crédit Suisse
Les faits – A six mois du scrutin, le candidat du principal parti d’opposition en Côte d’Ivoire, Tidjane Thiam, a été écarté de la course à la présidentielle. Sur la base d’un
vieux texte de loi, la justice a estimé qu’il avait perdu la nationalité ivoirienne en acquérant la nationalité française en 1987. Radié de la liste électorale, l’ancien banquier
poursuit son combat.
Un peu plus d’un an après son retour en Côte d’Ivoire, Tidjane Thiam est en train de faire l’apprentissage de la dure réalité de la politique locale. La présidente du tribunal de première instance d’Abidjan Plateau, Aminata Touré, a ordonné, le 22 avril, le retrait de la liste électorale du nom du président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, parti de l’indépendance). Une décision sans recours d’après la loi électorale.
En décembre 2023, cette même magistrate avait déjà suspendu le congrès extraordinaire du PDCI–RDA qui devait élire le prochain président de la formation, après le
dépôt d’une plainte de deux militants. Celle–ci avait finalement été retirée, l’ancien patron du Crédit Suisse étant porté une semaine plus tard à la tête du parti.
La juge Touré devra encore statuer le 8 mai prochain sur une demande d’annulation de tous les actes pris par Tidjane Thiam à la tête du PDCI. Elle pourrait mettre la formation sous administration provisoire. Ce qui priverait le candidat de machine électorale à six mois du scrutin.
A 62 ans, l’ancien patron du Crédit Suisse voit donc ses chances de briguer le scrutin présidentiel d’octobre fortement compromises. En mars, il a renoncé à la
nationalité française pour se porter candidat. Malgré tout, il garde le moral et trouve la situation assez ubuesque.
<< Apatride ». La justice a refusé de lui remettre un certificat de nationalité, l’a radié de la liste électorale, ce qui devrait théoriquement faire de lui un << apatride >>.
Pourtant, il voyage avec un passeport ivoirien, a plusieurs fois voté à des élections et dirige le plus vieux parti de son pays, fondé par Félix Houphouët–Boigny, le père de la nation.
Ses proches dénoncent un acharnement orchestré par quelques déçus du PDCI – Valérie Yapo, Jean–Louis Billon et Maurice Kakou Guikahué – avec la complicité de l’Etat ivoirien.
<< Tidjane Thiam est une lame de fond que le pouvoir n’a pas vu venir, confie–t–on dans l’entourage du patron du PDCI. Il a réussi l’exploit de devenir la première figure de l’opposition en très peu de temps. Il est parvenu à faire enrôler 940 000 nouveaux inscrits sur la liste électorale après sa tournée dans dix grandes villes du pays et six quartiers de la métropole à Abidjan. Il fait peur, d’autant que les sondages nous sont favorables. Ses adversaires ont multiplié les réunions secrètes pour l’évincer de la compétition >>.
- Pourquoi Paul Kagamé a perdu la bataille diplomatique en Belgique Selon un sondage consulté par L’Opinion, Thiam arriverait
en tête des intentions de vote devant Alassane Ouattara qui n’a pas encore fait part de ses intentions. Ce que conteste à la fois les proches du chef de l’Etat ivoirien et
de Laurent Gbagbo, son prédécesseur, évoquant un << faux » et une manipulation.
<< Thiam est revenu une première fois en Côte d’Ivoire en août 2022 après 22 ans d’exil, confie un analyste politique.
Un an plus tard, il a pris le pouvoir au PDCI à la mort d’Henri Konan Bédié, son président, à la barbe de plusieurs leaders de la formation qui se sont sentis
dépossédés de leur influence. Ses adversaires ont trouvé la démarche indécente, se sont organisés sans vraiment y croire, au début. Et puis ils ont trouvé l’arme nucléaire : un vieux texte de loi (du 14 décembre 1961) oublié sur la déchéance de nationalité ».
Jurisprudence. Ce texte stipule qu’un majeur ivoirien qui acquiert volontairement une autre nationalité perd automatiquement la sienne. Les proches de Ouattara
évoquent la jurisprudence << Tiote Souhaluo », un ancien candidat à la députation, que le Conseil constitutionnel a rendu inéligible en 2011 en raison de son changement de nationalité. Dans le camp de Thiam, on explique que ce monsieur figure aujourd’hui sur la liste électorale, dénonçant une justice aux ordres.
<< Nous n’y sommes pour rien, jure un proche du président Ouattara. C’est un conflit interne au PDCI. Sa radiation ne nous arrange pas car il ne pèse pas grand–chose et ne nous fait pas peur. Nous contrôlons 25 des 31 régions, les deux tiers des sièges de l’assemblée nationale et des communes du pays >>.
Les détracteurs de Thiam lui reprochent pèle–mêle sa longue absence du pays, de n’être qu’à moitié ivoirien – on reprochait la même chose à Ouattara – ou encore d’être le candidat de << Macron » avec lequel il entretient de bonnes relations. Après avoir fait preuve de retenue, Tidjane Thiam ne retient plus ses coups. Il attaque le bilan de Ouattara, notamment le recul au classement de l’Indice de développement humain (IDH) durant sa présidence.
Yazid Sabeg: << Le Maghreb est le seul endroit du monde où la France est une grande puissance. Elle ne peut pas traiter l’Algérie comme un partenaire comme les autres >>
<< Thiam est trop pressé de prendre le pouvoir et dénonce le bilan de Ouattara qui ne va pas lui faire de cadeau, assure un fin observateur de la scène politique. Il a aussi rendu furieux Laurent Gbagbo qui estime qu’il est plus populaire que lui >>.
Guerre de succession. Dans un discours de deux heures, l’ancien pensionnaire de la Cour pénale internationale – qui l’a blanchi – a pourtant apporté son soutien au PDCI après la radiation de son leader de la liste électorale. Il a aussi lancé le mouvement << Trop, c’est trop » dans le but de mettre sur pied une protestation << multiforme et permanente >> contre le pouvoir. Les prochaines semaines devraient voir les partis d’opposition et les syndicats se mobiliser.
Trente et un ans après le décès de Félix–Houphouët Boigny, la guerre de succession – qui n’a jamais été réglée –a été réouverte avec la mort de Bédié qui a permis
l’immixtion de Tidjane Thiam dans l’arène politique ivoirienne.
A 83 ans, le président Ouattara pourrait être investi lors d’un Congrès de son parti, le RHDP, qui doit se tenir avant l’été. << Il faut régler cette question de l’inclusivité de la présidentielle par le dialogue politique, plaide un diplomate onusien qui ne veut pas voir resurgir de crise électorale. Outre Tidjane Thiam, Laurent Gbagbo et Guillaume Soro,
un ancien chef rebelle devenu Premier ministre, ne peuvent concourir en raison de condamnations judiciaires. Ce qui réduit le nombre des prétendants.
Dans le camp Ouattara, on met en avant le respect de l’Etat de droit. Et l’on répète, ad nauseam, que le président
n’a pas à interférer dans les questions de justice car << la Côte d’Ivoire n’est pas une république bananière ! ».
Jean MOLIERE Source L’Opinion